Les Nations Unies ont enregistré 134 meurtres depuis le mois d’avril, quand le président Pierre Nkurunziza a annoncé qu’il se présentait à sa réélection. Les Burundais sont descendus dans la rue pour manifester contre cette candidature jugée inconstitutionnelle, car M. Nkurunziza avait déjà effectué deux mandats.
Vendredi matin, des coups de feu ont à nouveau retenti dans le centre-ville, gâchant la beauté d’une journée d’avant mousson. Cette fois-ci, ce sont un changeur de monnaie, de mon âge à peu près, et son patron qui ont été descendus. La femme du changeur de monnaie, mère de deux enfants, n’a pas pu me parler quand je l’ai appelée.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment se fait-il que nous glissions à nouveau vers l’enfer ? Faisons le point sur les événements majeurs de ces dernières semaines pour comprendre l’ampleur de la crise.
1er août
Des représentants des partis politiques de l’opposition et de la société civile se rencontrent à Addis-Abeba et créent un Conseil National pour le Respect de l'accord d'Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi et la Restauration de l’Etat de droit (CNARED). (Signé en août 2000, l’accord d’Arusha n’est pas acte juridiquement contraignant, mais il a posé les jalons d’une sortie de la guerre civile qui avait éclaté en 1993 et a défini le système de gouvernance du Burundi. La limitation à deux mandats était une disposition-clé de l’accord.). La raison d’être du CNARED est de chasser M. Nkurunziza du pouvoir. Selon ses membres, les seuls points de négociations sont les conditions de son départ.
Au même moment, le parti au pouvoir annonce que le dialogue national doit reprendre rapidement. Les membres du CNARED pourront y participer, mais ils ne pourront pas parler au nom de l’organisation. Malgré les discours de réconciliation, les meurtres continuent.
2 août
Adolphe Nshimirimana, ancien chef des services de renseignement, généralement considéré comme le bras droit du Président – et chef militaire du CNDD-FDD à l’époque où l’organisation était un groupe rebelle (il est désormais le parti au pouvoir) – et ses trois gardes du corps sont tués par un tir de rocket dans la capitale. Ces actes sont condamnés par la communauté internationale ; de son côté, M. Nkurunziza décide de s’adresser à la nation, ce qui est exceptionnel. Des arrestations ont lieu et la tension continue de monter. Un correspondant de RFI et de l’AFP est hospitalisé après subi une agression.
3 août
Pierre Claver Mbonimpa, président de l’Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues, échappe à une tentative d’assassinat. Sa renommée internationale dans le domaine des droits humains lui permet de se faire soigner à l’étranger, bien qu’un tribunal lui ait ordonné de ne pas quitter Bujumbura, car il est accusé d’avoir menacé la sécurité intérieure du pays après avoir dénoncé la militarisation des jeunes du parti au pouvoir l’année dernière.
Un diplomate dit que cette tentative d’assassinat est une « attaque honteuse contre un homme qui a travaillé sans relâche pour protéger les droits des autres ».
4 août
Un représentant local du parti au pouvoir est assassiné par des hommes armés non identifiés, alors qu’il se rend à son bureau sis à Kiyenzi, à 21 kilomètres au sud de Bujumbura.
15 août
Jean Bikomagu, chef d’état-major de l’armée burundaise de 1993 à 1996, est assassiné par des individus à moto, alors qu’il sort d’une église. Sa fille est gravement blessée, mais ses jours ne sont pas en danger. Comme son homologue rebelle M. Nshimirimana, M. Bikomagu aurait été l’un des participants clés à une future commission vérité et réconciliation.
20 août
M. Nkurunziza prête serment. La cérémonie d’investiture est organisée avec six jours d’avance, sans véritable annonce. Les médias d’Etat sont prévenus dans la matinée, tandis que d’autres journalistes, dont je fais partie, reçoivent des messages textes quelques minutes seulement avant la cérémonie. La garde présidentielle refuse l’entrée à plusieurs journalistes. Aucun chef d’Etat étranger n’est présent.
Au cours des semaines suivantes, des coups de feu sont entendus dans les quartiers qui soutiennent l’opposition à Bujumbura. Les arrestations se multiplient et des cadavres sont retrouvés dans différents quartiers de la capitale.
7 septembre
Patrice Guhungu, porte-parole d’un petit parti politique dont le dirigeant a été assassiné au mois de mai, est abattu devant son domicile. Les autorités annoncent l’ouverture d’une enquête et Chauvineau Mugwengezo, chef par intérim du parti, déclare : « C’est clair qu’il y a la main du pouvoir de Pierre Nkurunziza car ce crime odieux s’inscrit dans une suite d’assassinats visant tous ceux qui ont osé dire que son troisième mandat est illégal ». M. Mugwengezo part en exil, en indiquant qu’il a déjà échappé à plusieurs tentatives d’assassinat.
11 septembre
Prime Niyongabo, chef d’état-major de l’armée qui a joué un rôle clé dans la mise en échec du coup d’Etat de mai, échappe à une embuscade. Sept de ses gardes du corps sont tués. Sur une photo prise par un témoin de l’attaque, je vois qu’une des victimes porte une alliance. Je me dis que, une fois de plus, une femme a perdu son époux, des enfants ont perdu leur père, des parents ont perdu leur soutien de famille.
14 septembre
Pablo de Greiff, expert des droits de l’homme pour les Nations Unies, prévient que « la communauté internationale, y compris les organisations régionales et internationales, ne peuvent se permettre d’attendre que de nouvelles atrocités de masse reprennent » au Burundi. « Il y a le risque d’un conflit majeur dans la région des Grands Lacs, dont personne ne peut prédire les proportions ».
22 septembre
Dans un message lu dans toutes les églises catholiques du pays, la Conférence des Evêques Catholiques du Burundi appelle à la reprise d’un « vrai dialogue » n’excluant aucun acteur de la crise. Le message fait état d’une « situation sécuritaire très inquiétante », marquée par des assassinats, des enlèvements, des actes de torture et des mises en détention arbitraires.
23 septembre
M. Nkurunziza signe un décret créant une commission nationale de dialogue interburundais chargée de conduire les discussions. Elle dispose d’un mandat de six mois ; ses 15 membres sont issus de différents secteurs de la vie publique et relèvent du bureau du Président. Plusieurs personnalités de la société civile sont sceptiques sur les chances de succès de la commission.
28 septembre
Zeid Ra’ad Al Hussein, Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, fait état d’une augmentation alarmante du nombre de meurtres, d’arrestations et de détentions au Burundi depuis le début du mois de septembre et indique que « nombre de personnes ont été arrêtées par la police ou par le Service national de renseignement avant leur mort. ?« Cette succession de meurtres inexpliqués et l’impression largement répandue qu’ils pourraient avoir un lien avec les institutions étatiques instillent une peur profonde au sein de la population, en particulier au sein des quartiers connus pour leur soutien à l’opposition », a-t-il dit.
Sur les 704 arrestations enregistrées au mois de septembre, la majorité des personnes arrêtées ont généralement été relâchées au bout de quelques heures, selon le Commissaire, mais certaines personnes sont restées en détention pendant des mois, bien au-delà de la durée maximale autorisée.
29 septembre
Jean Baptiste Nsengiyumva, une figure de l’opposition dans la province de Muramvya, est assassiné.
30 septembre
L’Union européenne adopte un gel des avoirs et des restrictions en matière de déplacements à l’égard de trois fonctionnaires proches de M. Nkurunziza pour leur recours présumé à une force excessive contre des manifestants de l’opposition et d’un ancien général qui a participé à la tentative de coup d’Etat de mai. Le gouvernement dira que cette décision est illégale et contreproductive.
3-4 octobre?Entre huit et 15 personnes sont tuées au cours de divers incidents dans la capitale. La police accuse les partisans de l’opposition d’avoir déclenché les violences en s’en prenant à des officiers. Des témoins font état de coups de feu et d’explosions dans la nuit de samedi à dimanche. L’identité des auteurs des crimes reste inconnue.
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Il est difficile de trouver de l’espoir dans une telle situation. Je crains aussi que le conflit ne s’étende au-delà des frontières du Burundi. Environ 200 000 réfugiés burundais vivent en République démocratique du Congo (RDC), au Rwanda et en Ouganda, des pays qui s’efforcent de faire face aux conséquences de leurs propres guerres passées et qui connaissent des différends en matière de mandat présidentiel. Que se passera-t-il dans ces camps de réfugiés si une guerre éclate ici ? Le Burundi a déjà accusé le Rwanda d’entraîner des rebelles pour déstabiliser le pays.
Aujourd’hui, il semble que nous régressions dans différents domaines : unité nationale, sécurité et économie. Et le Burundi est relégué au second plan sur la scène internationale, car l’attention se porte sur la Syrie, l’Afghanistan et la crise des réfugiés. Le dialogue national proposé ne sera efficace que si les acteurs extérieurs augmentent la pression sur les principales parties prenantes.
Les meurtres commis récemment par des officiers de police aux Etats-Unis ont donné naissance au slogan « Black lives matter » [la vie des Noirs compte], qui se réfère au Afro-Américains. Je souhaite adresser un message au monde : « la vie des Burundais compte aussi ».
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