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La stratégie de l’UE freine le flux migratoire au Niger, mais à quel prix ?

A panoramic view across Agadez, northern Niger, 9 September 2007. Tugela Ridley/IRIN

Les mesures répressives mises en œuvre par le Niger, avec le concours financier de l’Union européenne, pour lutter contre la migration se sont révélées efficaces : elles ont permis de faire baisser de manière sensible le nombre de migrants qui se déplacent vers le Nord pour rejoindre le littoral nord-africain, puis l’Europe. Mais avec quelles conséquences ?

Il y a quelques mois encore, les passeurs quittaient quotidiennement la ville d’Agadez au grand jour, au volant de véhicules remplis de migrants originaires d’Afrique de l’Ouest, et empruntaient des routes bien identifiées pour acheminer leur cargaison humaine au nord des frontières nigériennes, en Libye ou en Algérie.

Aujourd’hui, les principales routes menant à ces frontières, situées au sud du Sahara, sont surveillées par des patrouilles de soldats. En outre, des officiers de police sillonnent les ruelles d’Agadez et arrêtent les migrants et les passeurs qu’ils croisent, confisquent des véhicules et ferment les maisons où les passeurs regroupent les migrants en attendant le jour du départ. A Agadez, on les appelle les « ghettos ».  

« Plus rien ne fonctionne », a dit à IRIN Mahamed Alhousseini, un conseiller d’Agadez. « L’économie de la ville est en ruines à cause des mesures répressives prises pour lutter contre la migration et qui ont été dictées à notre pays par l’Europe ».

L’importance d’Agadez, grande plaque tournante des réseaux de passeurs de migrants ouest-africains qui tentent de rejoindre l’Europe via l’Algérie et la Libye, n’a pas échappé aux décideurs politiques européens. L’accord signé par la Turquie et l’UE, et la fermeture des frontières dans les Balkans ont peut-être freiné le nombre d’arrivées en Grèce depuis la Turquie, au moins pour l’instant. Mais, en 2016, la route de la Méditerranée centrale a été empruntée par 181 000 migrants et demandeurs d’asile qui souhaitaient rejoindre l’Italie, ce qui constitue un chiffre record. La majorité d’entre eux seraient passés par Agadez à un moment ou à un autre de leur périple.  

La carotte et le bâton

Au plus fort de la vague d’arrivées des migrants et des demandeurs d’asile en Europe à la fin de l’année 2015, l’UE a créé le Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique – un programme d’aide d’un montant de deux milliards de dollars visant à s’assurer la coopération des pays africains dans la lutte contre la migration illégale. Le Cadre de partenariat avec les pays tiers, adopté au mois de juin 2016, va plus loin : il prévoit non seulement des aides et des accords commerciaux pour les principaux pays d’origine et de transit qui participent à la réalisation des objectifs de l’UE de réduction de la migration, mais aussi des « incitations négatives » pour les pays qui ne coopèrent pas.

Le Niger a été identifié comme l’un des cinq « pays partenaires prioritaires ». Il a reçu la visite de délégations de haut niveau venues d’Allemagne, d’Italie et des Pays-Bas en 2016, et la promesse de recevoir 610 million d’euros au titre de l’aide au développement, notamment pour sa participation à la répression du trafic de migrants par les réseaux de passeurs.

En mai 2015, le gouvernement nigérien avait adopté une loi contre le trafic d’êtres humains, prévoyant des peines de prison de 5 à 10 ans pour les passeurs reconnus coupables de trafic, mais un nouveau plan d’action contre la migration illégale a été établi, et un bureau extérieur chargé de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) établi à Agadez a commencé à fournir des équipements et des formations sur « la migration et les techniques de renseignement et d’arrestation » aux forces de sécurité locales.

« Evidemment, c’est parce que les vagues de migrants quittent Agadez que la coopération entre notre pays et l’UE est centrée sur différents secteurs, comme la formation de nos forces de sécurité », a commenté Rhissa Feltou, maire d’Agadez.

L’UE a également alloué des fonds à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour ouvrir trois centres de transit, dont un à Agadez, permettre aux migrants de prendre « des décisions en meilleure connaissance de cause sur la migration » et aider ceux qui sont interceptés et renvoyés à Agadez à rentrer chez eux.

 

Données controversées et nouvelles routes migratoires

Grâce aux fonds alloués par l’UE, l’OIM a commencé à étudier les déplacements des migrants qui transitent par le Niger. Entre février et novembre 2016, l’agence a enregistré le passage de plus de 417 000 migrants à Séguédine (le principal point de passage vers la Libye) et Arlit (le principal point de passage vers l’Algérie). Cependant, au mois de novembre, l’OIM a fait état d’une baisse sensible : seuls 1 525 migrants ont été enregistrés lors de leur passage aux frontières du Nord, contre 12 600 le mois précédent.

Les responsables de l’UE ont invoqué ces chiffres comme preuve d’un « progrès concret » du cadre de partenariat et les a cités dans plusieurs communiqués de presse et déclarations faites aux organes européens pour vendre leur succès au Niger et en faire un modèle pour la signature de nouveaux accords avec l’Ethiopie, le Mali, le Nigeria et le Sénégal. Cela s’est révélé prématuré. L’OIM a réalisé qu’une erreur avait été commise et a revu les chiffres de novembre à la hausse, comptabilisant 11 457 migrants. Quelque 13 000 migrants supplémentaires se dirigeant vers le Nord depuis Agadez ont été enregistrés au mois de décembre.

Les chiffres faisant état du passage de 11 000 à 13 000 migrants représentent tout de même une baisse significative par rapport aux quelque 72 000 migrants ayant transité à Agadez en mai 2016. L’OIM a attribué cette baisse à la politique mise en place par le gouvernement et « aux mesures répressives plus sévères à l’encontre des passeurs », mais l’agence a aussi noté que les migrants et les passeurs s’adaptaient à ces mesures en empruntant plus fréquemment des routes alternatives pour échapper aux contrôles mis en place à Séguédine et Arlit (et aux points de collecte des données de l’OIM).

L’utilisation de voies détournées expose les migrants à plus de dangers, et les informations faisant état de décès dans le désert se multiplient depuis l’adoption des nouvelles mesures restrictives. Afin d’éviter les contrôles et les arrestations, les migrants et les passeurs n’empruntent plus les principales routes de passage et se déplacent de nuit, ce qui rend la traversée déjà périlleuse du Sahara encore plus risquée. Au cours des dernières semaines, les médias locaux ont rapporté qu’au moins 38 corps avaient été trouvés dans le désert. 

Ibrahim Manzo Diallo/IRIN
Soldiers intercept a smuggler's vehicle leaving Agadez
A Agadez, ces activités qui se faisaient ouvertement s’exercent désormais clandestinement. Dans un email à IRIN, Giuseppe Loprete, le chef de la mission de l’OIM au Niger, a expliqué que beaucoup de ghettos avaient été fermés et que les maisons qui hébergeaient autrefois jusqu’à 200 ou 300 migrants n’en accueillaient plus qu’une vingtaine.

Zaki Moussa, procureur général de la Haute Cour d’Agadez, a confirmé l’arrestation de 100 personnes et la confiscation de 300 véhicules dans le cadre de la loi contre le trafic d’êtres humains. « Les passeurs arrêtés viennent de pays d’Afrique de l’Ouest, mais surtout du Nigeria », a-t-il dit à IRIN. « Avec la création de ce nouveau délit, nous allons priver les responsables [de perspectives] et fermer leurs officines ».

« Chasse aux sorcières »

Des habitants mécontents expliquent qu’Agadez a toujours été un lieu de transit pour les voyageurs souhaitant se rendre dans les pays arabes, c’est-à-dire en Libye et en Algérie. Aux termes du protocole sur la liberté de circulation des personnes adopté il y a longtemps déjà par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le transport de migrants originaires d’Afrique de l’Ouest n’était pas considéré comme un crime, mais la loi contre le trafic d’êtres humains adoptée en mai 2015 a changé la donne.

« Avant le début de cette chasse aux sorcières à l’encontre des passeurs de migrants, les jeunes d’Agadez avaient du travail », a dit à IRIN Abdourahamane Koutata, le président du conseil des jeunes de la région d’Agadez. « Chaque lundi, ils emmenaient des migrants en Libye ou en Algérie, et gagnaient beaucoup d’argent. Aujourd’hui, la plupart d’entre eux sont en prison ».

Peter Tinti, un chercheur associé à la Global Initiative against Transnational Organized Crime (Initiative mondiale contre le crime organisé transnational) et co-auteur d’une étude récente sur le couloir de transit pour les trafics entre le Niger et la Libye, affirme que les décideurs politiques européens n’ont pas compris que le trafic de migrants dans la région d’Agadez s’inscrivait dans une « économie politique plus large ».

« Les revenus générés par cette industrie ne profitent pas seulement aux passeurs. Ils vont aux chauffeurs ; aux propriétaires des ghettos », a-t-il dit à IRIN. « Le gouvernement nigérien a reconnu que même les policiers et les soldats profitaient de l’industrie migratoire, ils perçoivent des loyers ou des taxes ».

Dans une région déjà touchée par une incertitude et une instabilité politiques, « une intervention politique majeure comme celle-ci aura peut-être des répercussions auxquelles nous n’avons pas pensé », a-t-il ajouté.

Des trafiquants, pas des agriculteurs

Selon un rapport d’avancement daté du mois de décembre sur le cadre de partenariat, l’UE a utilisé de l’argent provenant du Fonds fiduciaire de l’UE pour l’Afrique en réponse à la demande du gouvernement du Niger qui souhaitait « la création visible et rapide d’autres sources de revenu, destinées à remplacer ‘l’industrie migratoire’ ». 

Le rapport fournit des détails sur ces « autres sources de revenu », mais Sophia Wolpers de l’université d’Amsterdam a mené des recherches sur l’impact des politiques de titrisation de l’UE dans la région d’Agadez et explique que ses précédents projets de développement visaient surtout les agriculteurs. « Mais à cause de la désertification, il n’est pas possible d’avoir des activités agricoles ici », a-t-elle dit à IRIN. « Agadez a toujours été une plaque tournante commerciale, alors on ne pourra pas faire de ces commerçants des agriculteurs ».

Mme Wolpers a ajouté que l’activité de chauffeur était beaucoup lucrative que les autres, et que les passeurs se contenteraient de répercuter les coûts et les risques supplémentaires sur les migrants. M. Loprete de l’OIM a confirmé que les tarifs pratiqués par les passeurs avaient triplé depuis l’adoption des mesures répressives. 

Migrants stranded in the desert
Tom Wescott/IRIN

Hamadou Tchierno de l’Alternative Association Citizen Space (Association Alternative Espace Citoyen), une organisation non gouvernementale (ONG) locale de défense des droits de l’homme, a exprimé sa profonde inquiétude concernent les mesures répressives.

« Cette loi, qui prévoit la restriction du flux migratoire à Agadez, est le fruit des politiques européennes de lutte contre la migration illégale », a-t-il dit à IRIN. « C’est à cause des obstacles placés sur leur route que les migrants clandestins prennent des risques importants et que les décès sont fréquents ». 

Winnie, une jeune femme libérienne qui est enceinte, fait partie des migrants qui ont tout risqué pour essayer de trouver une meilleure vie. Elle vient d’être déportée au Niger par les autorités algériennes qui ont, elles aussi, adopté des mesures répressives contre la migration illégale. Elle a été accueillie au centre de transit de l’OIM à Agadez, où elle attend de recevoir l’aide nécessaire pour rentrer chez elle. Elle a réussi à rejoindre la Libye, mais elle explique qu’elle « a tout vu » pendant son périple.

« J’ai perdu des compagnons pendant le trajet. Plusieurs. Certains sont morts dans le désert, d’autres en mer », a-t-elle raconté à IRIN. « Le père de ma fille, je n’ai plus de nouvelles de lui depuis qu’il est monté à bord d’une embarcation de fortune pour essayer d’aller en Italie. Je rentre chez moi [au Liberia] pour que ma fille ait au moins la chance de grandir au sein d’une famille. Je n’ai rien à lui offrir, si ce n’est mon amour et ma tendresse ».

(Informations supplémentaires fournies par Kristy Siegfried à Oxford)

(PHOTO DE COUVERTURE : Vue panoramique d’Agadez, au nord du Niger. Tugela Ridley/IRIN​)

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