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Le camp de réfugiés qui est devenu une ville

Mihiyo and family in Dadaab Moulid Hujale/IRIN
Quand Halima Abdi a fui la guerre civile en Somalie avec sa petite fille, elle espérait que leur séjour de l’autre côté de la frontière, dans le camp de réfugiés kényan de Dadaab, ne durerait pas.

Vingt-cinq ans plus tard, sa petite-fille, Mihiyo, nourrit son quatrième enfant au sein. Trois générations de réfugiés dans une famille : comme 350 000 autres Somaliens, cette famille est obligée de dire que ce campement aride et poussiéreux est devenu son foyer.

« Mes parents eux-mêmes ont passé la plus grande partie de leur vie ici. Nous ne connaissons que Dadaab, mais nous ne sommes pas Kényans », a expliqué à IRIN Mihiyo.

A l’origine, Dadaab ne devait être qu’une solution temporaire pour une partie des 90 000 réfugiés fuyant la guerre de clans de 1991. Aujourd’hui, ce complexe tentaculaire et animé compte cinq camps, des cinémas de fortune et de ligues de football – c’est la troisième ville du Kenya, après Nairobi et Mombasa.

La politique de confinement appliquée de manière stricte par le gouvernement kényan est l’une des raisons du développement de Dadaab : elle interdit aux réfugiés de s’installer à l’extérieur du camp. Traditionnellement, les gouvernements considèrent que cette solution est pratique sur le plan logistique et contribue à éviter d’éventuelles frictions avec les communautés hôtes.

Mais de plus en plus de voix s’élèvent pour dire que les camps ne devraient être qu’une solution de dernier recours, car ils créent plus de problèmes qu’ils n’en résolvent. Non seulement ils ne sont pas viables à long terme – ils nuisent à l’environnement et rebutent les bailleurs de fonds – mais encore ils maintiennent les réfugiés derrière leurs portes et les privent de leurs droits et libertés fondamentaux.

A lire : Alternatives aux camps de réfugiés : la politique peut-elle devenir la pratique ?

L’autonomie en question

Alors que le système humanitaire débat de la réforme des modalités de la fourniture de l’aide humanitaire, Dadaab semble présenter des exemples pratiques de la manière dont les communautés installées dans le camp peuvent jouer un rôle positif dans la gestion de leurs propres affaires.

Le gouvernement kényan et l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) assurent la gestion du complexe de Dadaab. Mais dans la pratique, ses cinq camps – Dagahaley, Hagadera, Ifo, et Ifo II et Kambioos, les deux camps les plus récents – sont dirigés par des bénévoles communautaires démocratiquement élus.

« Nous travaillons main dans la main avec les agences d’aide humanitaire. Nous avons mis en place un système très harmonieux qui nous permet de coordonner toutes les activités des camps, de l’assainissement à la sécurité », a expliqué Rukia Ali Rage, la présidente du camp d’Ifo.

Le complexe de camps de réfugiés de Dadaab est le plus grand au monde. « Le HCR et ses partenaires ne pourraient pas appliquer leurs programmes sans le soutien des leaders communautaires », a-t-elle dit à IRIN.

Mme Rage est devenue présidente du camp d’Ifo au terme d’élections organisées dans le camp en 2014, et elle quittera son poste à la fin de son mandat plus tard cette année. Il faut espérer que le gouvernement somalien de Mogadiscio, où des élections doivent être organisées cette année, retiendra cette leçon de démocratie.

Nécessité

Le rôle des leaders communautaires est né d’une nécessité. Le personnel des Nations Unies a brièvement quitté Dadaab en 2011, après l’enlèvement de travailleurs humanitaires, et des jeunes volontaires ont pris en main la gestion des services de base dans le camp.

« Il y a un consortium de jeunes composés de plusieurs groupes de jeunes. Chaque groupe mène un projet similaire aux projets organisés par les Nations Unies et ses partenaires de mise en œuvre », a dit Ali Hussein, vice-président du consortium de jeunes du camp d’Ifo.

« De cette manière, nous développons notre capacité, nous mettons les agences face à leurs responsabilités et nous aidons notre communauté en retour ».

C’est un point positif mais « notre inclusion dans la conception des projets représente notre plus grand défi », a expliqué Mme Rage.

« Nous souhaiterions obtenir un rôle plus actif dans la prise de décision dès la planification afin de mieux représenter les intérêts des personnes concernées ».

Menace de fermeture

Mais Dadaab est confronté à une menace plus grande encore. Avec la montée en puissance d’Al-Shabab et ses attaques très médiatisées sur le sol kényan, les représentants politiques n’ont pas tardé à accuser les camps d’offrir un sanctuaire et un soutien aux djihadistes. Cette accusation ne tient pas compte du fait qu’al-Shabab recrute également – et avec beaucoup de succès – des Somaliens non ethniques au Kenya.

En 2013, le HCR et les gouvernements kényan et somalien ont signé un accord tripartite visant à faciliter le retour volontaire des réfugiés – mais une condition importante était que le rapatriement s’effectue dans la sécurité et la dignité.

En avril 2015, le vice-président William Ruto a ordonné la fermeture de Dadaab et le retour de tous les réfugiés après l’attaque lancée par al-Shabab contre l’université de Garissa – située à 100 km au Sud-Ouest – qui a fait 142 victimes parmi les étudiants. Sous la pression de la communauté internationale, et face aux protestations des groupes de défense des droits de l’homme, il a renoncé à sa décision.

A lire : Kenya backpedals on closure of Somali refugee camp [Le Kenya renonce à la fermeture d’un camp de réfugiés somaliens]

La Somalie n’est peut-être plus un « Etat en déroute », mais le pays reste violent et fragile.

L’intervention militaire du Kenya en Somalie en 2011, dont l’objectif était de créer une zone tampon, n’a pas permis de pacifier la zone d’opération de la région du port de Kismayo, au Sud.

Comme on pouvait s’y attendre, seuls 5 000 réfugiés ont profité de l’accord tripartite et sont montés dans des bus en direction de la frontière depuis le lancement du programme de rapatriement en décembre 2014.

A lire : KENYA-SOMALIE : Le rapatriement des réfugiés de Dadaab jugé « irréaliste »

La majorité de ceux qui sont rentrés volontairement sont des personnes arrivées relativement récemment et qui se sont installées à Dadaab entre 2006 et 2011, fuyant les violences et la famine.

« Cela fait plus de 20 ans que nous vivons ici et nous n’avons nulle part où aller. Nos maisons ont été détruites pendant le conflit », a expliqué Abukar Ahmed, un ancien résident du camp d’Ifo. « Ceux qui rentrent sont arrivés il y a quelques années seulement et tous leurs biens sont intacts ».

Un bénéfice net pour le Kenya

Considérer Dadaab comme un problème revient à ignorer son potentiel. C’est une plaque tournante du commerce : les réfugiés dirigent des entreprises prospères, allant des boulangeries aux boutiques de créateur. Le camp propose des services, offre un marché actif aux populations locales et des revenus considérables au gouvernement kényan.

« Chaque année, nous payons un lourd impôt au gouvernement. Bien plus d’argent que les populations locales ne nous en donnent. Mais il ne nous rend rien du tout », a dit Ali Kasim, membre de l’association des entrepreneurs de Dadaab. « Nous ne pouvons pas les défier. Contrairement aux populations hôtes qui n’ont pas peur de demander le respect de leurs droits ».

Un rapport commandé par les gouvernements norvégien, danois et kényan en 2010 a conclu que les commerces du camp généraient un chiffre d’affaires annuel d’environ 25 millions de dollars. La communauté hôte gagnait environ 1,8 millions de dollars de la vente de bétails aux réfugiés.

Offrir aux réfugiés la possibilité de jouer un rôle plus actif au sein de la société kényane – exploiter le potentiel des populations au lieu de les isoler – apportera des dividendes économiques, soutiennent les réformateurs. Cela contribuera aussi à l’amélioration de la sécurité.

« Les réfugiés de Dadaab ont besoin d’une solution durable autre que la réinstallation. Leur intégration au sein de la société kényane est inévitable, car la Somalie n’a pas les moyens de gérer un retour de masse », a expliqué à IRIN Abdirashid Abdullahi, à la radio humanitaire de Dadaab, Gargaar.

« Un nombre important de réfugiés ne connaissent qu’un seul pays, le Kenya. Alors le fait de les maintenir dans les camps contre leur volonté ne les aide pas », a-t-il dit. « Il est temps de réexaminer le processus de rapatriement et de chercher d’autres solutions durables pour fermer le plus grand complexe de réfugiés du monde ».

mh/oa/ag-mg/amz
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