L’auteur de ce récit est un jeune diplômé de l’université de Damas, issu d’une famille aisée appartenant à une minorité religieuse syrienne. Il souhaite conserver l’anonymat pour des raisons de sécurité. Dans ce deuxième extrait, il décrit les huit mois passés au Liban après avoir fui Damas.
Je suis arrivé au Liban en septembre 2012 en pensant que j’allais y rester seulement quelques jours pour obtenir des papiers avant de me rendre en Espagne pour suivre un master. J’avais mis dans un sac le strict nécessaire pour ne pas avoir à ouvrir ma valise.
Le premier jour, je me suis rendu à l’ambassade d’Espagne où l’on m’a dit de revenir pour de nouveaux sceaux et tampons officiels. La deuxième fois, j’ai eu droit au même refrain. J’ai fini par me rendre à l’ambassade presque tous les jours. Il y avait des files interminables de Syriens venus demander un visa. En fait, il y avait dans l’ambassade plus de Syriens que de Libanais. Avec le temps, certains visages sont devenus familiers et je me suis fait quelques "copains de salle d’attente".
J’ai passé deux mois à attendre un visa. Je partageais l’appartement d’un ami avec trois autres personnes. J’étais stupéfait par le nombre de connaissances syriennes que je croisais au Liban : de vieux copains, de l’école ou du voisinage, qui avaient fui, car ils étaient recherchés par l’une ou l’autre des parties en conflit. Beaucoup n’ont pas obtenu de visa – cela leur a été refusé pour des raisons souvent confidentielles – mais ils ne pouvaient pas retourner en Syrie à cause de la guerre. Ils étaient ingénieurs, comptables, médecins, musiciens ; des personnes avec un potentiel énorme. Au lieu de cela, ils étaient contraints d’accepter le premier travail venu à Beyrouth. Leur sort me désolait de la même manière que mon propre sort allait me désoler plus tard.
J’avais toujours voulu étudier à l’étranger, mais la plupart des gens qui attendaient un visa ne partaient pas par envie. En Syrie, ils avaient un travail et une vie qu’ils avaient quittés à contrecœur. J’avais la vision grotesque et caricaturale d’une génération entière déplacée faisant la queue devant une ambassade, en attente d’un visa, en attente d’un laissez-passer pour commencer une vie nouvelle.
Comme les procédures de visa n’en finissaient plus, je fus obligé d’ouvrir ma valise, mais je refusai de défaire mes bagages et de m’installer pour de bon au Liban. Mais deux mois plus tard, après avoir enfin complété mon dossier, j’ai appris que je ne pourrais pas obtenir de visa de toute façon ; les cours auxquels je m’étais inscrit avaient déjà commencé. C'était trop tard. J’ai fait bonne figure lorsque mes parents sont venus me dire au revoir au Liban, cachant ma déception.
J’ai mis presque toutes mes économies dans un appartement que je partageais avec un ami en ville. Défaire mes bagages fut psychologiquement éprouvant ; en enlevant mes affaires de la valise, j’avais l’impression d’enlever les rêves de ma tête. J’avais toujours aspiré à parcourir le monde et je me retrouvais là, coincé dans un pays inhospitalier, pas très loin de chez moi, avec seulement 40 kilos de bagages. Comme j’aurais aimé pouvoir emporter un ami ou un petit café syrien dans ma valise !
Malgré mes compétences linguistiques et mon diplôme universitaire, je n’ai pu trouver qu’un travail de caissier et de responsable dans un fast-food. J’ai essayé de reconstruire ma vie à Beyrouth. Mais travailler tous les jours dans un domaine qui n’est pas le sien, sans utiliser ses connaissances, fait que l’on se sent inférieur à ses propres yeux, indépendamment des yeux des autres. Le salaire était beaucoup plus bas que celui que je gagnais en Syrie et le coût de la vie, beaucoup plus élevé.
Mais l’économie libanaise a souffert de la crise syrienne et, en l’espace de six mois, le fast-food a fermé. Je n’avais pas la force de chercher un nouveau travail, ni aucune envie de passer encore du temps à errer sans but.
À la place, je décidai de rentrer chez moi. J’allai devoir franchir la frontière clandestinement et échapper à la vigilance des gardes syriens. C’était risqué, mais je voulais – non, je devais – respirer à nouveau l’air de Damas.
Extraits précédents :
Journal de Syrie: Quitter la Syrie
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