Le 28 août, les eaux de l’Indus, jaillies d’une des plus de 10 brèches ouvertes dans la digue qui les contenait, ont déferlé sur une banlieue de Thatta, une ville d’environ 200 000 habitants, port immense situé sur la mer d’Arabie, où se jette le fleuve.
Le soir, le calme était revenu dans la ville, où seuls quelques habitants étaient restés ; deux hommes âgés bavardaient, assis dans une ruelle, convaincus que les eaux de l’Indus ne s’élèveraient pas si haut. Le matin venu, le débit des eaux avait ralenti, une partie d’entre elles ayant été détournées, mais nul ne savait avec certitude si le danger était passé.
D’autres drames
Makli, qui compte habituellement environ 30 000 habitants, est à présent le théâtre d’un drame plus terrible encore. Cette dernière semaine, en effet, plusieurs centaines de milliers d’habitants de Thatta sont venus chercher refuge chez leurs amis et leurs familles, à Makli, et entre 100 000 et 150 000 personnes ont fui leurs villages submergés dans la région pour s’installer dans tous les recoins de la ville.
Les déplacés ont tous besoin de vivres et d’eau. Des centaines de personnes attendent au bord des routes principales le passage de véhicules transportant de la farine ou de l’eau, affrétés par des bailleurs de fonds privés ; les déplacés se bousculent pour obtenir les quelques sacs qu’on leur jette et la scène dégénère rapidement en violences. « Nous sommes devenus des animaux, mais la faim fait ressortir le pire en chaque être humain », a dit un déplacé qui assistait à une bagarre, les larmes aux yeux.
Ici, on se dispute chaque bouteille d’eau, chaque sac de vivres ; chaque jour, des habitants sont blessés. La semaine dernière, une femme est décédée à la suite d’une bagarre de ce type. « Je n’aime pas ce que je suis en train de faire, mais je dois le faire : dans deux jours, nous n’aurons plus de farine et je dois nourrir mes enfants », a dit Rahim Dino, qui a survécu à une entaille à la tête, mais a perdu son sac de farine.
Les bailleurs jettent des bouteilles et des vivres tout en poursuivant leur route, et les habitants, désespérés, courent après les véhicules. « Nous ne sommes pas des chiens ; je dis à mes enfants de ne pas aller sur la route ; plutôt mourir », a expliqué Allah Rakha, qui a fui son village il y a trois jours.
Quant aux politiciens, ils arrivent, observent la situation et repartent à bord de leurs véhicules. Il y a très peu de tentes et certaines sont liées à des partis politiques. Des policiers et des soldats observent la foule, mais personne ne semble prendre d’initiative. Hommes, femmes, enfants et bébés, tous restent assis par terre, en plein air, sous la pluie ou dans la chaleur ; nombre d’entre eux succombent à l’épuisement à mesure que le mercure grimpe au-delà des 30 degrés Celsius.
Les habitants de Makli n’ont jamais vu autant de monde : les déplacés occupent la cour de l’hôpital, le parc, et même le cimetière. « C’est comme lorsque le Pakistan et l’Inde ont été divisés et que nous avions des réfugiés », a observé un habitant âgé.
Zohuar Khan, le chauffeur de taxi qui m’a emmenée ici depuis Karachi, n’avait jamais vu pareil dénuement. « C’est la fin », a-t-il dit, incrédule. L’homme héberge à l’heure actuelle 15 habitants de son village dans sa petite maison d’une pièce, à Karachi.
« Il n’y a rien ici ; nous savons que si nous restons ici plus longtemps, nous mourrons ; personne ne nous donne de quoi manger » |
« La crise vient d’éclater dans le sud du Sind [où se situe Thatta] et elle est encore en train de s’aggraver. Malgré nos ressources limitées, nous avons pu stabiliser la situation dans le nord », a dit Fawad Hussain, du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), qui coordonne les interventions des ONG dans la province du Sind, dans le sud du Pakistan.
Le chagrin
M. Hussain a expliqué qu’il ne disposait pas des ressources nécessaires pour intervenir, tout en notant que les organismes des Nations Unies étaient eux aussi débordés. M. Hussain a réussi à obtenir 10 000 tentes, ce qui « est insuffisant, je le sais, mais permet d’assurer un abri à au moins 50 000 personnes – les tentes devraient arriver [à Makli] dans un jour ou deux », a-t-il dit à IRIN.
La politisation de l’aide, a-t-il ajouté, est un problème supplémentaire à traiter. « En termes de principes humanitaires, si les partis politiques mènent des opérations de secours, ils doivent le faire "sur un terrain apolitique" ».
Makli est un patchwork de spectacles déchirants : ici et là, des femmes atteintes de malnutrition s’efforcent d’allaiter leurs bébés et de jeunes enfants mâchent des morceaux de pita à la farine de riz. La plupart des déplacés sont des riziculteurs du delta de l’Indus. « Le riz, c’était tout ce que nous avions, et aujourd’hui, nous n’en avons presque plus », a dit une mère, en secouant sa boîte de farine presque vide.
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Au cours de la première phase, le PAM distribuera une aide à environ 330 000 des quelque 1,8 million d’habitants touchés jusqu’ici au Sind – le bilan s’alourdit à mesure que les crues se poursuivent. Plus de 20 millions de personnes ont été touchées par les inondations au cours de cette catastrophe, la « plus grave jamais observée » dans cette région du monde, dit-on.
Le 29 août, plusieurs familles faisaient leurs bagages alors que je me préparais à partir. « Il n’y a rien ici ; nous savons que si nous restons ici plus longtemps, nous mourrons ; personne ne nous donne de quoi manger », a dit Sher Mohammed.
« Nous allons attendre que quelqu’un nous emmène, peut-être à Karachi ; on nous a dit qu’il y avait des camps, là-bas ». La plupart des familles déplacées ont dépensé toutes leurs économies en frais de transport pour quitter leurs villages submergés et se rendre à Makli. « Tout le monde a profité financièrement des inondations : les propriétaires de véhicules, les commerçants qui ont augmenté les prix des vivres et même de l’eau en bouteille », a-t-il dit.
D’après Ghulam Hussain Khwaja, président de Sindh Radiant, le district de Thatta est une des régions du Pakistan les plus sujettes aux catastrophes. Une ligne de faille traverse la zone, et les régions côtières sont vulnérables aux crues et aux cyclones. « Les communautés sont souvent déplacées, pourtant nous n’avons pas encore adopté de stratégie permanente dans ce domaine », a-t-il commenté.
Selon son père, Iqbal Khwaja, journaliste chevronné et correspondant du Dawn, un quotidien national, les autorités doivent agir rapidement afin que le peuple puisse avoir de nouveau foi et confiance dans les institutions publiques.
Tandis que je quitte Makli, le taxi est assailli par une foule d’habitants désespérés et parfois en colère, en quête de secours, quels qu’ils soient. « Koi aake humhara dukh dard hi soon le [Quelqu’un peut au moins venir écouter nos souffrances] », dit une femme déplacée, essuyant les gouttes de sueur qui perlent sur son visage.
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