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Les migrants syriens dans l'impasse au Liban

The Syrian army intervened in Lebanon’s Civil War in 1976, a year after it started, and withdrew from Lebanon in April 2005. Most missing Lebanese were detained by Syrian forces during the war and disappeared in Syrian jails Hugh Macleod/IRIN
Les Syriens qui vivent au Liban sont de plus en plus souvent la cible d'attaques. Le sentiment anti-syrien, qui existait déjà auparavant, s'est intensifié depuis le début du conflit dans le pays voisin.

L'imbroglio syrien a accentué les divisions entre les différentes sectes et factions au Liban. Alors que les Libanais sunnites du nord ont accueilli, depuis un an et demi, des dizaines de milliers de réfugiés syriens, les Libanais d'autres sectes et d'autres régions du pays se sont montrés moins chaleureux.

Dans les rues du quartier de Geitawi, à Beyrouth, un bastion de la droite chrétienne libanaise, l'intolérance envers les migrants syriens, qui travaillent au Liban depuis des années, est palpable.

« Les Syriens nous ont gouvernés pendant 30 ans, comment pouvons-nous les aimer ? » a protesté Kamal Sa'ad, 48 ans. « Si Dieu le veut, la guerre les tuera tous. Ce sont des Arabes ; nous [les chrétiens libanais] sommes des Européens. »

Les habitants du quartier ont recueilli environ 60 signatures pour demander au gouverneur de Beyrouth de prendre « les mesures juridiques et sécuritaires nécessaires » contre les travailleurs syriens qui sont considérés comme une menace.

« Nous avons écrit cette lettre aux autorités pour les avertir que, si elles n'interviennent pas, nous nous organiserons et nous utiliserons la violence pour résoudre la situation », a dit César, un boucher local qui a préféré taire son nom de famille.

« Des travailleurs syriens ivres rôdent toujours dans le coin le soir et harcèlent les femmes », a dit Charbal Issa, 29 ans. « Vous savez ce qu'on va faire ? On va imposer un couvre-feu à 18 heures pour les Syriens. Comme ça, tout ce qu'ils feront, c'est travailler et dormir. »

Raids militaires et violence populaire

Les quelque 300 000 saisonniers syriens qui travaillaient au Liban avant le soulèvement populaire de mars 2011 étaient souvent confrontés au sentiment anti-syrien hérité de l'occupation du Liban par la Syrie, qui a commencé dans les années 1970 et s'est terminée 29 ans plus tard.

Après le retrait des Syriens du Liban [en 2005], des travailleurs syriens étaient battus chaque fois qu'un attentat à la bombe se produisait et que le régime syrien était considéré comme responsable », a dit Yara Chehayed, membre du Mouvement antiracisme, basé à Beyrouth.

Depuis le début du conflit en Syrie voisine toutefois, les Syriens ont été de plus en plus nombreux à se réfugier au pays du Cèdre. Les Libanais ont commencé à craindre que l'opposition syrienne utilise leur pays comme base pour lutter contre le régime - comme l'ont fait les Palestiniens à la veille de la guerre civile libanaise -, ce qui a attisé la xénophobie existante. Au fil des mois, les raids militaires ont remplacé la violence populaire habituelle.

Dans la nuit du 7 octobre, l'armée libanaise a effectué une descente chez environ 70 travailleurs syriens, égyptiens et soudanais habitant le quartier de Geitawi et un autre quartier chrétien de Beyrouth, Mar Mikhael. Une semaine plus tôt, le 1er octobre, des soldats avaient pénétré sur un chantier de construction où travaillaient et dormaient des migrants dans le quartier voisin d'Achrafieh. Des résidents ont dit à Human Rights Watch (HRW) qu'ils avaient « entendu des cris venant du bâtiment ». Selon certaines informations, plusieurs 'mukhtars', ou chefs de quartier, auraient publié une déclaration encourageant la tenue de tels raids.

Le 17 octobre, dans le quartier de Ramlet al-Baydah, situé sur la côte, un groupe composé de plus de 20 hommes libanais ont attaqué des travailleurs syriens avec des bâtons et des couteaux, blessant 10 personnes.

Les dissidents syriens sunnites ciblés ?

L'armée a défendu le bien-fondé de son opération dans le quartier de Geitawi, affirmant qu'elle répondait à une recrudescence de plaintes concernant des actes de harcèlement sexuel et des crimes commis par des travailleurs étrangers. Les résidents libanais accusent les travailleurs syriens des vols, des actes de harcèlement sexuel, des bagarres et même des meurtres commis dans leur quartier.

« Si Dieu le veut, la guerre les tuera tous. Ce sont des Arabes ; nous [les chrétiens libanais] sommes des Européens. »
Toutefois, selon HRW, il existe très peu de preuves contre eux et l'opération militaire ressemblait plus à une punition collective qu'à une véritable opération de maintien de l'ordre.

« Aucune enquête claire n'a été menée. Pourquoi l'armée ne cherchait-elle pas des individus précis ? » a dit Nadim Houry, directeur adjoint de la section Moyen-Orient de HRW, qui est basée à Beyrouth. « Nous sommes en faveur de l'application de la règle de droit et du maintien de l'ordre par la police, mais pas de ce genre de violence populaire. »

L'armée a également affirmé qu'elle procédait à une vérification des permis de travail, mais les Syriens sont autorisés à travailler sans permis sur le territoire libanais en vertu d'une entente non écrite de longue date.

Ahmad*, un tailleur syrien dans la trentaine qui est arrivé de Hama il y a plusieurs années, a dit qu'aucun Syrien n'avait été arrêté pour des accusations précises. Les Syriens, y compris les mineurs, ont été battus pendant près de cinq heures, jusqu'à 2 heures du matin, avec des matraques électriques, a-t-il raconté. « Ils ne nous ont pas laissé parler et ont tout de suite commencé à nous tabasser », a-t-il dit. Il porte encore les marques de cet épisode : un énorme hématome couvre la moitié de son dos.

Motifs sectaires ?

Les Syriens [qui ont été battus] croient qu'ils ont été les victimes d'une armée divisée et sectaire.

« Pendant qu'ils nous passaient à tabac, ils nous demandaient : 'Vous avez dû utiliser ces méthodes à l'époque où vous avez servi dans l'armée syrienne ? À moins que vous ne fassiez partie de l'Armée syrienne libre [les rebelles] ?' » a dit Ahmad. « Ils ont même vérifié nos noms pour savoir qui était sunnite. À en juger par leur dialecte, nous croyons qu'il s'agissait d'alaouites de Jebel Mohsen », a-t-il dit, faisant référence à un quartier de Tripoli, une ville située au nord du Liban, et habité par des gens appartenant à la même secte que le président syrien Bachar Al-Assad.

« Le service du renseignement militaire libanais est contrôlé par les chrétiens et les chiites, et les deux sectes s'inquiètent de la présence accrue de l'opposition sunnite syrienne au Liban », a expliqué Khaled*, un activiste syrien originaire de Hama qui est arrivé sur les lieux juste après le raid du 7 octobre pour vérifier si ses amis allaient bien. « L'opération avait pour but d'envoyer un message aux Syriens : 'Ne croyez pas que vous êtes protégés ; nous savons où vous êtes'. »

Ahmad a dit que les soldats avaient noté l'endroit où ils travaillaient et le nom de leur patron. « L'armée est venue avec l'intention de noter nos noms et de vérifier si l'un de nous était recherché en Syrie », a-t-il suggéré.

« Les politiques sont toujours derrière ces agressions, même s'ils vous disent qu'ils se contentent de réagir aux plaintes de harcèlement », a dit Mme Chehayed, du Mouvement antiracisme. Elle a comparé cet incident à un autre, survenu en novembre dernier dans un quartier à majorité arménienne situé en banlieue de Beyrouth, et au cours duquel des Libanais arméniens se sont attaqués à des Syriens kurdes à cause de leur rôle présumé dans le génocide arménien sous l'Empire ottoman.

D'autres contestent cette version des faits et affirment que l'armée a bel et bien emmené les suspects et demandé à des femmes libanaises d'identifier ceux qui les avaient harcelées.

Graffiti of a Syrian street sweeper covers a Beirut wall where migrant workers, most of them Syrians, wait every day for casual labour.
Photo: Lucy Fielder/IRIN
Un graffiti représentant un balayeur de rue syrien sur un mur de Beyrouth, où des travailleurs migrants, des Syriens pour la plupart, attendent chaque jour qu'on vienne les chercher pour des travaux occasionnels
Les responsables de l'armée ont dit avoir arrêté 11 personnes, mais HRW a seulement été témoin de l'arrestation de migrants africains qui n'avaient probablement pas de permis de résidence. L'armée n'a pas dit qui avait été arrêté et pourquoi.

Pourtant, les observateurs hésitent à mettre ces incidents sur le compte de visées politiques. « Il y a deux mois, nous avons appris que l'armée avait appréhendé des travailleurs syriens parce qu'elle cherchait quelqu'un qui avait acheté un appareil satellite », a admis M. Houry, de HRW. « Mais je pense qu'à Geitawi, c'était plus un acte de provocation qu'un interrogatoire politique. Si l'intervention avait été purement politique, les soldats n'auraient pas amené aussi les Égyptiens et les Soudanais. »

Ahmad et Khaled n'étaient pas du même avis. Selon eux, la présence de ressortissants d'autres pays parmi les cibles du raid était « un moyen de dissimuler l'objectif réel de l'opération ».

Doubles victimes

Certains résidents de Geitawi ne font preuve d'aucun préjugé contre les Syriens et rejettent ce qu'ils considèrent comme désignation facile d'un bouc émissaire.

« Je n'ai aucun problème avec les Syriens. Les vraies crapules [les auteurs des vols et des actes de harcèlement] viennent de toutes sortes de pays : le Soudan, le Sri Lanka, l'Égypte », a dit Rami al-Abyad, un coiffeur dans la soixantaine. « Tous les migrants ne sont pas des brutes. »

Même Ahmad, le tailleur syrien qui s'est fait tabasser, a souligné les bonnes relations qu'il avait toujours entretenues avec ses propriétaires libanais : « Les propriétaires de la maison ont été bouleversés par l'opération militaire. Ils ont même caché des Égyptiens dans leurs appartements. » D'autres ne cherchent pas à dissimuler leur haine politique des Syriens.

« Ce qui est ironique, c'est que ces travailleurs syriens sont nombreux à soutenir l'opposition syrienne », a dit M. Houry, de HRW. « Ils ont toujours été des doubles victimes : le régime [syrien] ne leur offrait pas d'opportunités d'emploi et les Libanais les associent à l'occupation syrienne, même si Beyrouth a été reconstruite grâce à la main-d'ouvre syrienne bon marché. »

Les propriétaires locaux profitent également de la présence syrienne accrue, ont admis les résidents libanais.

L'armée intouchable

HRW appelle à la tenue d'une enquête transparente sur le raid du 7 octobre, mais l'armée a dit que toute violation potentielle serait gérée en interne. Le ministère de la Défense n'a pas répondu à la demande d'information d'IRIN.

« Il y a un manque de redevabilité de la part de toutes les forces de sécurité, incluant l'armée », a dit M. Houry. Il existe de nombreuses milices sectaires au Liban. L'armée est la seule force de sécurité respectée et elle est dès lors considérée comme une institution sacrée qu'on ne peut pas critiquer facilement. »

Des travailleurs syriens qui sont passés à la télévision pour commenter le raid ont dit qu'ils avaient été menacés par les militaires et sentaient qu'ils n'avaient aucun recours en raison des liens entre des pans importants du gouvernement libanais et le régime de Damas.

« Depuis le début de la révolution, personne ne nous défend et je ne peux pas aller à l'ambassade syrienne pour me plaindre de ce qui s'est passé », a dit Ahmad.

*nom d'emprunt

ag/ha/cb-gd/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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