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L'UE en fait-elle assez pour éviter les décès de migrants en mer ?

A boat carrying sub-Saharan African migrant workers arrives in Lampedusa from Tripoli. Thousands of migrants have made the perilous journey Kate Thomas/IRIN
Une fois de plus, l'Union européenne (UE) a été appelée à prendre ses responsabilités pour empêcher des décès en mer à la suite de l'annonce de la disparition de jusqu'à 850 personnes dernièrement en Méditerranée lors du naufrage de cinq embarcations transportant des migrants.

Cet été, un nombre sans précédent de migrants, de réfugiés et de demandeurs d'asile montés à bord de frêles embarcations de passeurs afin de rejoindre les côtes européennes ont péri. Le centre de la Méditerranée a concentré la majorité des déplacements : les départs ont en général eu lieu depuis la Libye vers les côtes italiennes - environ 120 000 en 2014, soit plus du double du précédent record de 54 000 arrivants établi au plus fort du Printemps arabe en 2011.

Cette année, le nombre de décès en Méditerranée a atteint un nouveau record avec près de 3 000 victimes ; ce bilan prend en compte les victimes des multiples naufrages survenus dernièrement, dont l'un aurait été provoqué par des passeurs qui auraient délibérément embouti et coulé un bateau transportant 500 migrants qui avaient refusé de monter à bord d'un bateau hors d'état de naviguer.

Le bilan aurait sans aucun doute été plus lourd si la marine italienne n'avait pas mis en place l'opération de recherche et de sauvetage Mare Nostrum après le naufrage qui avait fait des centaines de victimes au large de l'île italienne de Lampedusa en octobre 2013. Depuis le lancement de Mare Nostrum, 70 000 personnes ont été secourues, mais le coût de la mission s'élève à 11,5 millions de dollars par mois et l'Italie est de moins en moins disposée à assumer seule ces frais.

Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) soutient les appels venant d'Italie en faveur d'un meilleur partage des responsabilités, en indiquant que la « situation dramatique aux frontières maritimes de l'Europe » nécessite « une action rapide et concertée de l'Europe, notamment un renforcement des opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée ».

Frontex Plus

Le lendemain de la publication de cette annonce du HCR à la fin du mois d'août, Cecilia Malmström, la Commissaire européenne aux Affaires intérieures, a fait une déclaration au sortir d'une rencontre avec le ministre de l'Intérieur italien : celle-ci a suscité l'espoir de voir les Etats membres soutenir l'Italie dans le cadre d'une mission élargie de Frontex, l'agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures.

Les détails de la mission, provisoirement baptisée « Frontex Plus », étaient vagues. Mme Malmström a seulement indiqué qu'elle « complèterait les actions conduites par l'Italie », en fonction des niveaux de contribution et de participation des Etats membres. Certains commentateurs ont pensé que cela voulait dire que Frontex allait prendre le relais de Mare Nostrum. Mais les groupes de défense des migrants ont été prompts à noter que les mots « recherche et sauvetage » n'étaient pas mentionnés dans la déclaration de Mme Malmström et à souligner que Frontex n'avait ni le mandat ni les moyens de remplir cette fonction.

Il est également rapidement apparu que Frontex Plus n'interviendrait que dans les eaux territoriales italiennes, alors que Mare Nostrum a été déclenchée après des naufrages majoritairement survenus dans les eaux internationales, non loin des côtes libyennes.

« Il s'agira d'une opération classique de contrôle des frontières menée par Frontex », a indiqué Stefan Kessler, haut responsable de la politique et du plaidoyer du Service jésuite des réfugiés (Jesuite Refugee Service, JRS) pour l'Europe, et co-président du Forum consultatif de Frontex sur les Droits fondamentaux. « Les opérations de recherche et de sauvetage ne seront qu'un effet secondaire, ce qui veut dire que, si dans le cadre de ces interventions, un bateau en détresse est repéré, les autorités nationales en charge des opérations de recherche et de sauvetage seront alertées ».

Ewa Moncure, une porte-parole de Frontex, a expliqué que la nouvelle opération, aujourd'hui baptisée Opération Triton, combinera les deux opérations qui ont été lancées au large des côtes italiennes et qui devaient se terminer à la fin du mois de septembre. Elles seront prolongées et fusionnées à la fin du mois de novembre. « Elle aurait lieu plus près des côtes italiennes et elle ne replacera pas Mare Nostrum », a-t-elle confirmé.

« Les opérations de recherche et de sauvetage sont toujours coordonnées par les autorités nationales », a-t-elle dit à IRIN, avant d'ajouter que la flotte des bateaux de Frontex est tenue par le droit maritime de répondre aux bateaux en détresse qui se trouvent dans leur zone et que des garde-côtes formés et équipés doivent être présents à bord des embarcations. « Mais cela n'est pas le mandat de cette agence ».

Michael Diedring, secrétaire général du Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (ECRE), a spéculé que le soutien des Etats membres à Frontex n'avait peut-être pas été au niveau des espérances de Mme Malmström, « mais ceci étant dit, l'Union européenne et, plus particulièrement, les Etats membres ont depuis longtemps pour politique de protéger les frontières plutôt que de protéger des vies ».

Mare Nostrum - un facteur d'incitation ?

Le gouvernement italien subit des pressions pour mettre fin à l'opération Mare Nostrum. Ses détracteurs citent non seulement le coût de l'opération, mais aussi les suspicions selon lesquelles elle facilite le travail des passeurs et constitue un facteur d'incitation pour les migrants, qui sont secourus lorsque leurs bateaux sont en détresse sur les côtes libyennes et transportés jusqu'à leur destination. Mme Malmström elle-même a attribué « l'intensité croissante du trafic de l'autre côté de la Méditerranée » à l'opération Mare Nostrum et a noté que « des personnes ont été embarquées sur des bateaux moins sûrs et plus petits, compte tenu de la probabilité qu'ils soient secourus ».


M. Kessler a rejeté ces arguments. « Dire que Mare Nostrum est un facteur d'incitation n'a pas de sens. Si vous regardez d'où ces gens viennent - de Syrie, d'Erythrée, d'Irak, d'Afghanistan - ils s'enfuient que Mare Nostrum existe ou pas ».

Ana White, la porte-parole du Bureau du HCR en Europe, a également établi un lien entre le nombre croissant de personnes qui essayent de rejoindre l'Europe par la mer et « le nombre croissant de personnes qui prennent la fuite en raison des conflits et des violences qui font rage en Syrie, en Erythrée, en Irak, en Somalie et ailleurs, et de la disparition de l'ordre public en Libye.

« Les arrivées importantes par la mer étaient en augmentation quelques mois avant que le lancement de Mare Nostrum », a-t-elle ajouté.

Mme White a dit que les opérations de recherche et de sauvetage étaient « capitales », mais elle a ajouté, « cela ne peut pas être la seule réponse de l'Europe ; la priorité serait de trouver des alternatives légales et sûres aux trajets dangereux pour ceux qui ont besoin de protection et d'avoir des capacités d'accueil adaptées ».

M. Diedring partage ce point de vue. « Je dirais que c'est la politique européenne qui facilite la tâche des passeurs, car il n'y a pas d'avenue légale [pour rejoindre l'Europe], notamment pour les Syriens et les Erythréens ».

Un changement de politique peu probable

Un quart des migrants arrivés en Italie entre janvier et août étaient érythréens, selon le ministre de l'Intérieur italien, et 21 pour cent étaient syriens.

« Le taux de reconnaissance du statut de réfugié des Erythréens est de plus de 90 pour cent dans l'Union européenne, mais ils mettent leur vie en danger pour toucher le sol européen. Cette politique est ridicule », a dit M. Diedring.

Rien n'indique que le bilan effarant des décès du weekend dernier provoquera un changement significatif de cette politique. Au contraire, l'Europe continue de renforcer ses défenses contre les migrants illégaux, même si bon nombre d'entre sont des demandeurs d'asile. Cette année, la Bulgarie a essayé d'empêcher des réfugiés, en majorité des Syriens, d'entrer sur son territoire en érigeant une clôture le long de sa frontière avec la Turquie ; les garde-côtes grecs ont été accusés d'avoir reconduit des bateaux transportant des migrants dans les eaux turques ; et la police frontalière espagnole a tiré des balles en caoutchouc sur des migrants qui tentaient de rejoindre le pays à la nage depuis le Maroc.

ks/cb-mg/amz



This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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