L’UNWRA, qui doit faire face à des situations d’urgence en Syrie et à Gaza et a perdu 25 millions de dollars du jour au lendemain en raison des fluctuations de devises, affiche une dette de 101 millions de dollars et son budget annuel de 680 millions de dollars accuse un déficit de 330 millions.
L’agence - responsable de la prise en charge médicale, de l’éducation et de la protection des réfugiés palestiniens enregistrés depuis qu’elle a été créée, à titre provisoire, en 1950 - est minée par les difficultés financières. La crise actuelle est toutefois la plus grave à ce jour.
Cette situation est en partie due à l’augmentation des besoins. Le nombre de personnes tributaires de l’aide alimentaire de l’UNWRA a explosé à Gaza, passant de 80 000 en 2000 à 860 000 en 2014.
Que peut-on faire – si tant est qu’il y ait quelque chose à faire – pour remettre d’aplomb cette agence régulièrement en faillite ?
De nouveaux financements ?
L’approche la plus directe consisterait a priori à chercher de nouvelles sources de financement.
L’UNWRA reçoit relativement peu de fonds de la cagnotte générale des Nations Unies, et dépend donc en grande partie des donations de pays, d’ONG et de quelques bailleurs de fonds privés. Historiquement, ces dernières proviennent pour l’essentiel des États-Unis et l’Union européenne.
Confrontés aux conflits en Syrie, en Irak et au Népal et à la crise Ebola en Afrique de l’Ouest, les bailleurs de fonds traditionnels sont toutefois à court d’argent.
« Nous sommes face à une situation inédite en termes de crises », a expliqué un diplomate européen à Jérusalem. Les autres crises « absorbent une grosse part des financements et les bailleurs de fonds imposent des contraintes de gestion précises ».
L’UNWRA devrait-elle se tourner vers d’autres partenaires ? Les pays du Golfe ont revu leurs contributions à la hausse s’agissant des appels d’urgence, mais Zizette Darkazally - la porte-parole de l’agence au Liban - a dit que l’UNWRA était à la recherche de davantage de financements pour son budget de base. « Nous espérons que les pays arabes, compte tenu de leur histoire ici, [joueront] un rôle significatif », a-t-elle dit.
L’agence compte également sur les économies émergentes des pays BRIC - Brésil, Russie, Inde, Chine : M. Krähenbühl a passé une bonne partie de la semaine dernière en Russie (le pays a versé 2 millions de dollars à l’agence en 2015).
Réduire les services ?
Mais, à moins d’un fol élan de générosité de la part des pays du Golfe, il est improbable que de nouveaux financements suffisent.
L’UNWRA a déjà réduit le nombre de ses consultants internationaux et gelé les recrutements, et propose des plans de retraite anticipée à son personnel. Certains programmes ont été suspendus, notamment le programme « cash-for-rent » offrant de l’argent liquide aux Palestiniens de Syrie pour qu’ils paient leur loyer.
Rex Brynen est professeur à l’université McGill, et spécialiste des questions touchant aux réfugiés palestiniens. Selon lui, il ne reste vraiment plus de marge pour des coupes budgétaires « faciles ».
« Ils ont supprimé les postes facultatifs et [d’autres] programmes… ce n’est pas comme si l’UNWRA avait encore de nombreux autres programmes facultatifs [à supprimer] », a-t-il dit.
C’est pourquoi la prochaine cible des restrictions budgétaires est l’un des services de base de l’agence : l’éducation, a expliqué Mme Darkazally.
L’UNWRA gère plus de 700 écoles à Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie et au Liban. Elles représentent la seule option de nombreux Palestiniens, mais absorbent jusqu’à 60 pour cent du budget régulier de l’UNWRA.
La taille des classes va passer de 40 à 45 élèves (et jusqu’à 50), permettant ainsi de modestes économies sur le plan du personnel enseignant. Mme Darkazally a dit qu’il était même question de retarder la rentrée des classes.
« Toutes les options sont à l’étude en ce moment », a-t-elle dit.
Réforme interne ?
Existe-t-il des réformes ou des solutions radicales auxquelles l’UNWRA pourrait avoir recours pour éviter des restrictions aussi dévastatrices ?
Dans les années 1990, les bailleurs de fonds ont exigé de l’UNWRA davantage de transparence en matière de finances. Jalal al-Husseini, qui travaille comme chercheur associé à l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo) en Jordanie, a dit que certains pays faisaient encore pression pour une accélération de la réforme interne.
Des changements de taille ont été entrepris ces dix dernières années, notamment une décentralisation ayant permis aux antennes locales de gagner en autonomie. La bureaucratie de l’UNWRA reste néanmoins notoirement lourde.
Ces trois dernières années, les audits réalisés par les Nations Unies ont conclu que l’UNWRA déclarait adéquatement ses finances, tout en pointant du doigt - sans surprise – un problème de trésorerie.
L’audit disponible le plus récent, daté de 2013, suggère quelques pistes d’amélioration (notamment de revoir la façon dont les offres sont traitées à l’antenne d’Amman) et préconise la rédaction d’un guide anti-fraude à l’intention des membres du personnel pour les aider à rendre compte de tout soupçon de corruption éventuel.
Sari Hanafi, qui travaille comme sociologue à l’université américaine de Beyrouth, a qualifié l’agence « de grosse machine bureaucratique » et préconisé une « approche plus participative ».
Il a évoqué un modèle développé par la ville brésilienne de Porto Alegre. Confrontée à des décisions budgétaires difficiles et à un problème d’inégalité, la région a transféré à ses habitants une partie de son pouvoir décisionnel en matière budgétaire. Le rôle de l’UNWRA en tant qu’agence palestinienne – l’essentiel de ses 30 000 membres permanents sont des réfugiés eux-mêmes – devrait rendre une approche plus participative possible.
« Les citoyens prennent part aux décisions budgétaires, avec l’idée qu’ils sauront prendre les décisions difficiles lorsque les options leur seront exposées », a-t-il dit. « Avec des ressources limitées, impliquer les personnes concernées permet de leur faire voir d’où vient l’argent ».
Les options radicales
Il existe des solutions encore plus radicales, qui impliqueraient certainement de renégocier le mandat de l’UNWRA.
L’une d’elles serait de mettre progressivement fin aux services dont bénéficient les près de deux millions de réfugiés palestiniens devenus citoyens libanais depuis 1948. Cette proposition a été émise par James G. Lindsay – ex-conseiller général de l’UNWRA de 2002 à 2007 – dans son rapport de 2009 pour l’Institut de Washington pour la politique du Proche-Orient, intitulé Fixing UNWRA (Remettre l’UNWRA d’aplomb).
Alors que la Jordanie accueille déjà des réfugiés venus d’Irak et de Syrie, cela reviendrait à faire peser un lourd fardeau sur ses hôpitaux et ses écoles. M. Lindsay propose toutefois de contrebalancer cela avec une aide étrangère ciblée.
Il existe des raisons de douter de la viabilité d’une telle solution. Pour de nombreux Palestiniens, cette option est politiquement indéfendable. Beaucoup considèrent leur enregistrement et affiliation auprès de l’UNWRA comme la marque symbolique d’un « droit au retour ». De même, bien que les pays donateurs et Israël aient des désaccords avec l’UNWRA, beaucoup la considèrent comme une force stabilisatrice et s’opposeraient certainement à son retrait de Jordanie. En tant qu’allié important d’Israël et de l’Occident, qui mène son propre combat contre la radicalisation islamique, les objections de la Jordanie seraient certainement entendues. De son côté, M. Brynen a taxé l’option jordanienne de « politiquement impossible ».
M. Lindsay propose également d’évaluer les besoins en matière de services, en demandant aux Palestiniens qui le peuvent de financer au moins partiellement leur éducation et leurs soins de santé. « Rien de justifie que des millions de dollars d’aide humanitaire aillent aux mains de personnes ayant les moyens de s’offrir les services de l’UNWRA », a-t-il écrit.
L’UNWRA a rejeté une version préliminaire du rapport, dénotant selon elle une incompréhension du mandat de l’agence.
Ce qui est de plus en plus clair, c’est que si les bailleurs de fonds refusent de mettre davantage la main à la poche chaque année, cette institution vieille de 65 ans devra être revisitée en profondeur si elle souhaite continuer à servir une population toujours aussi désespérément dans le besoin.
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