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L’enlèvement des ordures en Syrie : une tâche essentielle – et dangereuse

In an attempt to help keep Aleppo's city center clean and prevent the spread of diseases linked to rubbish, the Jesuit Refugee Service and Syrian NGOs took part in a clean-up campaign Avo Kaprealian/Jesuit Refugee Service
Un autre phénomène inquiétant vient s’ajouter aux tireurs embusqués, aux décombres et à la misère que l’on peut observer dans les rues syriennes : l’accumulation des ordures.

À Janoub al Malaab, le quartier de Hama où est né Adel*, une odeur quasi insupportable se dégage des montagnes de déchets.

« On peut les voir pourrir sous le soleil, et on peut les sentir. Il y a des zones dont on ne peut même pas s’approcher tellement la puanteur est horrible », a dit l’activiste local. « Les gens en souffrent. »

Plus de deux ans après le début d’un conflit qui a provoqué une véritable crise de santé publique, la collecte et l’élimination des déchets solides demeurent gravement perturbées dans les régions assiégées de la Syrie. Dans les zones contrôlées par les rebelles, l’État a pratiquement cessé de fournir des services d’enlèvement des ordures. L’accumulation des déchets, la détérioration des conditions d’hygiène et l’augmentation des températures liée à l’arrivée de l’été exposent environ cinq millions de personnes à des risques de maladies, selon Ahmedou Bahah, responsable des programmes d’eau et d’assainissement pour le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) en Syrie.

« En juillet, les températures atteindront les 40 degrés Celsius, ce qui pose des risques importants pour la santé publique en raison des difficultés d’accès à l’eau potable et de l’absence de services de gestion des déchets », a-t-il dit à IRIN.

Dans les quartiers assiégés de Homs, les camions à ordures de l’État n’ont pas circulé au cours des 16 derniers mois, c’est-à-dire depuis que les troupes gouvernementales ont lancé une campagne militaire dévastatrice. Pour les remplacer, des réseaux d’activistes civils ont mis sur pied des comités chargés du nettoyage des rues.

« Nous rassemblons tous les déchets au même endroit jusqu’à ce que le tas soit aussi gros qu’une montagne », a dit Mohammed*, un activiste local. Les volontaires créent généralement des dépotoirs improvisés (piles de déchets) dans les zones dont les habitants ont fui.

« Une ou deux fois par semaine, nous réussissons à trouver un camion pour amener les déchets à l’extérieur. Ça peut être dangereux, parce qu’il faut passer des postes de contrôle et que les soldats nous accusent souvent de cacher des armes », a-t-il dit. « Des personnes sont parfois arrêtées et il arrive qu’on nous force à tout décharger. »

Les efforts locaux sont également entravés par les affrontements persistants et les capacités limitées.

« Nous avons tenté de résoudre le problème, mais la situation est toujours critique », a dit Ahmed, un activiste d’Albara, une ville de 20 000 habitants située dans la région de Jebel Azzawieh, dans le gouvernorat d’Idlib, qui est contrôlé par les rebelles. « On arrive à trouver des volontaires pour collecter les ordures une journée ou deux, mais pas tous les jours, et nous n’avons pas les moyens de verser des salaires. »

Il a ajouté qu’il fallait aussi des camions et de l’essence pour transporter les déchets. Or, ceux-ci coûtent cher et ne sont pas toujours disponibles. « C’est une grande ville, alors on a besoin d’au moins trois véhicules pour nettoyer les rues, mais il arrive qu’on n’en trouve qu’un seul. »

« Dès qu’il y a des combats, il y a un problème », a dit Adel, l’activiste de Hama. Les services publics de la ville ont été gravement mis à mal, même si celle-ci est sous le contrôle de l’armée du régime, a-t-il dit, et les résidents ont de la difficulté à nettoyer leur propre rue en raison des affrontements intermittents. Il est parfois pratiquement impossible de traverser la rue, et encore moins de s’attarder à collecter les déchets, à cause de la présence de tireurs embusqués, a-t-il ajouté.

Quand l’armée boucle des quartiers, il arrive que les activistes ne puissent pas transporter les déchets à l’extérieur pendant plusieurs semaines. « Dans ce cas, on les enterre : c’est la seule chose qu’on peut faire », a dit Mohammed.

L’accumulation des déchets coïncide avec un effondrement généralisé des infrastructures ainsi qu’avec de graves perturbations du système de santé – l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) estime en effet qu’au moins 35 pour cent des hôpitaux du pays ne sont pas fonctionnels. Selon Basel al Yousfi, directeur du Centre régional de l’OMS pour les activités en santé environnementale, situé à Amman, la capitale jordanienne, cette combinaison de facteurs est très propice à la prolifération des maladies.

Leishmaniose

« Les tas d’ordures qui s’accumulent dans les rues servent de lieux de reproduction pour les insectes et les animaux nuisibles comme les moustiques, les mouches et les souris. Ceux-ci peuvent transmettre de nombreuses maladies comme la leishmaniose et ainsi causer des épidémies, en particulier dans les situations d’urgence et de conflit », a-t-il dit à IRIN.

Les odeurs dégagées pendant le processus de biodégradation peuvent en outre provoquer de graves problèmes respiratoires, a averti M. al Yousfi.

Le nombre de cas rapportés de leishmaniose, une maladie transmise par un insecte appelé phlébotome qui cause des lésions rappelant la lèpre, a déjà augmenté de manière significative. Selon l’OMS, les êtres humains peuvent être infectés lorsqu’ils se font piquer par des phlébotomes femelles qui se sont reproduits dans les ordures. Les déplacements internes et l’accès limité aux soins de santé contribuent également à la propagation de la maladie.


Selon les résidents et les activistes, le nombre de cas de leishmaniose est en hausse dans la ville de Homs, mais la ville d’Alep et les régions rurales des gouvernorats d’Alep et de Homs sont les plus durement touchées. Les ONG locales rapportent en effet jusqu’à 4 000 cas dans chacune des régions.

« Nous ne pouvons pas confirmer ces chiffres, mais si les conditions d’hygiène continuent de se détériorer, la propagation de la leishmaniose pourrait atteindre des niveaux catastrophiques », a dit M. Bahah, de l’UNICEF.

Les insectes, en particulier les mouches, se sont déjà multipliés depuis le début de l’été, a dit Ahmed, l’activiste du gouvernorat d’Idlib.

« La leishmaniose est maintenant présente dans de nombreux endroits. La situation s’est aggravée depuis le début de l’été. C’est pourquoi nous multiplions les efforts en faveur de l’enlèvement des ordures. Les gens commencent à craindre pour leur santé. »

Si l’augmentation des maladies transmissibles comme la typhoïde, l’hépatite, le choléra et la dysenterie est surtout attribuée aux pénuries d’eau potable – selon l’UNICEF, la disponibilité de l’eau potable en Syrie équivaut à un tiers seulement de ce qu’elle était avant la crise –, les montagnes de déchets qui pourrissent dans les quartiers résidentiels viennent aggraver une situation sanitaire déjà critique.

Selon l’OMS, le nombre de cas rapportés de diarrhée aqueuse aiguë est passé de 243 à 660 entre janvier et mai 2013, ce qui représente une augmentation de 172 pour cent. Le nombre de cas d’hépatite A a augmenté de 219 pour cent pendant la même période, passant de 48 à 153.

Défis logistiques

À l’approche des canicules de l’été, l’UNICEF a commencé à mettre en oeuvre un plan d’urgence pour réduire le risque de maladies associées à l’hygiène et à l’assainissement.

L’organisation aide les communautés à collecter et à transporter les déchets solides et travaille en collaboration avec des partenaires locaux pour sensibiliser les habitants et fournir des produits d’hygiène et des pesticides. Des activistes de la société civile d’Alep reçoivent également le soutien du Service jésuite des réfugiés (Jesuite Refugee Service, JRS) pour l’enlèvement des ordures.

Les organisations d’aide humanitaire et les activistes de la société civile doivent cependant surmonter de nombreux défis logistiques.

« La sécurité est l’un des principaux problèmes », a dit Bahah. « Il arrive que des camions remplis de déchets soient déchargés trois ou quatre fois aux postes de contrôle avant d’atteindre les dépotoirs. Voilà pourquoi nous tentons actuellement de négocier avec les autorités. »

Les agissements des forces rebelles ont aussi nui aux tentatives pour ramener la situation sous contrôle. Des convois d’aide transportant de l’essence destinée à alimenter les camions d’ordures ont par exemple été bloqués sur l’autoroute qui relie Hama et Homs, car les rebelles craignaient que l’essence ne finisse par être utilisée par l’armée, a dit M. Bahah.

Dans les quartiers de Damas contrôlés par les rebelles, l’Armée syrienne libre (ASL) tente de combler le vide laissé par l’État. « Évidemment, c’est difficile, car personne ne prend la peine de nettoyer les rues quand il y a des tirs d’obus. La situation est donc désastreuse dans certains quartiers. On voit même des animaux morts dans les rues. »

Quand l’ASL a pénétré dans le centre de la ville et que des affrontements ont éclaté en juillet 2012, les services publics ont été suspendus pendant environ une semaine, mettant du même coup en lumière les risques que peut faire peser une telle suspension sur une ville de deux millions d’habitants. « C’était horrible – il y avait des déchets partout », a dit Modar, un étudiant local qui a seulement accepté de donner son prénom. « Nous sommes maintenant capables d’imaginer ce qui risque d’arriver si l’ASL pénètre un jour dans le centre de la ville. » 

Cliquez ici pour d’autres articles sur la façon dont les difficultés d’accès à l’eau, à des services d’assainissement et à une hygiène adéquate menacent les Syriens et d’autres habitants de la région.

*noms fictifs

gk/ha/gd-ld


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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