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Alors que l’aide arrive dans le sud du Yémen, les difficultés se multiplient

Ali Naser Awaas stands in front of his bus that blew up when he drove over a landmine infront of his house in Zinjibar, Abyan as he was beginning his work soon after he returned in October 2012. Ali lost his son and injured his leg in the accident. His on Amira Al-Sharif/UNHCR

L’aide commence à affluer dans le gouvernorat d’Abyan, situé au sud du Yémen, alors que le conflit s’apaise et que des dizaines de milliers de personnes rentrent chez elles. Cependant, cette intensification intervient dans un contexte difficile et toujours fragile. Les travailleurs humanitaires se gardent de montrer trop d’optimisme.

Le conflit, qui a débuté en mai 2011 et qui a vu des groupes militants s’opposer aux forces gouvernementales pendant plus d’un an, a provoqué le départ de quelque 200 000 personnes du gouvernorat d’Abyan. En juin 2012, les forces gouvernementales ont indiqué avoir évincé les groupes militants liés à Al-Qaida qui contrôlaient la zone l’année précédente ; environ la moitié des déplacés ont depuis regagné leur domicile, selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

Cependant, le gouvernorat d’Abyan – l’un des 21 gouvernorats du pays qui compte 542 640 habitants, selon les chiffres rendus publics par le Fonds social pour le développement en 2012 – a été mis à mal par la destruction massive des infrastructures, la perte des moyens de subsistance, le non-fonctionnement des services de base et l’insécurité persistante. Les enfants sont scolarisés dans des écoles sans toit ; l’ordre public n’a pas été rétabli ; la police est absente des rues. S’il est vrai que les militants ont taillé leur barbe et changé de tenue vestimentaire, ils sont toujours très présents, indiquent les travailleurs humanitaires. Et les vestiges du conflit risquent de raviver les tensions.

« C’est maintenant qu’il faut réagir », a dit à IRIN Ismail Ould Cheikh Ahmed, coordonnateur humanitaire au Yémen.

La communauté humanitaire présente au Yémen considère que cette période de calme relatif constitue une fenêtre d’opportunité pour commencer à reconstruire la société du gouvernorat d’Abyan ; elle a donc commencé à accroître l’aide dans une région à laquelle elle n’avait plus accès depuis 2011.

Par l’intermédiaire de ses partenaires, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a distribué 150 000 kits-école aux rapatriés en novembre et en décembre ; le HCR a fourni des abris et des kits comprenant des articles de maison à plus de 20 000 familles ; le Programme alimentaire mondial (PAM) a entamé son premier cycle de distributions alimentaires, ciblant 20 000 familles à Abyan ; et M. Ould Cheikh Ahmed a effectué son premier déplacement dans la région.

Plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) internationales dirigent des programmes, complétant ainsi l’action des ONG locales qui étaient parmi les seules présentes dans la région lorsqu’elle était encore contrôlée par Ansar al-Sharia, un groupe issu d’Al-Qaida. Les travailleurs humanitaires ont établi des centres opérationnels dans deux des districts d’Abyan les plus touchés - Zinjibar et Khanfar – et ont mis en place un groupe de travail centré sur la réinsertion des rapatriés, qui reçoivent un colis alimentaire, des produits d’hygiène et un abri dès leur retour.

« Abyan est notre première priorité », a dit Naveed Hussain, représentant du HCR au Yémen, après son déplacement à Zinjibar, la capitale du gouvernorat. « Les habitants ont fait preuve d’un réel courage en revenant et il est de notre responsabilité de ne pas les décevoir ».

Cependant, les rapatriés, et les personnes qui leur viennent en aide, sont confrontés à plusieurs défis.

Un retour prématuré ?

Selon des travailleurs humanitaires, en août, le gouvernement a demandé aux agences d’aide humanitaire d’arrêter les distributions d’’aide à Aden, la ville portuaire la plus stable du Sud où la plupart des déplacés ont trouvé refuge.

« Le gouvernement a fortement insisté pour que l’aide soit rapidement concentrée sur Abyan plutôt que sur Aden afin de faciliter les rapatriements », a dit Joy Singhal, Directeur-adjoint et chargé de programme humanitaire au Yémen de l’ONG internationale Oxfam. « Je pense que nous devrions aider les gens à avoir davantage de choix en nous assurant que leurs besoins de base, y compris la sécurité, sont satisfaits ».

Les travailleurs humanitaires indiquent qu’ils ont été surpris de la rapidité avec laquelle le rapatriement a été effectué – seules 3 000 à 5 000 familles se trouveraient encore à Aden. Ils doutent cependant que toutes les personnes qui bénéficient de l’aide distribuée à Abyan soient revenues de manière permanente.

« Nous nous inquiétons de la rapidité avec laquelle les populations sont revenues à Abyan et du moment qu’elles ont choisi pour le faire, car nous savons qu’il y a très peu de disponibilités, que l’accès aux services de base est limité, qu’il y a peu d’infrastructures et que l’ordre public n’a pas été rétabli », a ajouté M. Singhal. « À ce stade, la communauté humanitaire doit tout faire pour fournir des services aux rapatriés afin que ces derniers vivent en sécurité ».

Qui a le contrôle ?

Depuis juin 2012, le gouvernement yéménite a dépollué plus de 25 kilomètres carrés de terres minées dans des zones urbaines, où l’on dénombrait plusieurs victimes chaque jour. Mais une zone de la superficie du Liban est toujours contaminée, a indiqué le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) dans son dernier bulletin, et selon les travailleurs humanitaires, le processus de déminage est lent.

« Ansar al-Sharia bénéficie encore d’un fort soutien et cela complique de plus en plus leurs opérations », a dit Marco Valentini, qui dirigeait les opérations menées dans le sud du Yémen par le Conseil danois pour les réfugiés (Danish Refugee Council, DRC) l’automne dernier, au début des opérations de déminage. « Ils nettoient une zone, et le lendemain, ils trouvent de nouveaux engins non explosés ».

Si les combats se sont apaisés, et que la sécurité s’est fortement améliorée au cours de ces derniers mois, on signale toujours des attentats-suicides à la bombe, qui sont souvent le résultat des représailles de membres d’Ansar al Sharia contre les membres des groupes appelés comités populaires. Ces comités se sont opposés aux militants lorsque les forces gouvernementales n’étaient pas présentes sur le terrain. (Selon des observateurs, la série d’attaques menées l’année dernière témoigne des capacités logistiques et organisationnelles d’Ansar al-Sharia).

Des soldats de l’armée sont stationnés à l’entrée des villes et communes, mais la gestion des points de contrôle et de la circulation dans les quartiers est souvent laissée aux comités populaires – des hommes ou des garçons armés (certains n’ont pas plus de 13 ans) qui ont parfois des difficultés à maintenir l’ordre public et qui n’ont aucune compréhension des principes humanitaires.

« L’un des principaux défis est de déterminer les affiliations de ces comités populaires », a dit un travailleur humanitaire qui se rend fréquemment à Abyan.

Une grande partie des membres des comités populaires sont d’anciens partisans d’Ansar al-Sharia qui ont changé de camp lorsque le gouvernement a repris le contrôle de la région, ce qui complique un peu plus une situation déjà floue pour les travailleurs humanitaires.

« Il y a aussi des problèmes avec les tribus », a ajouté Gerald Maier, directeur de l’Adventist Development and Relief Agency (ADRA) au Yémen. « On ne sait pas vraiment à qui on a à faire et cela complique la situation ».

« Nous constatons qu’Ansar al-Sharia n’est pas vaincu. Ses membres sont simplement dispersés », a dit un autre travailleur humanitaire, qui a demandé à garder l’anonymat. « L’armée n’a pas les capacités nécessaires pour contrôler le territoire. Cela crée des problèmes humanitaires en termes d’accès ».

Jusqu’ici, les comités populaires n’ont pas fait obstacle à la distribution de l’aide humanitaire, selon M. Singhal, mais le manque de sécurité a mis un frein à l’organisation d’actions humanitaires de plus grande ampleur. Au cours de cette visite, M. Ould Cheikh Ahmed a réclamé un renforcement de la présence policière à Abyan.
 

« À ce stade, il est important que la population constate une amélioration des services. Il s’agit d’une priorité – pour retrouver ce niveau de normalité » - Ali Eltayeb, Mercy Corps

L’action humanitaire est principalement menée par le personnel national, le travail du personnel international se limitant aux déplacements de jour à Abyan, lorsque les conditions de sécurité le permettent. Bon nombre d’agences d’aide humanitaire n’ont pas de bureau dans les zones les plus touchées du gouvernorat ; leur personnel fait donc l’aller-retour entre Aden et les zones plus sûres d’Abyan – certaines agences prévoient de remédier à la situation prochainement.

Le gouvernement a renforcé la présence militaire dans la région, mais il n’a pas suffisamment investi dans les structures policières et judiciaires, comme les prisons, les tribunaux et la police, selon les observateurs.

Si les travailleurs humanitaires n’ont pas directement été pris pour cible, l’absence d’ordre public a eu un impact sur leur action. M. Maier a indiqué qu’il avait été témoin d’actes d’intimidation de la part de personnes armées tentant d’obtenir ce qu’elles désiraient par la force aux points de distribution.

« Nous pouvons parler d’un État en déroute, avec un gouvernement incapable de fournir des services de base à la population civile, non seulement dans les zones rurales très éloignées, mais aussi dans les zones urbaines et semi-urbaines », a indiqué un autre travailleur humanitaire.

Les travailleurs humanitaires qualifient cependant le gouvernement – aussi faible soit-il – de partenaire : il a établi une unité exécutive pour prendre en charge les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI), il a prévu des fonds pour reconstruire Abyan et travaille en collaboration avec la communauté humanitaire.

Services et moyens de subsistance

Les services de base se sont sensiblement améliorés au cours des deux derniers mois ; l’eau et l’électricité ont été rétablies dans certaines zones et des marchés ont rouvert. Plusieurs agences d’aide humanitaire participent à la réhabilitation des infrastructures. Les travailleurs humanitaires indiquent toutefois que les services sont loin de fonctionner à pleine capacité ; des écoles et des hôpitaux sont en ruines ou couverts d’impacts de balle ; le téléphone a été coupé dans certaines zones et des personnes meurent en raison de l’inaccessibilité des soins de santé.

« À ce stade, il est crucial que la population constate une amélioration des services », a dit Ali Eltayeb, directeur du bureau de l’ONG Mercy Corps à Aden. « Il s’agit d’une priorité – pour retrouver ce niveau de normalité ».

Sans cela, indiquent les travailleurs humanitaires, la circulation risque d’augmenter entre Aden et Abyan.

« Les habitants d’Abyan ont choisi de rentrer chez eux », a dit Mona Duale, administratrice des affaires humanitaires d’OCHA stationnée à Aden. « Si nous ne saisissons pas l’occasion, l’opportunité de les aider à reconstruire leur vie et à renforcer la disponibilité des services de base, ils risquent à nouveau de quitter Abyan pour trouver de meilleures conditions de vie et de meilleurs services ».

Même dans les zones où des services de base sont proposés, il n’y a pas de moyens de subsistance.

Bon nombre de ceux qui ont quitté Abyan étaient des agriculteurs de subsistance ou des pasteurs.

« Il leur est difficile de recommencer leur vie là où ils l’ont arrêtée », a dit Miriam Watt, directrice des programmes de l’ADRA au Yémen.

Bon nombre d’entre eux sont revenus trop tard pour l’époque des semailles – et de toute façon – une grande partie de leurs terres ont été contaminées par les mines, leur bétail a été tué, leurs équipements ont été pillés et leurs puits détruits. Le manque d’eau et d’électricité complique le travail de la terre. Certains d’entre eux n’ont eu d’autres choix que d’accepter de travailler pour des propriétaires terriens plus riches qui ne sont pas encore revenus à Abyan.

Les quelques agriculteurs qui ont pu semer des cultures ne pourront pas les récolter avant le printemps. Bon nombre d’entre eux ont utilisé leurs économies lorsqu’ils étaient déplacés et reviennent dans un contexte de « période de soudure et de possible crise humanitaire », selon le DRC.

De plus, bon nombre de familles ne se sont pas enregistrées en tant que PDI, elles « risquent donc de ne pas pouvoir bénéficier » de l’aide proposée, a dit M. Watt.

« Chaque fois que nous effectuons des visites, des gens viennent nous dire : "Nous connaissons d’autres personnes" », a dit M. Maier. « Les besoins sont plus importants que ce que la plupart des bailleurs de fonds ont anticipé ».

Points de départ des conflits

La présence gouvernementale étant limitée, les salaires ne sont pas payés, et il y a peu de sources de revenu pour les rapatriés.

« Il n’y aura rien – pas d’argent, pas de travail », a dit M. Valentini, un ancien collaborateur du DRC. « Cela peut créer une situation de conflit ».

Il existe d’autres points de départ de conflit potentiels.

Lorsque le groupe Ansar al-Sharia contrôlait la région, il redistribuait des terres et des sources d’eau d’une manière jugée plus équitable et à ceux qui soutenaient les militants, a dit M. Valentini.

Dans d’autres cas, les personnes dont les maisons ont été endommagées ont simplement décidé d’occuper des bâtiments abandonnés qui ne leur appartenaient pas. Lors d’une évaluation réalisée l’automne dernier, le DRC a identifié au moins 20 maisons occupées par d’autres personnes que les propriétaires légaux.

« Nous craignons que le retour des propriétaires n’entraîne des conflits liés à la terre et aux propriétés immobilières », a-t-il dit.

Financements

Les travailleurs humanitaires indiquent que ces conditions sont autant de raisons d’accroître l’aide dans la région. Et si l’accès s’est amélioré, il y a un autre obstacle majeur : « La communauté humanitaire au Yémen est [désormais] capable de mener davantage d’actions, mais pour cela, nous avons besoin de fonds supplémentaires », a dit M. Ould Cheikh Ahmed, le coordonnateur humanitaire.

En 2012, un appel de fonds d’un montant de 92 millions de dollars a été lancé pour couvrir les dépenses alimentaires, les soins de santé et les abris des personnes revenant à Abyan. À la fin de l’année, seul 25 pour cent des fonds demandés avaient été versés.

Dans le cadre de son appel de fonds national pour 2013, la communauté humanitaire a demandé près de 70 millions de dollars pour réaliser des programmes dans le sud du Yémen. (OCHA et ses partenaires réexaminent le plan de réponse 2012 pour Abyan). Les bailleurs de fonds n’ont pas encore répondu à cet appel.

« Bon nombre de bailleurs de fonds pensent que la situation s’améliore », a dit M. Maier, dont le programme de coupons alimentaires est financé par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). « La situation sur le terrain montre que la communauté des bailleurs de fonds doit s’engager de manière durable et qu’il faut passer de l’aide d’urgence aux activités de développement. Une bonne partie des membres de la communauté ont perdu leurs fermes, leurs plantations et leurs sources d’eau. Il leur faudra du temps pour tout reconstruire ».

Pour les bailleurs de fonds, une partie du problème tient au fait que le Yémen est confronté à plusieurs crises, outre celle qui secoue Abyan : il doit faire face aux rebelles houthis dans le Nord et aux sécessionnistes dans le Sud, alors que le processus de transition politique déclenché par les manifestations du Printemps arabe, qui ont provoqué le renversement du président Ali Abdullah Saleh après 32 années passées au pouvoir, se poursuit.

Dans le contexte de cette crise largement oubliée, un million d’enfants souffrent de malnutrition ; près de la moitié de la population manque de nourriture et 13 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable. Plus de 320 000 personnes ont été déplacées dans le Nord en raison du conflit, et le Yémen accueille des centaines de milliers de réfugiés et de migrants vulnérables.

Les travailleurs humanitaires indiquent toutefois que les investissements réalisés dans le Sud permettront de renforcer la stabilité encore fragile du pays.

« Nous ne savons pas comment la situation va [évoluer] si des investissements importants ne sont pas réalisés à Abyan au cours des quatre à six mois à venir », a dit M. Singhal. « La population se montre patiente pour l’instant, mais cela risque de ne pas durer longtemps ».

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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