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Inde-Pakistan : Les nouvelles victimes d’un vieux conflit frontalier

Pakistani children hold the remains of a shell that fell during clashes with India Sumaira Jajja/IRIN
Pakistani children hold the remains of a shell that fell during clashes with India
Le différend territorial qui oppose l’Inde et le Pakistan depuis plusieurs dizaines d’années est souvent décrit comme un conflit latent, mais pour Zaigham Abbas c’est loin d’être le cas.

Son père, Mumtaz Hussain, a été tué en août dernier quand la force de sécurité des frontières indienne a bombardé le village de Bajra Garhi qui jouxte la ligne de démarcation provisoire de Sialkot au Pakistan. 

« Nous sortions de la mosquée après les prières [du matin] lorsque les Indiens ont commencé à nous bombarder. Et soudain, mon père a été touché aux côtes », a relaté M. Abbas.

« Quand le bombardement a cessé, il était mort », a ajouté Shama Batool, la veuve de M. Hussain. « Je ne pense pas qu’on aurait pu faire grand-chose pour le sauver. »

Dans la rue, les maisons voisines montrent toujours les marques de la bataille : les murs sont criblés de trous et les vitres brisées.

Pris entre deux feux

M. Abbas fait partie des quelque 80 000 Pakistanais vivant dans les 45 villages régulièrement touchés par les combats le long de la frontière indienne qui zigzague sur près de 3 000 km.

Dans le Cachemire, les deux pays revendiquent toujours une portion de presque 200 km de cette frontière, démarquée par une « ligne de contrôle ».

Plus au sud, dans la région de Sialkot et Jammu, la séparation est dessinée par une ligne de démarcation provisoire. Le gouvernement pakistanais considère le territoire se trouvant de l’autre côté de cette ligne comme occupé.

Ce différend territorial a déclenché trois guerres à proprement parler : la première en 1947 et la plus récente en 1999.

Les tensions se sont accrues à l’arrivée au pouvoir en Inde du nationaliste hindou Narendra Modi en mai 2014. Ce dernier a annulé les pourparlers de paix en août et les combats se sont intensifiés en octobre, lorsqu’il a adopté un ton plus agressif. Du côté pakistanais, les appels à la modération ont eux aussi été progressivement écartés. 

La violence continue de briser des vies. Le 31 décembre, une rare tentative de rencontre à la frontière entre les deux pays a dégénéré. Deux brigadiers pakistanais ont été tués dans les affrontements et les deux camps se sont accusés l’un l’autre d’avoir commencé. 

« Les tirs se sont poursuivis pendant cinq heures avant que l’on puisse récupérer les corps », a dit le major Ijaz, agent médias des brigadiers pakistanais, maintenant que les Indiens avaient déclenché les violences, ce que démentent les médias indiens.

En janvier, au moins quatre civils ont été tués de part et d’autre de la frontière et des dizaines d’autres ont été blessés. Dans les deux pays, des milliers de personnes ont fui de chez elles.  

Fin janvier, IRIN a eu accès – ce qui est rare – à la région frontalière pakistanaise. Entre les bombardements intermittents, les civils ont décrit leur vie marquée par la peur de la prochaine attaque.
Sumaira Raza, une habitante du village de Jooyian, a dit avoir dû fuir à plusieurs reprises.

« Tous les quelques jours, nous partons séjourner chez des proches dans les villages voisins. D’autres n’ont pas cette possibilité et passent la nuit dehors. Cet hiver, il faisait si froid que de nombreuses familles des villages voisins ont accueilli des femmes et des enfants qui n’étaient pas de leur famille. »
D’autres habitants ont dit avoir dû abandonner des membres de leur famille âgés ou handicapés dans leur fuite.

Il n’y a pas d’établissement médical spécialisé dans la région et les centres de santé primaire n’ont pas les capacités nécessaires pour soigner les blessés graves.

Si les combats ne commencent pas toujours au même moment, les villageois disent cependant qu’ils commencent généralement après le coucher du soleil.

« Les bombardements s’intensifient au fil des jours », a ajouté Farid, un agriculteur de la région.
D’autres ont dit qu’ils vivaient dans la crainte des drones indiens, qui d’après eux survolent souvent la zone juste avant une attaque. 

« S’il y a peu de gens au village, les bombardements n’ont pas lieu, même si le drone passe, mais quand le village est plein et qu’un drone approche, nous savons qu’il va y avoir un bombardement », a dit un adolescent.

D’autres villageois ont fait part de ces mêmes observations, mais M. Ijaz n’a pas souhaité les confirmer ni les infirmer. L’année dernière, l’Inde s’est engagée à acheter 49 drones supplémentaires pour patrouiller le long de la frontière.  

Déplacés nocturnes 

Les effets du conflit sur la population peuvent être violents. Shama Bibi a relaté avoir ressenti des contractions de façon prématurée lors des affrontements et souffre de dépression post-partum qu’elle attribue aux violences.

« Il y avait des tirs tous les jours et parfois nous devions courir pour nous abriter. Puis il y a eu les inondations de septembre [2014]. Les bombardements ont cessé, mais notre maison en terre s’est effondrée. J’ai parcouru des kilomètres à pied avec ma famille dans cet état. Quand mon fils est né, je ne l’ai pas regardé », a-t-elle dit.

Même lorsque la paix règne, les risques ne manquent pas. Les brigadiers pakistanais et la force de sécurité des frontières indienne ont placé des milliers de mines terrestres dans toute la région frontalière. Certaines mines sont là depuis 2002.

Lors des inondations de septembre 2014, certaines mines auraient été emportées par l’eau jusqu’au Pakistan.

L’un des fils d’Ehsan est devenu en partie aveugle et deux autres ont été estropiés par l’explosion d’une mine il y a dix ans.

« Le gouvernement nous a abandonnés. Personnes n’est venu ne serait-ce que pour nous apporter une assistance médicale », a-t-il dit.

Les villageois reprochent au gouvernement pakistanais de n’avoir rien prévu pour les installer dans d’autres régions et ceux qui se déplacent ne sont pas indemnisés. Parfois, des responsables politiques locaux offrent de l’aide aux familles dont des membres ont été blessés ou tués, mais cela se fait de façon arbitraire et limitée.

Beaucoup doivent donc choisir entre leur terre et leur travail et la sécurité de leur famille.
« Soit je garde ma famille en sécurité ailleurs, soit j’envoie mes enfants à l’école », a dit Ghulam Din, un agriculteur qui gagne à peine 8 000 roupies (78 dollars) par mois. Il a quitté le village frontalier d’Umeraanwali avec sa famille pour s’installer dans un bidonville près de la ville de Sialkot où ses enfants ne vont plus à l’école. « J’ai à peine assez d’argent pour les nourrir », a-t-il déploré.

Comble de l’ironie, la terre qu’il a dû abandonner aurait pu avoir une grande valeur si la situation était différente. La région de Sialkot est l’une des plus fertiles du Pakistan, mais les acheteurs sont rares à cause de la violence.

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