Il y a deux mois, personne ne pouvait pénétrer dans ce secteur, connu sous le nom de la montée Omari. Une barricade avait été érigée au milieu de l’escalier reliant les deux quartiers et un sniper était posté en haut des marches. C’est la première fois depuis dix ans qu’Ahmad Bachouri, un jeune homme de 29 ans originaire de Bab al-Tabbaneh, peut circuler dans le quartier situé de l’autre côté de la ligne de démarcation.
« Avant, je ne pouvais pas passer. C’était l’une des zones les plus dangereuses du secteur », a-t-il déclaré à IRIN. « [Aujourd’hui], la guerre est finie. Tout semble être rentré dans l’ordre. Les gens ont perdu la volonté de se battre ; ils en ont assez des violences. J’ai décidé d’aider à déblayer le secteur pour montrer que nous pouvons vivre ensemble. »
Après la guerre civile au Liban (1975-1990), Tripoli a connu plusieurs cycles de violences entre la communauté alaouite de Jebel Mohsen et celle de Bab al-Tabbaneh, à majorité sunnite. Les tensions entre ces deux communautés se sont exacerbées en raison du conflit syrien dans le pays voisin, avant de s’apaiser grâce à un nouveau plan de sécurité national appliqué en avril. À mesure que la paix revient à Tripoli, la société civile tente de recoller les morceaux et de reconstruire la ville qui est divisée physiquement, psychologiquement et économiquement.
Coalition d’ONG
La reconstruction à laquelle M. Bachouri participe s’intitule « Effacer les traces de la guerre ». Lancée par une coalition d’organisations non gouvernementales (ONG) locales, cette opération consiste à retirer les décombres et les gravats, et à repeindre les façades des rues et des bâtiments.
Les travaux vont prendre du temps. Les traces de la guerre sont encore omniprésentes avec des murs couverts d’impacts de balles et même de roquettes, et des affiches de martyrs placardées un peu partout. Mais surtout, la guerre est ancrée dans l’esprit des habitants. Le projet ne prévoit donc pas seulement une réfection des rues, mais également des activités culturelles et éducatives, afin de rassembler les deux communautés.
La société civile a déjà essayé d’encourager la réconciliation par le passé. En 2010, par exemple, l’ONG Cross Cultures avait organisé une journée de rencontres footballistiques pour les enfants des quartiers rivaux qui devaient former des équipes mixtes et étaient encouragés à lier de nouvelles amitiés.
Plus récemment, les dix ONG présentes à Tripoli ont décidé de former une coalition, afin d’améliorer leur coordination et de recueillir davantage de fonds. Elles ont commencé à collaborer après le double attentat meurtrier du 23 août 2013 à Tripoli - l’une des attaques les plus sanglantes depuis la fin de la guerre civile.
Cependant, M. Nachabe ne cache pas que la société civile a besoin d’aide : « je pense que nous sommes toujours très vulnérables, car nous avons besoin d’un projet et d’une stratégie clairs. Il y a beaucoup d’ONG à Tripoli, mais 90 pour cent d’entre elles sont liées à des hommes politiques ».
Les ONG travaillent depuis peu en partenariat avec la municipalité. « Effacer les traces de la guerre », par exemple, est un projet coordonné à la fois par les ONG et par la municipalité. « Les ONG à Tripoli fournissent un travail énorme, mais elles ne sont pas toujours bien organisées », a expliqué Mohammad Chamsin, conseiller municipal. « Elles ont besoin d’un intermédiaire pour les coordonner, afin d’éviter qu’elles ne travaillent sur les mêmes projets. »
Emploi et enseignement
Pour M. Chamsin, la première des priorités est aujourd’hui l’enseignement. En effet, beaucoup d’enfants n’ont pas pu être scolarisés pendant les combats ; soit parce qu’ils ne pouvaient pas quitter le quartier assiégé, soit parce que leurs écoles étaient fermées. La création d’emploi est également une priorité. Le conseil municipal envisage de déplacer le marché de Bab al-Tabbaneh à un autre endroit, afin d’empêcher que les commerçants ne soient victimes d’extorsion de la part de certaines milices. « Si nous déplaçons le marché, cela permettra d’amputer les combattants d’une partie de leur source de revenus », a déclaré M. Chamsin. « Nous voulons également oeuvrer à la création d’emplois, afin que les habitants de ces quartiers n’aient pas à utiliser des armes pour nourrir leurs familles. » Le secteur comptait aussi quelques ateliers textiles que le conseil municipal souhaite développer pour rendre de nouvelles exportations possibles.
Les habitants sont conscients de la précarité de l’équilibre retrouvé, et les chefs communautaires signalent que les combats peuvent reprendre à tout moment, en particulier s’il n’y a pas de développement à long terme, ni de création d’emplois. « Mais que devons-nous faire ? », a demandé l’un des bénévoles chargés de nettoyer la montée Omari. « Jeter de l’huile sur le feu ou essayer d’y verser de l’eau ?... Je ne crois pas que l’avenir proche sera aussi radieux que nous l’imaginons, mais je pense à tous les enfants de Tripoli qui méritent d’avoir plus de chance en grandissant. »
M. Chamsin, du conseil municipal, partage cet avis mitigé : « nous avons bon espoir que la paix dure quelques années ou au moins quelques mois. Mais il n’y a rien que nous puissions faire à ce sujet, car ce sont les hauts responsables politiques qui déterminent s’il y aura la guerre ou la paix à Tripoli. Les décisions sont prises hors du Liban et nous en sommes réduits à subir les conséquences. »
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