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Victimes ou méchants ? Les combattants volontaires sur la ligne de front au Burkina Faso

« Ces groupes ne sont pas à l'abri de la politique partisane et peuvent facilement se transformer en milices incontrôlables. »

Vigilantes from northern Burkina Faso Sam Mednick/TNH
Vigilantes from northern Burkina Faso display the weapons they use to fight better-armed and battle-hardened jihadists.

Lorsque le gouvernement du Burkina Faso a appelé les civiles à combattre les djihadistes qui terrorisent leurs communautés, Amadoum Tamboura s’est senti obligé d’agir. Cependant, les armes que les politiciens avaient promises ne sont jamais arrivées, cette situation a laissé l’homme de 56 ans impuissant face à l’attaque de son village par les militants. 

« On nous avait dit que notre mission était de protéger notre communauté. [Mais] tu ne peux pas utiliser tes mains nues, » a déclaré Tamboura qui a fui avec des centaines d’autres personnes et qui vit désormais à Kongoussi, ville située au nord du Burkina Faso.

Des centaines de civiles des villes et villages des zones frappées par l’extrémisme se sont fait enrôler pour protéger leurs communautés et combattre les groupes djihadistes depuis qu’une loi– connue sous le nom de la loi sur les Volontaires pour la défense de la patrie – a été votée par l’Assemblée nationale en janvier.

Le gouvernement, qui n’a pas donné de précision sur le nombre exact de volontaires enrôlés, avait souhaité que ce projet phare encourageât son armée dont le moral a été affecté suite à la série de violences djihadistes et intercommunautaires qui ont forcé plus d’un million de personnes à se déplacer- dont la plupart ont fui depuis le début de l’année passée.

Cependant, neuf mois après le lancement du programme, les volontaires qui étaient censés recevoir des armes et une formation de deux semaines ont rapporté à The New Humanitarian qu’ils n’étaient pas bien équipés et qu’ils avaient parfois trop peur d’affronter les militants qui sont mieux armés et aguerris.

Et de nombreux résidents des zones d’opération des groupes d’autodéfense accusaient ces derniers d’abus– allant de vol de bétail aux attaques contre les personnes accusées de collaborer avec les militants djihadistes. Plusieurs s’inquiètent également du fait qu’ils seront la cible d’attaques djihadistes au cas où ils sont soupçonnés d’apporter du soutien aux volontaires. 

La semaine dernière, 25 déplacés qui retournaient dans leur village dans un convoi ont été tués par les extrémistes qui ont évoqué la présence de volontaires dans la zone comme motif de l’attaque, selon plusieurs témoins interrogés par TNH.

A l’approche du scrutin présidentiel qui se tiendra le mois prochain, les analystes et les candidats de l’opposition ont fait une mise en garde à propos de politiciens qui pourraient se servir des groupes de volontaires et d’autres milices d’autodéfense pour accroître leur influence ou pour nuire à leurs rivaux.

« Cette loi était censée apporter la sécurité et la stabilité, » a déclaré Flore Berger, chercheuse et analyste basée au Sahel. « Mais les volontaires sont à la fois auteurs et victimes des violences, et les civiles sont pris au piège entre les attaques venant de toutes parts. »

Children walk through a displacement camp in Kongoussi
Sam Mednick/TNH
Children walk through a displacement camp in the northern town of Kongoussi. Residents of the camp said volunteer fighters were too weak to help them return to their villages.

Mal équipés et mal formés

Le plan de recrutement des volontaires fut annoncé en mars dernier après que 37 civiles furent tués lors d’une attaque djihadiste contre les travailleurs d’une entreprise canadienne d’exploitation de mines d’or à l’est du Burkina Faso.

A l’époque, c’était l’une des attaques les plus meurtrières jusque-là perpétrées par les djihadistes qui avaient commencé une insurrection dans la partie aride du nord du Burkina Faso en 2016 et qui, depuis lors, se sont éparpillés à l’est et à l’ouest, coupant ainsi de vastes territoires du reste du pays.

Les autorités gouvernementales de Kongoussi ont déclaré que les volontaires ont réussi à empêcher les extrémistes d’attaquer des villes plus grandes, et leur ont également reconnu le mérite d’accompagner les résidents dans leurs champs, sur des routes dangereuses pendant la saison pluvieuse en cours.   

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Mais le programme a été déployé dans la précipitation, selon Heni Nsaibia, chercheur à Armed Conflict Location & Event Data, ou ACLED, une organisation non gouvernementale spécialisée dans la collecte, l'analyse et la cartographie de données ventilées sur les conflits. Il l'a décrit comme « une alternative à faible coût… douteuse » au renforcement de l'armée.

A Kongoussi–l’une des nombreuses villes du nord et de l’est où TNH a rencontré les groupes de volontaires– Tamboura et sa troupe composée de sept autres miliciens disent avoir eu du mal à opposer une grande résistance aux djihadistes.

« Comment le gouvernement peut-il imaginer que j’ai de l’argent pour acheter un fusil ? »

Les soldats ont appris aux hommes, au cours d’une formation d’une semaine, à charger les armes, à creuser des tranchées, et à se protéger en cas d’explosion. Toutefois, les éléments du groupe devaient apporter leurs propres fusils à la formation, en plus, les promesses ultérieures concernant les armes ne furent point tenues.

Les seules armes que le groupe a présentement sont deux fusils de chasse – dont l’un est maintenu avec du ruban adhésif– un fusil artisanal en bois qui met du temps à être chargé, et un couteau de table de trois pouces (environ 8 centimètres).

« Comment le gouvernement peut-il imaginer que j’ai de l’argent pour acheter un fusil ? », interrogea Abdoulaye, l’un des membres du groupe de Tamboura qui a demandé que son nom de famille ne soit pas publié. « Je vais leur faire recours pour qu’ils protègent ma communauté et moi. »

Le manque de formation a rendu ces groupes de volontaires vulnérables et les exposent aux djihadistes. Au moins 40 attaques ont été perpétrées contre eux– dont l’une a visé le quartier général d’un groupe d’autodéfense au nord du pays– depuis février, selon ACLED.

Dans la ville de Natiaboani, située au nord du pays, trois des 20 volontaires ont été tués cette année, selon un résident local qui a voulu garder l’anonymat. Le résident a dit qu’un homme a été attaqué chez lui à la maison tout juste après son enrôlement.

Le risque que les djihadistes punissent collectivement les communautés où les recrues se rassemblent a été mis en évidence par l'attaque de la semaine dernière contre le convoi des déplacés, qui retournaient à la maison après une année et demi d’absence.

Des témoins ont rapporté à TNH que les hommes ont été séparés des femmes et des enfants et emmenés manu militari. « Ils nous ont dit que nos maris avaient essayé de les tuer, » a déclaré Wendpengda Ouédraogo, qui faisait partie des 21 femmes et enfants qui furent libérés par les djihadistes.

« Ils n’ont pas pitié des gens »

Selon les statistiques données par ACLED, plus de la moitié des 19 offensives lancées par les volontaires depuis février ont ciblé les civiles– tous membres de la communauté peuhle du pays, qui est souvent accusée de collaborer avec les djihadistes.

Selon des analystes, ces offensives– qui ont coûté la vie à des dizaines de peuhls- ont aggravé les tensions ethniques entre la communauté d’éleveurs de bétail et les autres groupes non peuhls dont les membres se sont fait enrôler comme volontaires.

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Un habitant de 59 ans d’un village appelé Sam-situé à 15 kilomètres de Kongoussi– a dit que les volontaires ont aligné quatre peuhls contre un mur en février et les ont fusillés–tuant deux et blessant les autres.

Les volontaires ont ensuite mis les membres de la communauté non peuhle en garde qu’ils subiraient le même sort s’ils visitaient les villes des peuhles, selon l’habitant de 59 ans qui bien que n’ayant pas été témoin oculaire de l’incident, dit avoir échangé avec l’un des hommes blessés plus tard.

« Les populations peuhles sont systématiquement sorties des véhicules, contrôlées, humiliées, torturées et parfois tuées à cause de leur apparence ethnique par les volontaires, » selon une déclaration faite par le Collectif contre l'impunité et la stigmatisation des communautés, un groupe de défense des droits qui lutte contre les abus des peuhls.

Les membres des autres communautés–en dehors des peuhls– disent que les volontaires ont volé leurs biens et les ont menacés sans aucune raison valable. Un homme de 65 ans, qui habite aussi à Sam, a dit qu’un groupe a exigé que sa maison soit fouillée en février parce qu’ils avaient vu des hommes arriver à motos dans le village la veille et donc les soupçonnaient d’être des djihadistes.

« Au début, je m’étais déplacé à cause des terroristes, mais à présent, je ne peux plus retourner à cause des volontaires, »

L’homme de 65 ans a expliqué que les hommes en question étaient ses fils, mais les volontaires lui ont dit qu’il subirait des conséquences s’ils remarquaient quelque chose de suspect encore. « Ils n’ont pas directement dit, « on va te tuer », mais ils ont dit qu’ils n'ont pas pitié des gens ni ne font d'exception pour les gens qu'ils connaissaient », a déclaré l'homme.

Bien que l'homme de 65 ans ait été obligé de fuir à Kongoussi peu après l'incident, à la suite d’une attaque djihadiste, il a déclaré que les volontaires étaient la principale raison pour laquelle il n’est pas retourné. D’autres habitants de Sam sont d’accord sur ce point : « Au début, je m’étais déplacé à cause des terroristes, mais à présent, je ne peux plus retourner à cause des volontaires, » a déclaré l’un d’eux.

Bien que la loi sur le volontariat stipule que les éléments des groupes d’autodéfense doivent passer des tests de moralité, et que les membres de la communauté aient été informés qu'ils auraient leur mot à dire sur le choix des éléments, Tamboura a dit à TNH qu’il a choisi ses neuf hommes parce qu’ils étaient les plus courageux.

D’autres volontaires ont déclaré que les membres étaient nominés par les leaders communautaires, ou choisis parce qu’ils ont dit détenir des pouvoirs mystiques qui les aident à combattre. « Les terroristes savent que les puissantes coutumes traditionnelles de ces villages sont difficiles à vaincre, » a déclaré un volontaire qui a voulu garder l’anonymat.

Faire le sale boulot

Les volontaires ne sont pas les seuls groupes d’autodéfense au Burkina Faso : une milice locale de défense appelée Koglweogo compte des dizaines de milliers d’éléments dont la tâche principale est de combattre le crime mais qui souvent combattent les djihadistes.

The Koglweogo
Philip Kleinfeld/TNH
The Koglweogo, one of a growing number of self-defence groups in Burkina Faso, is deployed to manage the crowd at a community gathering in the town of Ziniaré in March 2019.

Un rapport récent de Clingendael Institute, un groupe de réflexion basé à la Haye, a souligné le fait que les politiciens pourraient être tentés d’utiliser ces groupes pour garantir des gains électoraux, surtout si le scrutin de novembre est très disputé et le résultat indécis.

« Dans des contextes fragiles comme celui du Burkina Faso, ces groupes ne sont pas à l'abri de la politique partisane et peuvent facilement se transformer en milices incontrôlables, » déclare le rapport.

Selon les statistiques de l’opposition, les volontaires pourraient bien être en faveur du parti au pouvoir si ce dernier les approchait, mais ceux qui ont été interrogés par TNT ont déclaré qu’ils n’avaient pas encore eu de discussion avec les politiciens au sujet des élections.

« Les leaders du pays paieront les volontaires pour voter pour eux et pour rassembler les autres pour voter aussi, » a déclaré Boukary Kaboré, un éminent homme politique qui souhaite être candidat aux élections présidentielles mais qui est confronté à une difficulté, à savoir l’inscription de son nom sur la liste électorale.

Les groupes de défense des droits de l’homme craignent également que les autorités gouvernementales sous-traitent davantage avec les volontaires parce que les forces de sécurité du pays sont  de plus en plus surveillés pour des abus présumés commis lors des opérations antiterroristes.

« Nous nous nous soucions du fait que les forces volontaires finiront par jouer le rôle d’intermédiaires sous-traitance incontrôlables pour l’État et faire le sale boulot pour lui, » a déclaré Jonathan Pedneault, chercheur à Human Rights Watch.

Les membres des familles des volontaires ont lancé un appel au gouvernement pour qu’il apporte plus de soutien à leurs proches : « La situation n’est pas juste, » a déclaré Adama Sayoré, dont le fils de 25 ans n’avait jamais manipulé d’arme avant son adhésion au programme. « Il ne peut pas combattre les terroristes. »

sm/pk/ag

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