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Ahmed Omar Isaak, migrant somalien : « Je n’avais jamais imaginé que je me retrouverais en mer »

Route used by Ahmed Omar Isaak from Somalia to Malta IRIN
Ahmed Omar Isaak, 31 ans, a fui le conflit dans son pays d’origine, la Somalie, en janvier 2012. Il voulait simplement se rendre dans un lieu où il serait en sécurité, mais cela s’est avéré beaucoup plus difficile que prévu. Au cours des 16 mois suivants, il a parcouru près de 5 000 km, en camion, en bus, en canot et même dans le coffre d’une voiture. Il a connu l’emprisonnement, les coups et l’abandon dans le désert du Sahara. Il a raconté à IRIN son périple, par téléphone depuis Malte.

« Je suis originaire de Médina, un quartier de la région de Mogadiscio. J’ai quitté le pays pour de nombreuses raisons – l’insécurité et les luttes tribales. Au début, je voulais juste me rendre dans le pays le plus proche pour être en sécurité et c’était le Kenya. Je suis resté deux mois à Nairobi, mais, sans papier, je ne pouvais rien faire. Je ne pouvais pas survivre et j’avais peur que la police kenyane ne vienne m’arrêter. Alors, je suis allé jusqu’à la frontière ougandaise en camion. Ensuite, je suis parti à Kampala où je suis resté un mois, mais la vie était très dure, car je n’avais personne pour m’aider. Quelqu’un m’a conseillé d’essayer la Libye parce qu’il était possible d’arriver en Europe en partant de là-bas. »

Traverser le désert

« Je suis passé au Soudan du Sud où j’ai pris un bus pour Djouba. Ensuite, j’ai navigué sur le Nil en canot jusqu’à la frontière avec le Soudan, puis j’ai pris un bus pour Khartoum. Après, j’ai essayé de traverser le désert du Sahara. J’ai payé 360 dollars. Nous étions 80 Somaliens entassés dans 12 Land Cruiser et nous avons voyagé en convoi pendant trois jours et trois nuits. Nous avons épuisé nos réserves d’eau et il faisait horriblement chaud. Dans le désert, un passeur important s’occupait du passage entre les deux pays [le Soudan et la Libye]. Il nous a gardés captifs pendant trois semaines. Il m’a dit d’appeler mes parents pour leur demander 800 dollars. Je suis tombé malade et j’ai failli mourir. Nous étions 200 là-bas, et cinq personnes sont mortes. Grâce à Dieu, un bon samaritain, un Somalien, a payé 200 dollars de sa poche pour me sauver. »

« Ensuite, nous sommes partis vers la Libye avec des passeurs, mais avant d’arriver à Koufra [près de la frontière sud-est de la Libye], nous sommes tombés sur une milice. Les soldats ont arrêté les passeurs et nous ont laissés sur place, au beau milieu du Sahara. Nous étions 99 et nous sommes restés 24 heures sans eau, sans nourriture et en plein soleil à attendre le retour de la milice. Ils nous ont embarqués dans un camion et nous ont emmenés à Koufra. C’est là que nous avons été emprisonnés pendant quatre mois et battus jour après jour. »

« Un jour, je leur ai dit que j’avais besoin d’aller aux toilettes. Comme l’entrée principale était ouverte et qu’elle n’était pas gardée à ce moment-là, nous étions quatre à avoir pu nous échapper. Nous ne savions pas où fuir, nous sommes allés en ville et nous nous sommes cachés dans un bâtiment encore en construction. Puis nous sommes allés dans un quartier de la ville où vivent des Africains. Ils nous ont aidés et nous ont donné de la nourriture. »

« J’ai téléphoné à mes parents et mes amis. Ils m’ont envoyé 500 dollars que j’ai donné à un passeur pour qu’il m’emmène à Benghazi. Là-bas, il m’a emmené à la Croix-Rouge où l’on m’a donné des couvertures et un endroit pour dormir. Je suis resté deux semaines là-bas, puis des passeurs nous ont emmenés en groupe à Tripoli dans une voiture particulière. Ils m’ont habillé comme une femme libyenne en couvrant mon visage pour ne pas que la police m’interroge. Parfois, je devais me cacher dans le coffre de la voiture. »

« À Tripoli, la police m’a arrêté pour me demander mes papiers. Comme je m’adressais à eux en anglais et pas en arabe, ils m’ont roué de coups avec des matraques et la crosse d’une arme. Ils m’ont volé de l’argent et m’ont dit de partir. Quand je me suis fait arrêter pour la deuxième fois, j’ai été emprisonné pendant deux mois. Finalement, l’ambassadeur de Somalie est venu nous libérer. »

Traverser la mer

« Deux semaines plus tard, j’ai décidé de prendre un bateau pour l’Europe. Je n’ai jamais voulu rester en Libye parce que la vie là-bas est un enfer. D’autres ont payé 400 ou 500 dollars aux passeurs, mais je n’ai pas payé, car que je n’avais pas d’argent. Je leur ai dit que j’avais appris à naviguer à l’école et que je savais utiliser une boussole. Ils m’ont fait confiance. Ce n’était pas vrai, mais, à Tripoli, j’avais regardé sur Internet comment utiliser un GPS [système de géolocalisation] et me servir des différents paramètres. »

« Nous étions 55 Somaliens dans un canot pneumatique. Ils nous ont seulement donné une boussole et un GPS avant de nous dire dans quelle direction aller. Ensuite, ils nous ont mis à l’eau et nous ont dit de partir. Nous voulions atteindre Malte parce que la mer est immense et vaste, et parce que c’était l’endroit le plus proche à atteindre. À environ 160 km au large de Tripoli, le canot a commencé à prendre l’eau. Tout le monde hurlait, certains voulaient retourner en Libye, mais je leur ai dit de continuer à écoper en attendant le passage d’un navire. Mais personne n’est venu nous sauver. Près de 10 heures plus tard, nous sommes revenus au large de Tripoli en dérivant, près de la frontière tunisienne. Des miliciens nous ont vus et nous ont demandé d’où nous venions et si nous essayions d’aller en Italie. Ils nous ont frappés et nous ont emmenés dans un centre de détention où nous sommes restés trois semaines. Certaines femmes étaient enceintes et vomissaient. Des gardes ont eu pitié de nous et ont décidé de nous laisser partir, mais ils nous ont dit que s’ils nous voyaient passer sur la mer encore une fois, ils nous tueraient. »

« Je suis retourné à Tripoli et, un mois plus tard, j’ai trouvé un autre passeur avec un canot. Je devais reprendre la mer une nouvelle fois. C’était encore un canot pneumatique et nous n’avions que des biscuits et un peu d’eau. Il n’y [avait] plus rien au bout de deux jours. J’ai bu de l’eau de mer tellement j’avais soif. Mais après trois jours et trois nuits en mer, nous avons accosté à Malte sains et saufs. »

« Nous avons été placés en détention, mais dans un centre ouvert cette fois, un endroit agréable où nous avons rencontré le HCR [Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR)] qui nous a enregistrés. J’ai demandé le statut de réfugié et, après un séjour de trois mois, j’ai obtenu cette protection. Aujourd’hui, je me suis installé en ville. Je reçois un peu d’argent du gouvernement et quand je sers d’interprète. »

« Malte est un petit pays que j’aime, mais je veux vivre légalement dans un autre pays, me réinstaller dans un pays comme les États-Unis. J’ai quitté la Somalie à cause d’Al-Shabab et de plein d’autres problèmes, mais si j’avais su ce qui allait se passer, je ne serais jamais parti. Je n’avais jamais imaginé que je me retrouverais en mer, ni tout le chemin qu’il me faudrait parcourir pour avoir une protection et des perspectives d’avenir. »

ks/rz-fc/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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