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Sommet humanitaire mondial : discussions sans suite ou véritable moteur de changement ?

Jemilah Mahmood, Chief of the World Humanitarian Secretariat WHS
La préparation au Sommet humanitaire mondial (SHM) de 2016 à Istanbul passe à la vitesse supérieure, mais peut-on être sûr que les paroles se traduiront en actes ?

L’objectif de ce processus de deux ans conduit par les Nations Unies est de favoriser le dialogue à l’échelle mondiale sur la manière d’améliorer les interventions humanitaires. Dialogue qui doit donner lieu à des résultats clairs et des recommandations concrètes.

D’après les travailleurs humanitaires, les consultations permettent à un nombre sans précédent de points de vue de s’exprimer, mais nombreux sont ceux qui craignent que l’absence de véritable cadre empêche les paroles de se traduire en actions.

Jusqu’à présent, le dialogue autour de la réorganisation de l’aide humanitaire (#ReShapeAid) a été dominé par des appels à respecter les principes humanitaires, à privilégier les démarches locales et à trouver des financements plus souples.

D’autres questions cherchent également à se faire une place dans l’ordre du jour d’Istanbul, telles que qui devrait faire quoi et quand, les droits des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) et l’importance de trouver des solutions politiques aux crises humanitaires.

Ces débats ne sont pourtant pas nouveaux dans le monde de l’humanitaire. IRIN a demandé à plusieurs participants d’évaluer si les principaux sujets de discussion pouvaient se traduire par des changements significatifs et systématiques.

Quel est l’objectif du SHM ?

Le principal objectif de cette initiative du secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon est de « proposer des solutions aux problèmes les plus urgents et d’établir les mesures à prendre pour adapter l’action humanitaire aux défis à venir ». 

Contrairement à la plupart des processus menés par les Nations Unies, le SHM n’a pas de programme déterminé. Tout un chacun peut soulever des questions en personne lors des consultations (à condition de faire partie de la liste des invités) ou par Internet. Parmi les participants aux différents évènements, on trouve des organisations des Nations Unies, des organisations non gouvernementales (ONG) nationales et internationales, les organisations de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, des universitaires, des entreprises privées, des représentants des gouvernements et des personnes touchées par des crises.
 
« C’est un processus très innovant dans le sens où, contrairement à de nombreux sommets et conférences internationales, il n’a pas d’issue prédéterminée. Le programme évolue donc et le résultat du sommet en mai 2016 dépendra de ce qui se sera dit au cours du processus », a expliqué Alex Betts, directeur du Centre d’études sur les réfugiés de l’université d’Oxford.

« Pour moi, ce qui est fantastique c’est qu’en théorie tout le monde peut faire entendre sa voix, mais la difficulté est bien sûr de faire en sorte que toutes les voix soient entendues et qu’elles soient réellement prises en compte à la fin du processus », a ajouté M. Betts, qui a participé à la consultation régionale pour l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Australasie à Budapest début février.  

Jean-Yves Penoy, directeur par intérim de la section européenne du Conseil norvégien pour les réfugiés, a lui aussi salué la diversité des intervenants. « Ces personnes se rassemblent rarement pendant deux jours et les bailleurs de fonds sont particulièrement peu souvent en contact, et encore moins de cette manière, avec les Nations Unies, alors de ce point de vue, je pense que c'était intéressant. »

Jemilah Mahmood la responsable du secrétariat du SHM a dit à IRIN : « En tant que secrétariat, nous sommes là pour écouter et rassembler autant de points de vue que possible. »

« Quelle que soit l’issue [du processus], il doit conduire à des changements sur le terrain. Nous devons partir de là pour déterminer quels sont les outils et les mécanismes adéquats et quelles sont les solutions à apporter pour répondre aux besoins des populations. »

Quels problèmes ont, entre autres, été abordés jusqu’à présent ? 

• La législation de lutte contre le terrorisme doit être revue de manière à ne pas limiter l’aide aux populations des zones de conflit contrôlées par des groupes armés.
• En situation de crise, un certain pourcentage des fonds – qui reste à déterminer – devrait être attribué aux organisations locales, gouvernementales ou non.
• Les organisations mandatées ne devraient pas avoir le privilège des capacités et de l’accès. Il est temps de laisser intervenir les organisations les plus compétentes et les plus aptes plutôt que de se fonder sur un système hiérarchique.
• Un certain nombre d’ONG internationales ont appelé à une réaffirmation officielle des principes humanitaires.  
• Il faut changer les attitudes envers les organisations locales. Ces dernières doivent être des partenaires à part entière plutôt que de simples sous-traitants. Les agences des Nations Unies et les grandes ONG doivent accepter que les acteurs nationaux puissent être plus au fait du contexte qu’elles.
• Les financements doivent être plus souples et alloués à plus long terme, notamment dans les situations de conflit qui évoluent constamment. Les ONG devraient pouvoir planifier leur intervention en fonction des besoins et non des priorités des bailleurs de fonds.
• Une nouvelle politique relative aux PDIP au Moyen-Orient a été demandée dans la continuité de la Convention de Kampala pour les PDIP en Afrique.  
• L’innovation est importante, mais les bailleurs de fonds doivent participer aux risques financiers et être plus ouverts aux idées qui n’ont pas encore été testées.
• Les gouvernements et le Conseil de sécurité des Nations Unies devraient donner la priorité aux solutions politiques pour mettre un terme aux conflits, aux déplacements de populations et aux souffrances.
• Les humanitaires doivent reconnaître les capacités et le pouvoir des personnes touchées plutôt que de ne les considérer que comme des victimes sans voix.  

N’avons-nous pas déjà entendu tout ça ?

 Si, dans une certaine mesure. Mais c’est la première fois que ces questions sont abordées aussi ouvertement et par autant de parties prenantes si différentes à la fois.

« L’un des produits les plus intéressants du processus est le dialogue en lui-même », a dit M. Betts.
« Le fait d’avoir un dialogue entre autant de parties prenantes qui, malgré des points de vue différents, s’écoutent les unes les autres lors d’un évènement qui n’est pas dominé par les États est en soi unique et précieux. »

Mme Mahmood a reconnu que nombre des questions soulevées lors des rencontres n’avaient rien de nouveau. « Peut-être que nous parlons de ces sujets entre nous depuis des années, a-t-elle dit. Mais maintenant nous en parlons à voix haute, nous consultons un public plus large, les personnes touchées, le secteur privé et les gouvernements. »

Des discussions ont en effet eu lieu entre les agences des Nations Unies à Madagascar, le secteur privé et le gouvernement malgache lors d’une consultation en Afrique du Sud en octobre 2014. Elles ont découlé sur la création d’un nouveau programme de réponse aux catastrophes appliqué quelques mois plus tard lorsque des tempêtes ont touché l’île.

« Il est facile de ne rien faire et de se contenter de critiquer le processus, mais un seul exemple de la manière dont ces conversations et l’énergie et l’enthousiasme issus de ces consultations régionales ont pu être aussi fructueux suffit à me rendre optimiste », a-t-elle dit.

Comment passer de la parole aux actes ?

Là est la grande inconnue.

Le résumé de la consultation la plus récente à Budapest est rempli de verbes sans valeur d’engagement comme « considérer », « promouvoir », « encourager », « soutenir », et « viser », qui ne laissent présager aucun changement de système radical ni gageure politique. Les rapports finaux de chaque évènement sont plus détaillés, mais restent truffés de jargon et d’ambiguïtés. 

« Tout le monde s’accordait à dire qu’il fallait laisser plus de place aux organisations locales, empêcher qu’elles soient écrasées par le système et “faire les choses différemment”, mais ce qui n’a pas été clairement précisé, c’est ce que “faire différemment” signifie réellement », a remarqué Mike Noyes, responsable des interventions humanitaires et de la résilience à Action Aid UK en faisant référence à la consultation de Budapest.

Selon Mike Penrose, directeur d’Action Contre la Faim (ACF) qui a lui aussi assisté à la réunion européenne, les ONG s’inquiètent beaucoup de la manière dont les débats seront synthétisés et de l’application prématurée d’un « filtre politique ».

« Nous devons être courageux et poser des questions difficiles, a-t-il insisté. Si nous ne le faisons pas, que nous filtrons tous à l’avance et que nous posons des questions ordinaires, les conclusions seront elles aussi ordinaires et nous serons responsables de l’échec du système. Tandis que si nous posons les vraies questions aux dirigeants et qu’ils choisissent de les ignorer, ce sera leur faute. »

Dans quelle mesure le processus a-t-il été libre et ouvert ?

Plusieurs personnes se sont dites déçues que les populations touchées par les crises et des acteurs de la société civile ne soient pas autant représentés qu’elles l’espéraient. Les ONG intervenant au Moyen-Orient ont elles aussi déploré le choix des représentants à la réunion de consultation régionale.

« Les présences et les absences seront toujours remises en cause, mais un système a été mis en place pour que les gens puissent intervenir par Internet et pour prendre en compte les interventions des participants isolés, alors comparé à d’autres processus, celui-ci est particulièrement ouvert », a dit à IRIN Claus Sorensen, directeur de l’office humanitaire de la Communauté européenne (ECHO). « Le secrétariat a fait un réel effort pour que ce processus soit participatif. »

« Nous ne pouvons pas inviter un millier de personnes touchées à une réunion et ce n’est pas de cette manière qu’elles veulent être consultées de toute façon », a dit Mme Mahmood pour balayer les critiques. Elle a ajouté que les ONG avaient organisé des groupes de travail en parallèle pour récolter les opinions des populations.

Quel est l’avis général concernant le processus ?

Dans l’ensemble, si les cyniques accusent le SHM de n’être que des paroles en l’air, la plupart estiment n’avoir pas d’autre choix que de faire de leur mieux pour que le sommet soit une réussite d’une manière ou d’une autre. Ils reconnaissent que le système humanitaire a du mal à faire face au nombre croissant de crises dans le monde et espèrent que le débat conduira à un changement dans la bonne direction, même s’il est peu probable qu’il ait de grandes répercussions.

« Tout le monde se demande ce que cela va donner », a dit M. Penrose. « Il est peu probable que [le sommet aboutisse à quelque chose de] révolutionnaire, mais je pense que quelque chose de bien pourrait en ressortir. »

Mme Mahmood accepte volontiers l’ampleur du défi. « Nous devons gérer les attentes, a-t-elle dit. Je ne vois pas le sommet comme une finalité. Je pense que le sommet jettera les bases pour déterminer les domaines clés qui nécessitent des changements. »

Le sommet ne peut pas tout représenter pour tout le monde, a-t-elle ajouté.
 
« Il ne satisfera pas tout le monde et je crois que nous devons faire avec. Mais s’il conduit à des améliorations pour les personnes déracinées par un conflit ou une catastrophe et dont l’avenir est incertain, s’il change ne serait-ce qu’un petit peu leurs vies, je m’en réjouirai. »

M. Noyes a quant à lui salué la « volonté d’écouter et de tirer les leçons de l’expérience », mais a averti que quelles que soient les décisions prises à Istanbul, il faudra encore qu’elles soient approuvées politiquement et mises en oeuvre.

« Surtout si un changement de système de grande ampleur est proposé, ce sera un processus difficile qui prendra du temps », a-t-il dit.

La prochaine consultation régionale, qui se concentrera sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, se tiendra en Jordanie du 3 au 5 mars. 

lr/ha-ld/amz 
 
* Cette liste a été dressée par IRIN d’après nos propres recherches et interviews.
Pour plus de détails sur les questions abordées, voir le site du SHM.   
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