1. Accueil
  2. Africa
  3. DRC

Les querelles foncières compliquent le retour des réfugiés

Kahe camp for internally displaced persons, in Kitchanga, Masisi district, in eastern DRC’s North Kivu province Lisa Clifford/IRIN
Des dizaines de milliers de réfugiés tutsis congolais qui vivent au Rwanda depuis plus de 10 ans se préparent à retourner dans la province du Nord-Kivu. Cependant, des tensions anciennes et non-résolues liées à la terre risquent de compliquer leur retour.

Plus de 53 000 réfugiés enregistrés se sont installés de l’autre côté de la frontière depuis l’éviction du pouvoir du président Mobutu Sese Seko par des rebelles soutenus par le Rwanda et l’Ouganda en 1997 dans une atmosphère de chaos.

« Les problèmes liés à la terre vont constituer l’un des principaux obstacles au retour des réfugiés », a dit Masti Notz, chef du bureau du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) au Nord-Kivu. La province compte près de 800 000 personnes déplacées internes.

Les conflits liés à la terre sont les principales causes de la violence qui ravage les provinces du Kivu. La surpopulation, le manque de terres accessibles et les immenses réserves minérales du sous-sol ont contribué à créer une atmosphère délétère qui a souvent conduit à des conflits.

Une paix contestée

En janvier 2009, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), un groupe de rebelles tutsis, a accepté que ses combattants intègrent l’armée nationale et a signé un accord de paix formel deux mois plus tard.

Le retour des personnes réfugiées au Rwanda et leur sécurité en République démocratique du Congo (RDC) constituait l’une des principales demandes du groupe rebelle converti en parti politique.

L’Accord tripartite signé en février par le HCR, le Rwanda et la RDC a permis d’enclencher le processus qui aboutira au retour des réfugiés. Mais certaines personnes, comme Antoinette Mukamu, qui a fui vers le Rwanda en 1996, n’ont pas attendu les rapatriements organisés pour rentrer.

« Nous croyions que la paix était revenue », a dit Mme Mukamu, dont le village se trouve à cheval sur les territoires de Walikale et de Masisi au Nord-Kivu. Le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) estime qu’environ 80 pour cent des réfugiés sont originaires du Nord-Kivu, où des combats au sein même des groupes rebelles, et entre les groupes rebelles et le gouvernement font rage depuis longtemps.

La région est encore loin de connaître la paix : en effet, les combats se poursuivent entre l’armée et les Forces démocratiques de libération du Rwanda, un groupe rebelle fondé par des Hutus qui ont fui vers la RDC après le génocide de 1994.

Ce climat d’insécurité, ainsi que les rumeurs selon lesquelles les réfugiés seraient accueillis avec hostilité par leurs anciens voisins décidés à conserver les terres abandonnées par les personnes ayant fui vers la RDC, inquiètent Mme Mukamu. Celle-ci vit actuellement dans le camp de Kahe qui accueille les déplacés internes à Kitchanga, ville située dans le district de Masisi au Nord-Kivu.

« Ma famille possède un terrain dans notre village, mais je ne sais pas ce qu’il en est advenu », a ajouté Mme Mukamu.

Dieudonné Kanyamugengu, qui vient du district de Rutshuru, est revenu au Rwanda avec son frère et ses vaches pour trouver «de la nourriture et la paix ». Il est rentré dans son village, mais est retourné au camp de Kahe après un affrontement avec ses voisins hutus au sujet des terres. « Je ne suis pas en sécurité là-bas », a-t-il dit.

Jules Mbokani, coordinateur d’un projet du Conseil Norvégien pour les Réfugiés, dont le but est de fournir des informations, des conseils et une aide juridique aux réfugiés, a reçu de nombreux témoignages similaires de rapatriés se trouvant dans une situation incertaine.

The fertile hills of Masisi district, in eastern DRC's North Kivu province
Photo: Lisa Clifford/IRIN
A qui appartiennent les collines ? Les conflits liés à la terre compliquent le retour des réfugiés congolais
« Les gens ont commencé à revenir en septembre 2009, mais beaucoup d’entre eux ne sont pas encore retournés dans leur village d’origine à cause des conflits liés à la terre et de la sécurité », a-t-il indiqué.

Distribution des terres

La plupart des terres de la RDC sont allouées par les chefs coutumiers qui s’occupent de leur gestion en vertu de la loi coutumière. Celle-ci place en porte-à-faux les personnes qui se sont vues attribuer des titres de propriétés officiels en vertu de la loi foncière de 1973 qui précise que toutes les terres appartiennent à l’État.

Dans le territoire de Masisi, vers lequel la plupart des réfugiés se rendent, jusqu’à 60 pour cent des terres sont réservées au pâturage, ce qui cause des tensions entre les éleveurs et les agriculteurs.

Les riches spéculateurs, qui ont acheté – ou se sont accaparés – les terres abandonnées par les personnes qui ont fui lors des guerres, ne font qu’aggraver la situation. Ils ont créé de grandes plantations – ignorant ainsi les anciens habitants. Les populations destituées de leurs terres, qui ont peu de chance de trouver un travail dans un pays à l’économie sinistrée, luttent pour leur survie.

Les problèmes de terres participent également aux tensions ethniques latentes dans le territoire de Masisi. La région accueille des Twas, des Hundes, des Hutus et des Tutsis qui ont un passé de conflits depuis des générations.

Un Hunde, qui a souhaité garder l’anonymat par peur de représailles, a dit qu’il pourrait vivre avec des rapatriés tutsis à condition qu’ils déposent les armes.

« C’est le principal problème. Ces personnes sont en permanence armées », a-t-il dit.

Et la question de savoir à qui appartiennent les terres dans le territoire de Masisi ? « Les terres appartiennent au chef », a-t-il répondu.

Ce chef, qui s’appelle Sylvestre Bashali, est un Hunde. Il a dit que vivre avec les Tutsis « demanderait un grand effort » aux Hundes et que les habitants de la ville ont peur de « la guerre et des affrontements » qui pourraient éclater au retour des réfugiés. « Les gens ont peur, car le CNDP a des armes », a dit M. Bashali.

Le CNDP a quant à lui dit que les inquiétudes générées par le retour des réfugiés étaient exagérées. Désiré Kamanzi, un ancien responsable du CNDP, reproche aux hommes politiques extrémistes d’attiser les conflits ethniques.

« Au fond, la population n’a pas peur », a dit M. Kamanzi. « Ce problème est politique. Les gens n’ont pas envie de faire une guerre pour des raisons absurdes ».

Philippe Gafishi, le président du CNDP, a toutefois reconnu que les négociations portant sur les rapatriés et leur futur lieu de vie ne sont pas simples. « Seize ans après, les personnes qui vivent désormais sur les terres ne seront pas contentes de devoir les quitter et nous devons les y préparer. Mais nous pensons qu’ils sont prêts à accueillir leurs frères et amis ».

La domination croissante du CNDP dans le paysage politique et militaire du Nord-Kivu cause cependant des inquiétudes dans certains cercles.

Dans le territoire de Masisi, les drapeaux du CNDP flottent toujours sur des villes-clés, le groupe continue de percevoir des impôts et de contrôler l’activité économique bien qu’il ait depuis longtemps fait la paix avec Kinshasa.

Bien que M. Gafishi assure que les administrations parallèles n’existent plus, les soldats du CNDP – qui ont en théorie intégré l’armée – sont en poste dans les zones agricoles et d’élevage importantes des territoires de Masisi et de Rutshuru, et les structures hiérarchiques des anciens rebelles existent toujours.

Intimidations

Lors d’un récent séjour dans le territoire de Masisi, Camilla Olson, de Refugees International, a constaté que le CNDP exerçait un contrôle strict – chassant, dans certains cas, d’autres groupes ethniques en usant de tactiques d’intimidation.

« Certains des responsables traditionnels à qui nous avons parlé ont fui à Goma, car ils ne se sentent pas du tout en sécurité ou se sentent marginalisés », a dit Mme Olson.

De plus, la question de la nationalité des réfugiés soulève des inquiétudes, des habitants de Masisi et d’autres territoires ayant émis l’hypothèse que nombre de réfugiés étaient en fait rwandais.

Il revient au gouvernement congolais de vérifier leur identité. Toutefois, Félix Musanganya, membre du Comité national pour les Réfugiés mis en place par le gouvernement, pense que la responsabilité en revient au Rwanda. Il demande également à ce que le Rwanda fournisse le nombre total de réfugiés qui reviennent en RDC.

« Il est important que nous ayons des chiffres clairs, car si le nombre de réfugiés était supérieur aux chiffres officiels, cela susciterait des suspicions », a-t-il dit. « Les gens ne comprendront pas. Ils penseront qu’il s’agit de Rwandais ».

Généralement, les chefs coutumiers règlent les conflits liés aux terres, mais les tensions sont devenues si fortes que les analystes pensent que d’autres mécanismes doivent être mis en place.

ONU-HABITAT, le programme des Nations Unies pour les établissements humains, pense que les équipes mobiles de médiation foncière offrent une solution en se concentrant sur les personnes déplacées et les réfugiés. Depuis septembre 2009, une équipe de six médiateurs s’est occupée de 450 affaires dans la seule province du Nord-Kivu – environ 20 pour cent d’entre elles ont été résolues.

Mme Olson a cité les comités locaux de « pacification » comme un outil potentiel d’apaisement des tensions. Les comités ont été mentionnés dans l’accord de paix de 2009 et ont pour mission de faciliter le retour des réfugiés. Ils sont entre autre amenés à jouer le rôle de médiateur dans les conflits liés à la terre et devraient être composés de responsables locaux, de chefs coutumiers, de représentants de la société civile, de réfugiés, de personnes déplacées et d’agences des Nations Unies.

« Si nous arrivons à jouer un rôle proactif, alors nous pourrons préparer des retours réussis », a indiqué Mme Olson.

lc/am/mw/gd/ail

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

Partager cet article

Get the day’s top headlines in your inbox every morning

Starting at just $5 a month, you can become a member of The New Humanitarian and receive our premium newsletter, DAWNS Digest.

DAWNS Digest has been the trusted essential morning read for global aid and foreign policy professionals for more than 10 years.

Government, media, global governance organisations, NGOs, academics, and more subscribe to DAWNS to receive the day’s top global headlines of news and analysis in their inboxes every weekday morning.

It’s the perfect way to start your day.

Become a member of The New Humanitarian today and you’ll automatically be subscribed to DAWNS Digest – free of charge.

Become a member of The New Humanitarian

Support our journalism and become more involved in our community. Help us deliver informative, accessible, independent journalism that you can trust and provides accountability to the millions of people affected by crises worldwide.

Join