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Le conflit et le coronavirus déclenchent une crise alimentaire au Burkina Faso

« La situation est extrêmement alarmante. Cela pousse les gens à la limite de la vulnérabilité. »

A woman cooks for a family of displaced people in Kongoussi Sam Mednick/TNH
A woman cooks for a family of displaced people in the northern town of Kongoussi. The number of people in need of emergency food aid in Burkina Faso has tripled to more than 3.2 million.

Le nombre de personnes ayant besoin d’aide alimentaire d'urgence au Burkina Faso a triplé pour atteindre plus de 3,2 millions - dont quelques 11 000 souffrant de niveaux de famine « catastrophe » - alors que les conséquences économiques de la pandémie de coronavirus frappent un pays déjà englouti par la violence.

Les dernières statistiques- qui incluent des situations de famine dans une partie du pays pour la première fois depuis plus de dix ans- proviennent d'un nouveau rapport sur la sécurité alimentaire du gouvernement et des agences de l’ONU. Le Programme Alimentaire Mondial (PAM) a transmis ce rapport à The New Humanitarian mais celui-ci n'est pas encore disponible en ligne.

Des enfants émaciés et des mères souffrant de malnutrition affluent chaque jour dans des hôpitaux locaux mal équipés, où les médecins et les infirmières qui ont été interrogés lors de la visite de TNH dans le nord, l'ouest et le sud-ouest du Burkina Faso ont déclaré qu'ils se sentaient débordés et se préparaient au pire.

« Il y a des gens qui n'ont rien à manger », a déclaré Philomène Sawadogo-Ouedraogo, cheffe du service pédiatrique de l'hôpital principal de la ville de Kongoussi dans la région Centre-Nord.

Alors qu'il devrait y avoir suffisamment de nourriture qui circule dans le pays - la production a augmenté ces derniers mois de près de 10 pour cent par rapport à la moyenne sur cinq ans, selon le rapport - les attaques d'extrémistes et une mosaïque d'autres groupes armés ont déraciné un million de personnes, séparant les agriculteurs de leurs terres et laissant ainsi les récoltes pourrir dans les champs et les greniers.

Les mesures prises pour arrêter la propagation de la COVID-19 - y compris l'interdiction des transports publics, la mise en quarantaine de villes entières et la fermeture des frontières et des marchés - ont aggravé la situation, créant « une crise socio-économique majeure », selon le rapport.

Bien que les restrictions aient été levées en avril et en mai, de nombreux Burkinabè ont déclaré à TNH que leur pouvoir d'achat n'était pas encore complètement rétabli, tandis que les médecins ont annoncé qu'il y avait eu une augmentation des cas graves de malnutrition dans le pays, même dans les zones non agitées par le conflit.

« La situation est extrêmement alarmante. Cela pousse les gens à la limite de la vulnérabilité »

Les organisations humanitaires ont déclaré à TNH qu'elles essayaient de mettre en place leur programme d’assistance, mais que le manque de financement et l'insécurité dans les zones durement touchées compromettaient leurs efforts.

Il est attendu que les besoins augmentent davantage, car les personnes déplacées ratent de nouvelles saisons de plantation et la violence sévit dans la région qui constitue le grenier de la Boucle du Mouhoun, menaçant d'étouffer les approvisionnements de nourriture à travers le pays.

« La situation est extrêmement alarmante », a déclaré David Bulman, représentant national du PAM au Burkina Faso. « Cela pousse les gens à la limite de la vulnérabilité »

Des moyens de subsistance perdus

La faim augmente souvent au Burkina Faso à cette période de l'année, appelée période creuse : les stocks alimentaires sont généralement bas, les prix augmentent et les gens dépendent des récoltes de la saison précédente pour survivre.

Mais les vagues de violence au cours des derniers mois ont dévasté des vies et des moyens de subsistance, mettant environ 15 pour cent de la population dans une situation de besoin d'aide alimentaire d'urgence.

Dans la région du Sahel du Burkina Faso touchée par le conflit, quelques 11 000 personnes sont confrontées à une catastrophe alimentaire de « phase 5 » - c'est le niveau le plus élevé selon le Système Intégré de Classification des Phases de Sécurité Alimentaire (Integrated Food Security Phase Classification system), un outil pour améliorer l'analyse et la prise de décision en matière de sécurité alimentaire conçu par l’ONU et les agences humanitaires qui indique les niveaux de famine. Les responsables humanitaires ont déclaré que c'était la première fois en plus de 10 ans, voire plus, qu'une partie du Burkina Faso était classée dans la « phase 5 ». Des centaines de milliers d’autres personnes dans d'autres régions du pays sont également confrontées à une insécurité alimentaire aiguë.

À Kongoussi, où vivent des dizaines de milliers de personnes déplacées, les ouvriers ont érigé un nouveau bâtiment le mois dernier à l'hôpital local pour faire face au nombre croissant d'enfants émaciés. Le bruit parvenait à une salle d'attente de fortune où une file de parents anxieux tenaient tous des bébés fragiles.

« Parfois, les enfants disent qu’ils ont faim, mais je n’ai rien pour les nourrir. Je leur dis simplement que tout ira bien et leur demande d’aller dormir. »

La situation était devenue si précaire ces dernières semaines que les mères souffrant de malnutrition venaient avec leurs valises dans l'espoir que les médecins les laisseraient vivre au centre d'alimentation parce qu'elles n'avaient plus de lait maternel. Les médecins ont dit à TNH qu'ils n'avaient pas assez d'argent pour les nourrir.

La flambée du nombre de déplacés est au cœur du problème. Loin de leurs champs, des gens comme Amadou Tamboura - âgé de 58 ans et père de 14 enfants, qui a fui son village après une attaque des djihadistes en janvier qui avait coûté la vie à quatre de ses enfants - dépendent désormais entièrement des rations de haricots et de millets du gouvernement qui dépassent à peine un repas par jour.

« Parfois, les enfants disent qu’ils ont faim, mais je n’ai rien pour les nourrir », a déclaré Tamboura. « Je leur dis simplement que tout ira bien et leur demande d’aller dormir. »

Tamboura a déclaré à TNH qu'il aimerait pouvoir cultiver à Kongoussi, une ville relativement sécurisée où sa famille vit maintenant dans des tentes fragiles, mais les autorités locales lui ont dit qu'il n'y avait pas de terres disponibles.

58-year-old Amadou Tamboura
Sam Mednick/TNH
58-year-old Amadou Tamboura’s family fled to Kongoussi town earlier this year and are now reliant on government food rations that barely extend beyond a meal a day.

Ceux qui n’ont pas fui leurs maisons sont également affectés, car la violence limite leurs mouvements et épuise leurs revenus. À Tougan, ville de la Boucle du Mouhoun - où 27 000 personnes font face à la « phase 4 » de l’urgence alimentaire malgré le stock dans les greniers - une vendeuse de fruits de 42 ans qui a voulu garder l’anonymat a dit à TNH que le marché dans lequel elle travaillait a été fermé en février suite à un raid meurtrier mené par les djihadistes.

Cette mère de cinq enfants a essayé de vendre de la nourriture sur un autre marché, mais en décembre, les djihadistes de la région lui ont dit que cela était interdit parce qu'ils posaient des explosifs le long des routes pour tuer les soldats. La femme travaille maintenant dans un marché plus petit, gagne beaucoup moins d'argent et mange beaucoup moins de nourriture.

« Je dois simplement tenir et lutter pour m’en sortir », dit-elle.

Les poches vides

Les mesures de restrictions liées au coronavirus ont tout aggravé, selon le rapport sur la sécurité alimentaire, avec « des pertes d'emplois, de revenus et de moyens de subsistance, [plongeant] une bonne partie de la population dans l'insécurité alimentaire ».

Les restrictions, combinées à l'impact de la période creuse, ont entraîné une hausse des prix des denrées alimentaires, selon Julia Wanjiru, analyste politique pour le Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest (Sahel and West Africa Club), un groupe économique intergouvernemental. Le prix du mil - un aliment de base ici - a augmenté de 15 pour cent par rapport à la même période l'an dernier, par exemple.

Son fils de cinq semaines dans les bras, à Hounde - une ville en grande partie paisible dans le sud-ouest - Balkissa Ouedraego a déclaré qu’à cause de l’augmentation du prix du maïs depuis le mois de mars, il lui était difficile de trouver de quoi manger pendant sa grossesse.

Les médecins et les infirmières de la ville ont décrit un pic de malnutrition depuis mars, certains enfants souffrant d'une complication appelée œdème, qui provoque un gonflement si grave que la peau peut commencer à tomber.

A cause des hausses de prix, les gens n’arrivent pas à manger des repas équilibrés à base de poisson, de viande et de différentes céréales, ont déclaré les médecins.

Les petits commerçants et les travailleurs informels ont également été durement touchés par les restrictions. La vendeuse de fruits de 42 ans a déclaré qu'elle s'était tournée vers une entreprise de transport privé aux tarifs élevés pour livrer des produits lorsque les transports en commun étaient fermés - mais les approvisionnements venaient moins fréquemment et, en avril, ne sont jamais venus.

Pour faire face à la pression sur les revenus, de nombreux commerçants ont déclaré à TNH qu'ils avaient dû puiser dans leurs économies et qu'ils étaient maintenant en train de rattraper le temps perdu.

Les restrictions de voyage, entre temps, empêchaient certains des enfants les plus mal nourris de bénéficier de soins dans les hôpitaux, selon Coumbo Boly, pédiatre à l'hôpital universitaire Yalgado Ouédraogo de la capitale, Ouagadougou.

L'une de ses patientes - Fatimata Ouedraogo, âgée de deux ans - est sortie en décembre après avoir été traitée pour une infection pulmonaire et urinaire et un gonflement lié à la malnutrition. Elle devait revenir pour un contrôle en mars, mais l'interdiction de voyager a retardé les choses de trois mois, période au cours de laquelle le gonflement s'est aggravé.

« Nous voyons de plus en plus de cas et de situations de patients qui auraient dû revenir pour un examen mais qui n’ont pas pu », a déclaré Boly. « Ils reviennent avec des situations qui sont pires. »

Parents of malnourished children at a local hospital in Kongoussi
Sam Mednick/TNH
Parents of malnourished children sit in the waiting room of a local hospital in Kongoussi. Monthly malnutrition cases tripled at the hospital during the first half of the year.

Le pire est à venir

L’ ONU a lancé un appel de fond d’un montant de 424 millions de dollars pour financer les efforts de secours dans le comté cette année, mais un tiers de cette requête est toujours en suspens. Et même avec les bonnes ressources, à cause des attaques croissantes contre les organisations humanitaires, il devient plus difficile d'atteindre les populations vulnérables.

Les agences humanitaires transportant de la nourriture pour une distribution dans la région du Sahel du Burkina Faso - où les gens sont le plus affamés - ont été prises dans une embuscade et dépouillées par des hommes armés plusieurs jours d’affilée au début du mois d'août, selon un rapport de sécurité humanitaire interne consulté par TNH.

« Les humanitaires n'arrivent pas à atteindre la majorité des personnes dans le besoin dans la [région nord du] Sahel en raison de l'insécurité et cela est particulièrement préoccupant étant donné les besoins croissants », a déclaré Manenji Mangundu, directeur national pour le Burkina Faso et le Niger du Conseil Norvégien pour les Réfugiés. 

Bien que les pluies aient été favorables ces derniers mois, la plupart des personnes déplacées n'ont pas pu accéder à leurs fermes, causant ainsi un « cercle vicieux » d'insécurité alimentaire, selon Wanjiru, du Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest.

Dans la Boucle du Mouhoun - la région qui produit la majeure partie des céréales du pays - la violence s'est intensifiée cette année et les experts en sécurité alimentaire préviennent que si la production diminue, cela pourrait avoir de graves conséquences pour le reste du pays.

À Kongoussi, le désespoir a contraint les gens déplacées à retourner dans les villages et les fermes qu'ils avaient fuis, accompagnées dans certains cas par les combattants volontaires locaux– des civils formés par le gouvernement pour combattre les djihadistes, souvent avec un simple couteau ou un fusil de chasse.

Mais beaucoup sont retournés à Kongoussi peu de temps après leur départ parce qu'ils avaient entendu dire que des hommes armés rôdaient à proximité. Les proches de ceux qui sont retournés chez eux pour cultiver et qui sont restés sur place ont dit à TNH qu'ils étaient constamment inquiets face à cette menace.

« Ils cultivent dans la peur », a déclaré Amado Koanda, un homme de 62 ans, dont trois des fils ont été envoyés dans leur village pour aider la famille déplacée à survivre au cours des mois à venir. « Je pense tout le temps à eux. »

sm/pk/ag

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