1. Accueil
  2. Middle East and North Africa
  3. Syria

Un système d’asile à bout de souffle pour les réfugiés syriens en Bulgarie

380 migrants and asylum seekers, mostly Syrian Kurds, have crowded into an abandoned schoolhouse - recently converted into the Vrazhdebna reception center - on the outskirts of the Bulgarian capital Sofia. A wave of Syrian new arrivals has overwhelmed Bul Jodi Hilton/IRIN
Dans une école désaffectée de la banlieue de Sofia, la capitale bulgare, 380 migrants et demandeurs d’asile vivent dans des conditions sordides. Issus d’une nouvelle vague de migrants et de demandeurs d’asile composée majoritairement de Kurdes de Syrie, ils ont mis à rude épreuve un système d’asile bulgare inefficace qui se trouve au bord de la rupture.

L’établissement connaît de nombreux problèmes de plomberie et l’odeur des eaux usées envahit les couloirs. Les anciennes salles de classe ont été divisées de façon à pouvoir accueillir plusieurs familles. Les murs sont moisis, les fenêtres cassées et l’électricité fonctionne par intermittence. Malgré le froid, le chauffage central n’a toujours pas été mis en marche.

Les réfugiés disposent de quelques cuisinières, mais n’ont pas de réfrigérateur. Les distributions alimentaires organisées par la Croix-Rouge bulgare sont irrégulières, tout comme l’aide fournie par le gouvernement.

Cet établissement, baptisé Vrazhdebna, est l’un des trois centres d’accueil récemment ouverts pour faire face à l’augmentation drastique du nombre de demandeurs d’asile au cours de ces derniers mois.

M. Boris Cheshirkov, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en Bulgarie, a décrit les conditions de vie dans l’école comme étant « pénibles ». Le Comité Helsinki de Bulgarie (Bulgaria Helsinki Committee, BHC) est allé plus loin encore après avoir visité l’établissement.

« Le traitement des réfugiés constitue non seulement un exemple emblématique de la bureaucratie et de l’indifférence aux besoins des personnes typique des institutions étatiques bulgares, mais aussi un exemple d’un traitement inhumain et dégradant et [une] preuve de la cruauté de l’élite en col blanc », a indiqué le comité dans une déclaration [] qui a provoqué un tollé général.

Mizgin Abas, une ancienne professeur d’anglais de 26 ans, et son mari, Ferhad, 30 ans, sont hébergés dans le centre d’accueil géré par l’Agence nationale pour les réfugiés. Ils ont indiqué qu’ils avaient été forcés de quitter leur logement et les emplois décents qu’ils occupaient dans la région kurde de la Syrie. Ils ont pris la fuite avec leurs enfants après avoir entendu dire que des groupes liés à Al-Qaida décapitaient des hommes Kurdes syriens et enlevaient des femmes kurdes syriennes dans un village voisin.

« Nous avons préféré venir ici pour mener une vie décente », a dit Mme Mizgin. La famille espère obtenir un statut de protection afin de pouvoir rester en Bulgarie.

Environ 100 personnes arrivent à la frontière bulgaro-turque chaque jour, et ces chiffres augmentent rapidement. Auparavant, la Bulgarie recevait, en moyenne, 1 000 migrants et demandeurs d’asile par an. En 2013, elle en a reçu plus de 6 500, et les autorités se démènent pour trouver des logements et des fonds pour les accueillir.

Depuis le mois d’août, les arrivées augmentent régulièrement et, au rythme actuel, entre 11 000 et 15 000 réfugiés – des Syriens pour la plupart - devraient rejoindre le pays d’ici à la fin de l’année, selon le ministre de l’Intérieur.

« Nous voyons bien que le gouvernement est débordé et que les capacités d’accueil sont dépassées », a dit M. Cheshirkov du HCR. « ... Mais il est bien clair que les autorités font de leur mieux pour combler les lacunes ».

De plus en plus souvent, les passeurs qui aidaient les migrants à passer de Turquie en Grèce les emmènent en Bulgarie, notamment suite à la construction d’une clôture de 10,5 km à l’un des points de passage les plus fréquentés le long de la frontière turco-grecque. La Bulgarie, qui compte seulement 7,5 millions d’habitants, est l’un des pays les plus pauvres de l’Union européenne (UE).

« Nous ne sommes qu’au début de cette crise », a dit à IRIN Vasil Marinov, ministre adjoint de l’Intérieur.

Besoins médicaux

Lorsque les journalistes d’IRIN se sont rendus à l’école la semaine dernière, ils n’ont trouvé ni administrateur ni personnel médical sur place, mais des officiers de sécurité et de police surveillaient le bâtiment (les résidents sont libres de leurs mouvements). Cependant, au cours du week-end, un directeur récemment entré en fonction était présent sur place pour accueillir une équipe de médecins bénévoles.

L’équipe médicale, envoyée par la ‘Do Good Initiative’ de la communauté juive de Sofia, a noté qu’aucun soin médical n’avait été administré aux résidents qui étaient arrivés à Sofia depuis la frontière trois semaines plus tôt, malgré la présence de plusieurs femmes enceintes, de personnes âgées et de personnes souffrant de diabète. Nombre de personnes souffraient également d’insuffisances respiratoires, ce qui est commun chez les personnes qui vivent en communauté, a dit Alexander Oscar, l’un des médecins bénévoles.

Lui et son équipe prévoient de se rendre dans tous les centres d’accueil pour fournir des soins de santé et des traitements de base, notamment des hospitalisations. Ils se proposent d’assurer des consultations hebdomadaires organisées dans des cliniques mobiles. Selon M. Oscar, l’équipe aide le gouvernement en formulant des recommandations : « On ne peut pas laisser les gens vivre dans ces conditions », a-t-il dit.

La majorité des Syriens qui rejoignent la Bulgarie fuient les violences récentes entre des factions rebelles dans le nord de la Syrie ; les groupes liés à Al-Qaida se sont emparés d’une partie de la région kurde.

Bon nombre de Kurdes appréhendent de rester dans leur premier pays de refuge, la Turquie, en raison de la situation politique intérieure : un mouvement séparatiste kurde, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), se bat contre le gouvernement depuis plusieurs décennies. Les camps de réfugiés établis dans le sud de la Turquie accueillent principalement des Syriens de confession sunnite. D’autres minorités, comme les Kurdes, les alaouites et les chrétiens, sont laissées à leur propre sort ou reçoivent de l’aide de leurs coreligionnaires. Une partie des Kurdes syriens qui ont rejoint la Bulgarie disent qu’ils essayent de réunir les membres de leur famille en Europe de l’Ouest.

Dormir dans des couloirs

En Bulgarie, les migrants et les demandeurs d’asile nouvellement arrivés – ceux qui n’ont pas encore soumis de demande d’asile – sont détenus dans des locaux fermés et traités comme des criminels présumés car ils ont franchi la frontière clandestinement, ce qui, selon le HCR, constitue un « traumatisme supplémentaire pour les victimes de violences ».

Une fois les demandes d’asile enregistrées – ce qui peut prendre jusqu’à un an – les réfugiés sont pris en charge dans des centres d’accueil aménagés en dortoirs et ils sont libres de leurs mouvements. Ils doivent rester sur place jusqu’à ce que leur dossier d’asile soit instruit et éventuellement porté en appel, ce qui peut prendre jusqu’à trois ans.

Mais la capacité d’accueil dans les centres de détention et d’accueil gérés par l’État, qui s’élève à seulement 3 350 lits, est atteinte en raison, notamment, de la lenteur du temps d’enregistrement et de traitement des demandes d’asile. En conséquence, plus de 900 personnes vivent aujourd’hui dans le principal centre d’accueil de l’Agence nationale pour les réfugiés à Sofia conçu pour accueillir jusqu’à 600 personnes.

« Depuis deux mois, toutes les chambres sont occupées et les gens dorment sur des lits de camp installés dans les couloirs », a dit Elena Dimitrova, porte-parole de l’Agence nationale pour les réfugiés.

« Malheureusement », a-t-elle dit, « ils sont trop nombreux. Nous n’avons pas suffisamment d’argent, pas suffisamment de nourriture et pas de capacités administratives ».

Le gouvernement prévoit de moderniser les établissements de qualité médiocre et d’ouvrir de nouveaux centres d’accueil avec les fonds alloués par l’UE. Un site temporaire composé de caravanes a été ouvert la semaine dernière à Harmanli, une ville située au centre-sud du pays ; il peut accueillir 450 personnes.

Mais la priorité du gouvernement, disent Mme Dimitrova et M. Marinov, est d’accélérer le processus d’enregistrement des personnes qui demandent l’asile ou une protection subsidiaire. (L’asile est offert aux personnes qui fuient la persécution dans leur pays d’origine, tandis que les personnes qui fuient un conflit généralisé ou qui risquent la peine de la mort ou la torture si elles reviennent dans leur pays d’origine peuvent bénéficier de ce que l’on appelle la protection subsidiaire).

À ce titre, le gouvernement prévoit de recruter du personnel supplémentaire afin de ramener le délai de dépôt de la demande d’asile à 21 jours. Ainsi, les centres de détention peuvent relâcher les demandeurs plus rapidement. Un pas que le HCR a qualifié de « développement positif ».

Réactions négatives

Le gouvernement bulgare estime que chaque demandeur d’asile coûte 1 084 leva bulgares (758 dollars) par mois au pays, ce qui correspond principalement aux coûts administratifs et d’installation. Lorsque ce chiffre a été publié par les médias bulgares, bon nombre de personnes ont compris que les demandeurs d’asile recevaient cet argent directement. Au lieu de cela, les demandeurs d’asile enregistrés reçoivent 65 leva (45 dollars) par mois pour couvrir leurs dépenses en nourriture, en soins médicaux et leurs autres frais.

Les réactions négatives à l’égard des milliers de migrants et de demandeurs d’asile arrivés dans le pays sont venues du parti nationaliste Ataka et du parti d’opposition de l’ancien Premier ministre, Boyko Borisov, qui fait pression sur le gouvernement pour la mise en place d’un contrôle plus efficace de la frontière.

En réponse, le gouvernement a dévoilé un plan d’action la semaine dernière visant à construire une clôture de 30 km le long d’une portion de la frontière bulgaro-turque difficile à surveiller, car elle traverse la forêt dense du massif montagneux de la Strandja. Le gouvernement espère que, grâce à la clôture, les migrants seront plus facilement détectés et appréhendés aux points d’entrée. Les personnes qui, selon les autorités, ne remplissent pas les critères pour obtenir l’asile ou la protection ont été emprisonnées ou déportées.

« Nous avons fui parce que tout le monde s’entretuait, et que des enfants étaient kidnappés et vendus », a dit Zahra Omar Abdelatif, de Qamishli, en Syrie. Il devenait impossible d’acheter de la nourriture et des produits de nécessité, même pour une personne qui avait de l’argent, a-t-elle ajouté.

La famille Abdelatif a payé 2 000 dollars à des passeurs pour quitter la Syrie et rejoindre la frontière bulgare. De là, elle a marché pendant quatre ou cinq heures sur un terrain difficile. Aujourd’hui, cette famille de cinq personnes vit dans l’ancienne école, où elle partage une pièce avec sept autres personnes. En tout, ils disposent de trois matelas et de quelques couvertures sales. Les jeunes enfants de la famille Abdelatif – âgés de 5 ans, 3 ans et 1 an – ne se sentent pas très bien, a dit leur mère.

Alors que le gouvernement bulgare rencontre des difficultés à faire face à la situation – qu’il qualifie de crise - des groupes de la société civile ont décidé d’intervenir pour combler les lacunes. La semaine dernière, l’organisation ‘Friends of the Immigrants’ a distribué 3 000 leva (2 098 dollars) de nourriture et 1 800 leva (1 259 dollars) de chaussures à 700 personnes vivant à Patrogor, un centre d’accueil situé non loin de la frontière turque. Le groupe Facebook, qui comptait 40 membres au départ, en compte environ 2 000 aujourd’hui.

Les non-Syriens oubliés

Pourtant, un nombre croissant de migrants et de demandeurs d’asile vivent dans la rue ou dans des abris de fortune. Les demandeurs d’asile peuvent renoncer à leur droit à un logement et à une allocation s’ils déclarent qu’ils peuvent subvenir à leurs besoins et qu’ils présentent un document prouvant qu’ils ont une adresse externe. Les personnes qui souhaitent quitter les centres d’accueil surpeuplés achètent bien souvent ces documents au marché noir, a dit Deniza Georgieva du Comité Helsinki de Bulgarie. M. Cheshirkov du HCR indique qu’une bonne partie des 2 500 personnes qui subviennent à leurs besoins elles-mêmes « risquent de se retrouver à la rue si elles n’ont plus d’argent ».


De plus, les réfugiés reconnus ne disposent que de quelques jours pour quitter les centres d’accueil lorsque que leurs demandes ont été acceptées. À partir de ce moment, ils ne bénéficient plus des allocations mensuelles et risquent de tomber dans la pauvreté.

Ils ont le droit de recevoir une allocation de logement jusqu’à six mois après leur départ du centre, mais Mme Georgieva a dit que l’Agence nationale pour les réfugiés à cesser de verser ces allocations en juin dernier, car elle n’a plus de fonds. « Nous voyons beaucoup de familles dans la rue, car elles n’ont pas d’alternatives », a-t-elle expliqué.

La semaine dernière, par une journée froide et humide, une demi-douzaine d’Afghans - des hommes, des femmes et deux jeunes enfants - se sont retrouvés autour d’un feu dans un bâtiment en ciment en construction, où ils n’ont accès ni à l’eau ni à l’électricité. Ce squat, que les migrants ont baptisé avec ironie « Hotel Ritz », abrite aujourd’hui des Irakiens, des Afghans, des Pakistanais, des Palestiniens et des Somalis.

Le soir, jusqu’à vingt personnes dorment dans ce bâtiment exposé au vent, sur de minces matelas installés sur un sol froid, selon Mohammad Ali Mohammad, un Somali dont la demande d’asile déposée il y a trois ans n’a pas encore été étudiée par le système d’asile bulgare.

« Les immigrés africains sont dans la situation la plus difficile », a expliqué le journaliste bulgare Dimiter Kenarov. « Ils souffrent de discrimination et se sentent de plus en plus isolés et abandonnés, car toute l’aide est attribuée aux Syriens », a-t-il dit.

« Le HCR rappelle que des personnes fuient la persécution et les conflits armés dans d’autres régions du monde et qu’il ne devrait pas y avoir de discrimination en fonction de l’origine de la personne », a dit M. Cheshirkov.

jh/ha/rz-mg/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

Partager cet article

Get the day’s top headlines in your inbox every morning

Starting at just $5 a month, you can become a member of The New Humanitarian and receive our premium newsletter, DAWNS Digest.

DAWNS Digest has been the trusted essential morning read for global aid and foreign policy professionals for more than 10 years.

Government, media, global governance organisations, NGOs, academics, and more subscribe to DAWNS to receive the day’s top global headlines of news and analysis in their inboxes every weekday morning.

It’s the perfect way to start your day.

Become a member of The New Humanitarian today and you’ll automatically be subscribed to DAWNS Digest – free of charge.

Become a member of The New Humanitarian

Support our journalism and become more involved in our community. Help us deliver informative, accessible, independent journalism that you can trust and provides accountability to the millions of people affected by crises worldwide.

Join