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Pourquoi les forces de police africaines attisent l’extrémisme violent

Police patrol in Mpeketoni, Lamu county, Kenya (July 2014) Jimmy Kamude/IRIN
Police patrol in Mpeketoni, Lamu county, Kenya (July 2014)

Pas assez nombreuses, mal payées, mal aimées, les forces de police africaines peinent à réprimer la criminalité ordinaire et sont encore plus dépassées lorsqu’il s’agit de lutter contre l’extrémisme violent.

Les services de police s’appuyant sur un modèle qui favorise la confiance et la collaboration de la population sont les plus à même d’identifier les menaces à l’ordre public, peut-on lire dans les guides d’orientation pour la prévention de l’extrémisme violent. Les relations positives sont en outre supposées contribuer à renforcer la résilience face à la radicalisation. Or, en réalité, un peu partout dans le monde, la police est considérée comme corrompue, violente et peu fréquentable.

« Dans la culture africaine, la police est là pour intimider et contraindre », a reconnu le brigadier kenyan Francis Mwangi, qui fait tout ce qu’il peut pour changer cette réputation. Vif d’esprit, s’exprimant avec aisance, M. Mwangi est la figure de proue d’une nouvelle initiative policière mise en place dans le bidonville de Kamakunji, à Nairobi, et qui cherche à travailler main dans la main avec la population pour freiner la radicalisation des jeunes.

Ayant trop souvent recours à la brutalité et aux arrestations arbitraires plutôt qu’à de véritables investigations, les forces de police classiques peuvent finir par être plus redoutées que les insurgés, ce qui est clairement contreproductif. Une nouvelle étude du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) reposant sur plus de 500 entretiens avec des djihadistes — kenyans, nigérians et somaliens pour la plupart —­ a révélé que dans plus de 70 pour cent des cas, l’élément déclencheur de leur enrôlement était un « acte de l’État », tel que l’arrestation ou l’exécution d’un proche.

Mais pourquoi les violations des droits de la personne et la résistance aux réformes sont-elles si profondément ancrées dans la culture de la police ?

Citoyen ou sujet

L’origine du problème est en partie historique. Les forces de police africaines ont été mises sur pied par les puissances coloniales pour garder le contrôle sur la population locale. L’indépendance n’a pas vraiment changé cette fonction de la police, qui reste largement celle de protéger et de représenter les régimes en place plutôt que de servir la population.

C’est pourquoi la plupart des forces de police manquent cruellement d’effectifs. Les Nations Unies recommandent 300 policiers pour 100 000 citoyens. Un ratio approximatif qui peut varier en fonction de nombreux facteurs. Cependant, plusieurs pays sont bien en deçà : le Kenya ne compte que 203 policiers pour 100 000 citoyens, le Nigeria 187 et le Mali, lui aussi touché par une insurrection islamiste, à peine 38.

Les forces de police sont également sous-équipées. Des véhicules aux stylos, en passant par le carburant, le papier et l’encre, le matériel le plus élémentaire fait souvent défaut. Sans parler des laboratoires de police scientifique et des bases nationales de données dactyloscopiques, qui peuvent eux aussi laisser à désirer.

Il n’est donc pas étonnant que les taux de condamnation soient peu élevés. En Afrique du Sud, pays qui dispose des forces de police parmi les plus modernes du continent, seulement 10 pour cent des affaires de meurtres donneraient lieu à une condamnation. Pour les violences sexuelles, ce taux descend à entre quatre et huit pour cent.

Dans un tel contexte, la tentation est grande d’avoir recours à la force pour obtenir des aveux. Au Nigeria, selon un rapport d’Amnesty International publié en 2014, la torture fait tellement partie du système de maintien de l’ordre que de nombreux postes de police disposent d’un agent officieusement désigné comme « chargé de torture ». La forte propension à tirer pour tuer illustre elle aussi l’échec du système pénal. Certains segments de la population sont en outre la cible de persécutions. Et les commandos de la police vont encore plus loin. Dans la ville portuaire de Mombasa, au Kenya, ils sont connus pour s’attaquer aux soi-disant « éléments radicaux », dont la mort ne fait qu’attiser la haine des jeunes musulmans, qui se considèrent déjà comme marginalisés.

Le Nigeria est un exemple frappant des conséquences de ce non-respect de la légalité. En 2009, la police nigériane a tué Mohamed Yusuf, fondateur de Boko Haram, alors qu’il se trouvait en détention. Cela n’a pas mis fin au mouvement, et son successeur, Abubakar Shakau, s’est révélé bien plus violent et implacable. L’impunité des chefs de police impliqués dans ce meurtre compromet d’autant plus l’autorité morale de l’État nigérian.

La défaillance de l’État est un facteur clé de la tolérance aux injustices. Un système politique corrompu engendre des flics corrompus. Si les États se montrent peu disposés à offrir des perspectives, des services et des droits à des pans entiers de leur population, « il y a alors peu de raisons de s’attendre à ce que la police nationale en fasse autrement », peut-on lire dans un rapport du Global Centre on Cooperative Security.

À la décharge de la police

La police a beau être à la botte de l’élite dirigeante, elle n’en tire aucun avantage politique. Les conditions de travail sont généralement épouvantables et les salaires peu élevés. Les familles des policiers tués en service n’obtiennent souvent leurs indemnités qu’à grand-peine et en échange d’une commission illicite. Un ancien inspecteur général de police nigérian a par ailleurs reconnu que certaines casernes étaient « pour le moins dégoûtantes ». Un policier a même dit à IRIN qu’en l’absence d’hébergement pendant ses premiers mois en poste à Maiduguri (nord-est du Nigeria), il avait dû dormir sur deux chaises en plastique. Et si les gros bonnets de la police accompagnent régulièrement des responsables politiques en visite éclair dans cette ville, ils en profitent rarement pour passer voir les policiers aux avant-postes de la lutte contre Boko Haram, qui sont souvent pris pour cible par les extrémistes.

Certains policiers se vengent sur la population (généralement sur les citoyens les plus vulnérables et sans défense). D’après une enquête Afrobaromètre menée dans 34 pays, la police est universellement considérée comme l’institution la plus corrompue, loin devant les hauts fonctionnaires, qui n’ont pourtant pas bonne réputation en la matière. « La plupart des policiers africains sont démoralisés parce qu’ils sont payés des cacahuètes », a dit M. Mwangi à leur décharge, mais sans grande conviction. « Ils ont une famille à nourrir et peuvent donc facilement être amenés à se compromettre. »

Dans l’enquête Afrobaromètre, plus de la moitié des répondants qui avaient été victimes d’un crime n’avaient pas porté plainte auprès de la police. C’est en Afrique de l’Est que le niveau de méfiance s’est révélé le plus élevé : seulement 43 pour cent des répondants ont dit qu’ils s’adresseraient à la police s’ils étaient victimes d’un crime. La police n’a en effet pas le monopole de la justice pénale. Plusieurs autres recours existent, chacun avec plus ou moins de légitimité et de lien avec l’État : proches disposés à venger la victime, milices locales, tribunaux coutumiers ou gardiens de sécurité privés. Les modèles occidentaux de prévention de l’extrémisme violent soulignent l’importance de la police de proximité — le typique agent qui fait sa ronde, cher aux Britanniques. Mais en Afrique, la surveillance policière de proximité n’a pas la même image. Si la population à recours à ces sources de sécurité informels, dont certains ne sont autres que des groupes d’autodéfense, c’est moins pour une question de légitimité de l’État que parce que ces dispositifs sont disponibles, accessibles et qu’ils inspirent la confiance, souligne le rapport du Global Centre on Cooperative Security.

Résistance aux réformes

La réforme du secteur de la sécurité occupe de plus en plus les humanitaires, malgré le manque de preuves de réussites concrètes. Selon le policier de Maiduguri interrogé par IRIN, les rapports rédigés par les experts de police externes et financés par les bailleurs de fonds prennent la poussière sur les étagères des officiers. La chercheuse Alice Hills estime que la réforme de la police ne peut se faire sans « changements sociopolitiques fondamentaux ». En l’absence d’adhésion de la part des autorités, les effets de ces réformes ne peuvent être que transitoires. Les leçons apprises par M. Mwangi à Kamakunji, par exemple, ne figurent pas encore au programme de l’école de police kenyane.

Il faut admettre qu’il est difficile de mener des réformes en plein cœur d’une insurrection. Dans un tel contexte, les gouvernements et leurs partenaires internationaux préfèrent opter pour des services de sécurité à la main de fer plutôt que pour une prévention plus douce de l’extrémisme violent. Dans la pratique, cela se traduit souvent par des brigades plus efficaces pour causer du tort à leurs concitoyens et extorquer des redevances. Ce qu’il faut, selon les chercheurs Rachel Kleinfeld et Harry Bader, ce sont des « programmes qui reconnaissent que les problèmes de fonds en matière de gouvernance reposent sur une question de motivation et de désir et non de capacité ».

oa/ag-ld

PHOTO D’EN-TÊTE : La police administrative kenyane en patrouille après un attentat perpétré par les Chabab

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