En 2012, Abdoulaye a fui la violence qui sévissait au Mali et s’est établi dans un camp de réfugiés situé de l’autre côté de la frontière, au Burkina Faso. À l’époque, le pays était en paix. Or cette année, en mars, le camp où il s’était installé a été pris pour cible par des extrémistes. Aujourd’hui, l’homme de 37 ans et sa famille ne savent plus où aller.
« Je ne pense pas pouvoir retourner au Mali, mais maintenant que je suis ici et que je vois la situation à laquelle le Burkina Faso doit faire face, je me demande vraiment ce qu’il adviendra de moi », dit-il. Pour des raisons de sécurité, Abdoulaye a préféré que son nom de famille ne soit pas publié.
Le Burkina Faso est aux prises avec une recrudescence marquée d’attaques menées par des groupes d’autodéfense et des extrémistes qui se revendiquent de l’État islamique et d’Al-Qaida. Près de 850 000 personnes ont dû quitter leur foyer — dont une vaste majorité, soit 770 000, depuis le début de 2019 — et deux millions de personnes ont besoin d’assistance humanitaire.
Les violences ont également bouleversé les vies des quelque 25 000 réfugiés maliens qui, comme Abdoulaye, comptaient sur l’État burkinabé pour assurer leur sécurité. Maintenant que les attaques ont vidé les camps où ils s’étaient établis et les ont privés du peu d’aide qu’ils recevaient, ils doivent jauger les options qui s’offrent à eux.
Depuis les violences survenues dans le camp de Goudoubo, où vit Abdoulaye, des milliers de résidents sont rentrés chez eux au Mali. Ils estiment en effet que la situation est désormais pire au Burkina Faso que dans leur propre pays. D’autres se sont réfugiés dans des villes plus sûres et éloignées du camp.
Au cours des derniers mois, les résidents du camp de Mentao ont également été la cible d’attaques commises par des extrémistes et par l’armée burkinabée. Les organisations d’aide humanitaire qui intervenaient sur place ont été contraintes de cesser leurs activités et la majorité des habitants ont dû quitter le camp pour s’établir dans des zones plus sûres.
Des milliers de résidents de Mentao ont demandé à participer au programme de rapatriement volontaire géré par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Le programme a cependant été suspendu jusqu’à nouvel ordre en raison des fermetures de frontières liées à la pandémie.
« Les réfugiés sont dans une impasse : ils sont pris au piège entre la violence extrémiste et la pandémie », explique Florence Kim, porte-parole régionale de l’agence des Nations Unies chargée des questions de migration, l’OIM.
Attaques contre les camps
Les Maliens ont commencé à fuir au Burkina Faso en 2012, après que des rebelles touaregs et des militants islamistes eurent profité du coup d’État militaire mené dans la capitale, Bamako, pour s’emparer de vastes pans de désert au nord du Mali.
Une offensive dirigée par la France a permis de chasser les djihadistes de plusieurs villes, mais ces derniers se sont rapidement regroupés dans l’arrière-pays malien. Ils se sont ensuite dirigés vers le sud et ont franchi la frontière burkinabée, faisant du pays voisin l’épicentre de cette crise régionale.
La hausse vertigineuse des déplacements internes et les besoins humanitaires considérables observés au Burkina Faso ont attiré l’attention des organisations d’aide humanitaire, mais le HCR n’a reçu jusqu’à présent que 12 pour cent des 12,5 millions de dollars demandés pour soutenir les réfugiés cette année.
Voyant l’aide diminuer, de nombreux réfugiés avaient déjà quitté le Burkina Faso avant les récentes attaques. Jusqu’en mars, toutefois, des milliers de personnes vivaient toujours sur des sites sous-financés du nord du Burkina Faso, dont 9 000 à Goudoubo, dans la province de Séno, et environ 6 500 à Mentao, dans la province de Soum.
La vaste majorité d’entre elles ont quitté les lieux depuis.
En effet, en mars, des hommes se décrivant eux-mêmes comme des « terroristes » sont entrés dans le camp où vit Abdoulaye. Ils ont battu sa femme, son jeune frère et ses trois enfants, les ont attachés et ont volé leurs vaches, leur argent et leurs motos. On leur a dit, ainsi qu’à tous les habitants du camp, qu’ils avaient cinq jours pour quitter les lieux — un ordre auquel peu d’entre eux ont osé désobéir.
Abdoulaye ne sait pas si ces hommes étaient à sa recherche ou s’ils voulaient simplement s’en prendre à quelqu’un qui avait de l’argent à voler. Il raconte qu’il se réveille parfois trempé de sueur en entendant dans sa tête le bruit d’un pistolet que l’on arme.
Pour Héni Nsaibia, chercheur sur le Sahel auprès d’ACLED, un organisme de suivi des conflits, les attaques montrent que la stratégie des groupes extrémistes évolue et qu’ils cherchent désormais à étendre leur contrôle dans les régions rurales.
« En dépeuplant le camp de Goudoubo, les extrémistes cherchent à transformer une zone contestée en une zone de guérilla. Il s’agit clairement d’une tentative d’expansion », analyse le chercheur auprès de The New Humanitarian.
Les attaques menées contre le camp de Mentao, situé dans l’une des régions les plus instables du pays, ont commencé il y a un an avec l’enlèvement d’un médecin, d’une infirmière et d’un chauffeur. À l’époque, l’événement avait forcé le HCR et d’autres organisations d’aide humanitaire œuvrant sur place à relocaliser leur personnel.
D’après Monique Rudacogora, fonctionnaire du HCR au Burkina Faso, les installations de santé du camp ne sont plus fonctionnelles depuis six mois et l’accès aux écoles et aux marchés est limité. Elle ajoute que l’insécurité s’est par ailleurs aggravée au cours des dernières semaines, et il ne reste plus qu’une dizaine de familles dans le camp.
Le HCR a dit qu’il négociait actuellement avec le gouvernement en vue de relocaliser les résidents ayant fui les deux camps à Goudoubo, mais la situation reste fragile et les réfugiés de Mentao doutent que l’armée soit capable de les protéger.
Plus tôt ce mois-ci, au moins 32 habitants du camp de Mentao ont été blessés, certains gravement, après que des soldats eurent pénétré dans l’enceinte du camp et accusé les réfugiés de complicité avec les extrémistes. Il s’agit du plus récent d’une série d’évènements ayant érodé leur confiance dans les forces de sécurité.
Un réfugié a dit à The New Humanitarian que les soldats du gouvernement l’avaient frappé avec des bâtons et que d’autres résidents du camp avaient subi des fractures aux membres. Il a en effet raconté que les soldats étaient passés de tente en tente fouettant leurs occupants, y compris les enfants.
« Ils ont dit qu’ils reviendraient dans trois jours et qu’ils n’épargneraient personne », a-t-il souligné.
Le gouvernement a expliqué que ses soldats avaient pris en chasse des combattants « terroristes » qui s’étaient réfugiés dans le camp après avoir lancé une attaque. Il a cependant ajouté qu’il déplorait la situation et qu’il ouvrirait une enquête visant à déterminer les responsabilités de chacun.
Des décisions difficiles
En mars, environ 4 000 réfugiés ont pris la décision difficile de quitter Goudoubo et de rentrer au Mali en ayant recours au programme de rapatriement volontaire géré par le HCR.
Dans le cadre de ce programme, chaque réfugié se voit offrir environ 60 dollars pour assumer ses frais de transport et obtient des informations au sujet de la situation dans la région de destination. Depuis ses débuts, en novembre 2014, le programme a aidé plus de 11 300 Maliens à rentrer chez eux.
Depuis, les restrictions liées à la pandémie ont toutefois entraîné la suspension temporaire du programme, et les quelque 4 000 résidents du camp de Mentao ayant demandé à être rapatriés ont été livrés à eux-mêmes. La plupart d’entre eux se sont installés à Djibo, une grande ville du nord où surviennent régulièrement des attaques et où, selon Mme Rudacogora, l’accès aux denrées alimentaires et aux logements est limité.
Or de nombreux réfugiés maliens ne veulent pas retourner au pays, car le conflit qui les a fait fuir s’aggrave et la mise en œuvre de l’accord de paix signé en 2015 par le gouvernement malien et les groupes armés continue de stagner.
Craignant le pire, environ 2 500 personnes ont quitté le camp de Goudoubo en mars pour s’établir sur un site de fortune dans la ville voisine de Dori. D’autres se sont dispersés aux quatre coins du pays. Le HCR a déclaré qu’il avait offert aux résidents trois mois d’aide au loyer.
« Ils ne voulaient pas rentrer chez eux parce qu’ils sentaient que c’était dangereux… et parce qu’[ils] cherchent encore à obtenir une protection internationale », explique Mme Rudacogora.
Issu d’une famille bien connue de la ville de Gao, dans le nord du Mali, Abdoulaye est particulièrement réticent à l’idée de rentrer au pays. Il raconte que son oncle et son frère, qui avaient quitté les camps burkinabés en 2016 et 2017 pour rentrer au Mali, ont tous deux été tués par des groupes djihadistes quelques semaines après leur retour.
« Ils sont venus chercher [mon oncle] chez lui et lui ont dit : Aujourd’hui, c’est ton tour. Ça fait longtemps qu’on te cherche. Dis adieu à ta famille. », raconte Abdoulaye. « Ils l’ont entraîné à 200 mètres de la maison, et l’ont abattu. »
Assis sur le plancher de la maison d’un parent à Ouagadougou, Abdoulaye feuillette son dossier d’asile. Huit ans après avoir déposé sa demande de protection, il attend toujours une réponse. « C’est très important : tout mon avenir dépend de cette réponse », précise-t-il.
Abdou, 34 ans – qui a aussi demandé l’emploi de son prénom uniquement – explique que sa famille est retournée au Mali en décembre 2018 après l’attaque d’un poste de police situé à proximité du camp de Mentao. Pour lui, retourner au Mali était « une décision difficile », mais, au bout du compte, c’était la bonne.
« On avait fui le Mali à cause de l’insécurité, mais l’insécurité nous a rattrapés [au Burkina Faso], » poursuit Abdou. « On s’est dit qu’il valait mieux retourner dans notre village, là où tout le monde nous connaît. »
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