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Disparités économiques dans le camp jordanien de Za’atari

The market on the main street in Za'atari camp for Syrian refugees in Jordan. The camp is now Jordan's fourth largest city. Residents have nicknamed the main street the Champs-Élysées of Za’atari Areej Abuqudairi/IRIN
The market on the main street in Za'atari camp for Syrian refugees in Jordan. (Oct 2013)
Il y a tout juste un peu plus d'un an, des milliers de tentes blanches ont été dressées près de la frontière jordano-syrienne pour héberger « temporairement » les réfugiés syriens qui avaient fui les violences qui déchiraient déjà leur pays. Des vagues de réfugiés ont depuis envahi ce camp situé en plein désert. Za’atari, qui héberge maintenant 120 000 réfugiés syriens, est devenu la quatrième plus grande ville de Jordanie et le quatrième plus grand camp du monde.

En réponse aux besoins de la population, un marché a pris place le long de la rue principale qui part de l'entrée du camp et s'étend sur plusieurs kilomètres. On y trouve des épiceries, des boutiques de vêtements, des restaurants, des boulangeries, des cafés, des magasins d'électronique et des coiffeurs.

Toute cette frénésie commerciale a engendré son lot de gagnants et de perdants, d'acheteurs et de vendeurs, de nantis et de laissés-pour-compte, d'honnêtes commerçants et de fieffés voleurs.

Ces disparités alimentent les ressentiments. D'autant plus que ceux qui s'en sortent le mieux sont accusés de profiter du système humanitaire aux dépens de ceux qui vivent à la limite de la survie, dans un environnement peu règlementé et peu sûr.

Plus de 2,1 millions de Syriens se sont réfugiés dans tout le Moyen-Orient et les Nations Unies s'attendent à ce que leur nombre continue d'augmenter régulièrement jusqu'à l'année prochaine.

Une « jungle »

Dans une petite boutique faite de plaques de tôle posées sur des pieux de bois, Muhammad al-Hariri vend des vêtements d'occasion pour un ou deux dinars (1,40 et 2,80 dollars) pièce.

« C'est pour les gens désespérés qui ont besoin de n'importe quoi pour se couvrir, quand [les vêtements qu'ils portaient en arrivant] deviennent trop usés », a-t-il dit à IRIN.

Quelques mètres plus loin, Ashraf Khalil est assis dans une « caravane », une remorque préfabriquée qu'il a achetée et transformée en magasin de vêtements pour hommes qu'il vend entre 8 et 20 dinars jordaniens (11 à 28 dollars) pièce.

« Certaines personnes ont les moyens de s'en acheter. C'est moins cher que n'importe quel magasin d'Amman [la capitale jordanienne] », a-t-il dit, zappant entre les chaînes de sa télévision pendant qu'un ventilateur — luxe rare dans le camp — lui fait un peu d'air.


Les réfugiés disent que ceux qui sont arrivés l'année dernière se sont emparés des meilleurs emplacements du marché et louent désormais leur boutique ou vendent « leur » emplacement à d'autres commerçants. Tout le monde reçoit le même niveau d'aide et de soins médicaux des organisations humanitaires, mais certains réfugiés ont également un revenu, tandis que d'autres non.

Des gens louent leur emplacement pour 50 dinars (70 dollars) par mois et le vendent pour 1 000 dinars (1 412 dollars), a dit Fadi Abu Dias, propriétaire d'un bureau de change.

« On peut dire que nous vivons dans la jungle. Le plus fort dévore le plus faible », a-t-il dit à IRIN.

Revente de l'aide

Des tentes, des caravanes, des sièges de toilette, des couvertures et d'autres produits distribués par les organisations humanitaires sont vendus ouvertement dans le camp de Za’atari. Les caravanes données par les pays du Golfe étaient censées remplacer les tentes des Nations Unies, qui sont plus vulnérables aux intempéries, mais il n'y en a pas assez pour tout le monde.

S'ils quittent le camp pour aller vivre dans une ville jordanienne, les réfugiés sont censés rendre leur tente ou leur caravane au Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Or, selon Abu Dias, des caravanes sont vendues jusqu'à 200 dinars (282 dollars).

Si certaines familles syriennes pauvres n'ont pas les moyens de s'en offrir une, d'autres en possèdent plusieurs.

« Certains réfugiés vendent leur carte [d'enregistrement] (qui leur donne droit à l'aide des organisations humanitaires) avant de retourner en Syrie », a dit Kilian Kleinschmidt, directeur du camp pour le HCR. « D'autres les utilisent pour obtenir plus d'aide, dont des caravanes, puis les vendent. »

Abu Lina Hourani, qui était négociant en Arabie Saoudite, a meublé ses trois caravanes avec des tapis, une télévision par satellite, un réfrigérateur, une machine à laver et une cuisinière. Il a installé ses caravanes en forme de U pour créer un « jardin intérieur » comme celui qu'il avait en Syrie. Il s'est aussi construit une salle de bain en brique dans laquelle il a installé un siège de toilette.

« Nous ne sommes pas ici parce que nous avons faim ou que nous sommes pauvres. Nous avons juste besoin d'un lieu sûr. Je veux que ma fille dorme dans la dignité et dispose d'un espace privé », a-t-il dit en fermant le portail en métal qui clôt l'accès aux trois caravanes. Son fils dirige maintenant une petite entreprise de transport en camion réfrigéré pour des produits comme le yaourt.

Abu Dias estime que le camp de Za'atari compte au moins 50 bureaux de change en plus du sien. Selon lui, de nombreux Syriens sont arrivés en Jordanie avec « beaucoup d'argent » et certains s'en sont servi pour monter leur entreprise dans le camp. De nombreux Syriens, notamment ceux qui sont originaires du gouvernorat de Dera’a, dans le sud de la Syrie, ont des proches qui vivent dans les pays du Golfe et qui leur envoient parfois de l'argent.

« Cela contribue aux différences de classe », a-t-il remarqué.

Selon la banque mondiale, le revenu national brut par habitant en Syrie était de 5 200 dollars en 2012.

Le Programme alimentaire mondial (PAM) distribue toutes les deux semaines à chaque famille de réfugiés un paquet de rations sèches contenant du boulgour, du riz, du sucre, des lentilles, du sel et de l'huile végétale.

« On peut dire que nous vivons dans la jungle. Le plus fort dévore le plus faible »
Pour pouvoir s'acheter des légumes, des produits laitiers et de la volaille, les réfugiés vendent la nourriture donnée par le PAM à des commerçants du camp, qui la revendent à des Jordaniens. Cette pratique est légale et courante dans de nombreux camps de réfugiés de par le monde.

« Les Syriens viennent d'un pays à revenu relativement moyen, alors ils ne mangent pas des haricots et du riz tous les jours », a dit à IRIN Jonathan Campbell, coordinateur des secours d’urgence du PAM.

« Nous n'exploitons pas nos compatriotes. Nous ne faisons que les aider », a dit Abu Fawzi, propriétaire d'un magasin vendant des produits fournis par les organisations humanitaires tels que de la nourriture et des kits de cuisine et d'hygiène qu'il a achetés à des Syriens. « Ils peuvent utiliser l'argent pour acheter des choses dont ils peuvent réellement avoir besoin ». Des commerçants jordaniens viennent ensuite au camp pour lui acheter des produits en gros.

Le mois dernier, le PAM a mis en place un système de bons d'achat, que les réfugiés peuvent utiliser pour acheter des produits dans deux magasins tenus par des organisations communautaires.

Des prix élevés et pas de taxes

Les commerçants ne payent pas de taxes ni de factures d'électricité, mais selon les réfugiés, les produits sont vendus à Za'atari au même prix, voire plus cher, que dans les autres marchés de Jordanie, notamment les fruits et légumes.

De nombreux réfugiés ont l'impression de se faire arnaquer par les commerçants, qui ne répercutent pas sur le consommateur les économies qu'ils font en ne payant pas de taxes ni d'électricité. Les réfugiés ne peuvent pas quitter le camp tant qu'un citoyen jordanien ne se porte pas caution pour eux (même si les responsables de la sécurité et les travailleurs humanitaires disent que de nombreux réfugiés parviennent grâce à leurs connexions à faire passer des gens et du matériel à l'intérieur et à l'extérieur du camp). Les consommateurs constituent donc un marché littéralement captif.

« Ils [les réfugiés qui ont un revenu] attendent dans la même queue que nous lors des distributions, que ce soit de nourriture, de vêtements ou de quoi que ce soit d'autre », a dit Amina Zubi, qui est arrivée en Jordanie accompagnée de ses enfants avec pour seule possession les vêtements qu'elle portait sur elle. « Ils utilisent leurs frères et soeurs plutôt que de les soutenir ».

Pour pouvoir acheter des produits sur le marché de Za’atari, Zubi envoie son fils de 13 ans travailler.

Ce dernier se tient avec une brouette au milieu du marché et offre aux réfugiés de transporter leurs achats ou l'aide qui leur a été distribuée jusqu'à chez eux. Selon la distance, Mohammad Kahir gagne entre 0,50 et 2 dinars (0,70-2,80 dollars) par voyage.

« Nous devons bien vivre. Nous ne pouvons pas manger du boulgour et des lentilles tous les jours », a-t-il dit.

M. Hourani n'est pas d'accord avec l'affirmation de Mme Zubi selon laquelle les réfugiés relativement aisés profiteraient du système d'aide lorsqu'ils bénéficient de ces services gratuits. « Cette aide nous est destinée. Pourquoi devrions-nous dépenser notre argent ? »

« Bon revenu »

Le marché a bien sûr ses avantages. C'est le seul endroit où les réfugiés peuvent acheter des produits qui ne sont pas fournis par les organisations humanitaires, tels que des fruits, des légumes, de la viande, des épices syriennes et des desserts. Pour beaucoup de réfugiés, ce marché est également une manière de se souvenir de la vie normale qu'ils menaient dans leur pays d'origine avant la guerre.

« Il a beau être situé en plein désert, l'atmosphère est la même que sur le marché de Dera’a », a dit un réfugié en faisant référence à la ville du sud de la Syrie dont proviennent de nombreux habitants du camp.

Certains réfugiés reconnaissent tirer un avantage des activités des habitants plus prospères. Certains gagnent un salaire honnête, par exemple.


Un serveur a ainsi dit que le restaurant qui l'employait gagnait environ 200 dinars (282 dollars) par semaine en vendant des sandwiches et du poulet rôti.

Un autre Syrien, qui a souhaité garder l'anonymat, a dit qu'il gagnait environ 15 dinars (21 dollars) par jour en travaillant dans un café tenu par un réfugié syrien « riche » vivant en dehors du camp.

« C'est un bon revenu, surtout lorsque vous n'avez pas de loyer ni rien d'autre à payer », a-t-il dit à IRIN.

Des changements en perspective

Outre les différentes classes sociales qui composent le camp, des habitants ont, selon des réfugiés, formé des sortes de mafias impliquées dans des crimes organisés à travers le camp.

Une petite minorité d'habitants auraient semé le chaos dans le camp en créant des émeutes et en attaquant des responsables de la sécurité, des travailleurs humanitaires et d'autres réfugiés. Ils profiteraient de cette insécurité pour voler et revendre des produits distribués par les organisations humanitaires tels que des caravanes, des tentes et du matériel pour les toilettes publiques.

« Certains se sont entourés de shabihas, » a dit Issa Lafi, âgé de 20 ans, en faisant référence aux milices soutenant Bachar Al-Assad dans le combat contre les rebelles en Syrie. « Ils [les] engagent pour voler des choses la nuit dans le camp puis ils les revendent ».

Mille caravanes ont été volées en une seule nuit, ont dit à IRIN des réfugiés et un employé chargé de la sécurité, et la police « n'ose pas intervenir ».

Un autre responsable de la sécurité, qui a accepté de parler sous couvert d'anonymat, a dit à IRIN qu'il pouvait être très difficile d'assurer l'ordre dans le camp.

Les réfugiés « refusent de coopérer [...] Lorsque nous essayons d'empêcher des voitures de faire passer illégalement des Syriens pour aller travailler à Mafraq, ils nous jettent des pierres, même les enfants ». À plusieurs reprises, des réfugiés ont poignardé des membres des forces de sécurité jordaniennes ou les ont frappés avec des bâtons et des pierres.

Les réfugiés syriens ont dit que ceux qui coopéraient avec la police et les forces de sécurité jordaniennes étaient « rejetés socialement » par les habitants du camp.

Le manque de respect de la loi et de l'ordre dans le camp préoccupe depuis longtemps le HCR.

« Bien sûr nous nous inquiétons de savoir combien de personnes agissent dans le camp avec tous ces signalements de mafias », a dit M. Kleinschmidt.

Il espère qu'en améliorant la gestion générale du camp et en introduisant une structure de gouvernance, ces problèmes pourront être « réglés » d'ici la fin de l'année.

Le plan consiste à diviser le camp en plusieurs districts, avec des noms de rues et des représentants locaux qui pourront travailler en coopération avec le personnel humanitaire.

« Renforcer la gouvernance locale nous permettra de mieux contrôler chaque district du camp », a dit M. Kleinschmidt en ajoutant que les commerçants allaient également devoir payer une licence commerciale et des factures d'électricité à un moment donné.

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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