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EXCLUSIF : Les Nations Unies versent de l’argent à une société centrafricaine figurant sur leur liste noire

Catianne Tijerina/ UN
MINUSCA peacekeepers work on the government's new road project

Selon une enquête réalisée par IRIN, les Nations Unies auraient versé plus d’un million de dollars à une société qui figure sur leur propre liste d’entités faisant l’objet de sanctions. La société est en effet accusée d’avoir alimenté le conflit en République centrafricaine par la vente de « diamants de la guerre ».

En août 2015, le Bureau d’achat de diamant en Centrafrique (BADICA) a été placé sur la liste récapitulative des sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies pour son rôle dans le trafic de diamants en République centrafricaine (RCA).

Les Nations Unies accusent la société d’avoir financé la Séléka, l’une des deux milices importantes en RCA, en achetant des diamants issus des mines contrôlées par la Séléka et en les faisant ensuite parvenir clandestinement à KARDIAM, une filiale de BADICA basée à Anvers, en Belgique.

La mission de stabilisation des Nations Unies en RCA, dont le mandat inclut le désarmement et la démobilisation des combattants, a pourtant une base sur des terres appartenant à la société BADICA.

Dans une réponse officielle adressée à IRIN, le Département des opérations de maintien de la paix des Nations Unies a confirmé qu’il avait un contrat de crédit-bail avec la société BADICA pour des locaux situés dans la capitale, Bangui. Dans une réponse écrite, un porte-parole a dit que l’argent destiné à BADICA était déposé dans un compte gelé supervisé par les autorités de la RCA. Un versement d’arriérés de loyers dans le compte Ecobank de BADICA a été autorisé en juin, ce qui suggère que les paiements ont été suspendus pendant plusieurs mois.

BADICA conteste son inscription sur la liste des sanctions. La société a déposé une requête afin de faire annuler son application dans l’Union européenne. L’UE est en effet contrainte de mettre en oeuvre les sanctions décidées par les Nations Unies. La personne qui a répondu au téléphone au bureau de KARDIAM en Belgique a refusé d’émettre des commentaires et les efforts déployés pour contacter BADICA en RCA ont été vains.

Les Nations Unies ont dit qu’elles avaient tenté de trouver d’autres locaux depuis l’inscription de BADICA sur la liste des sanctions, mais sans succès.

« Aucun autre site à Bangui ne satisfait les besoins de la mission », a dit le porte-parole des Nations Unies à IRIN. « Les locaux de BADICA sont uniques ; ils ont une taille parfaite et ils sont capables d’accueillir la force opérationnelle conjointe de Bangui [Bangui Joint Task Force, BJTF]. »

Headquarters of MINUSCA in Bangui
Nektarios Markogiannis/ UN
Protesters gather outside MINUSCA headquarters in 2014 following violence in CAR

La mission des Nations Unies, connue sous le nom de MINUSCA, compte actuellement près de 13 000 employés en uniforme. Elle a été créée en 2014 à la suite du renversement du président François Bozizé par les rebelles de la Séléka, en 2013, et a pour mandat de protéger les civils, de promouvoir les droits de l’homme et de soutenir le processus de transition politique.

Les sanctions, qui ont été autorisées par le Conseil de sécurité des Nations Unies, interdisent les transactions et le commerce internationaux et doivent être appliquées à l’échelle mondiale. Tous les avoirs financiers et toutes les ressources économiques de l’entreprise sont gelés et aucune somme d’argent ne peut être transférée à l’entreprise par des individus ou des entités. Les règles d’approvisionnement des Nations Unies excluent spécifiquement les entreprises qui figurent sur la liste récapitulative des sanctions.

Selon les résolutions du Conseil de sécurité, les contrats préexistants conclus avec les firmes faisant l’objet de sanctions peuvent cependant continuer d’être honorés dans certaines circonstances. Le porte-parole a dit qu’en vertu des conditions énoncées dans la résolution sur les sanctions, le contrat avec BADICA était toujours valable, car il avait été signé avant l’inscription de la société sur la liste des sanctions. Le Département des opérations de maintien de la paix des Nations Unies a dit qu’il avait notifié le Comité des sanctions du Conseil de sécurité et un panel d’experts chargé de fournir des conseils sur les questions liées aux sanctions imposées à la RCA.

Les Nations Unies ont modifié à deux reprises leur contrat avec BADICA, initialement signé le 1er novembre 2013. L’extension actuelle est valide jusqu’à la fin du mois d’octobre 2016. Selon la déclaration remise à IRIN par les Nations Unies, les paiements sont passés de cinq à six millions de francs CFA (10 200 dollars) par mois.

« La mission continue de déployer tous les efforts nécessaires pour explorer et trouver d’autres locaux », indique la déclaration.

BADICA fait partie du Groupe Abdoulkarim, une entreprise sise à Anvers et dirigée par l’homme d’affaires Abdoulkarim Dan-Azoumi, qui vit en Belgique. Minair, une société aérienne, et Sofia-TP, une firme de transport, sont également répertoriées comme des « filiales » de BADICA sur la liste récapitulative des sanctions des Nations Unies.

The offices of BADICA in CAR
Amnesty International
BADICA's offices in Carnot, a key mining region

L’examen des données d’acquisition des Nations Unies réalisé par IRIN a également dévoilé la conclusion, en 2014, d’un contrat entre les Nations Unies et Sofia-TP pour des « services de transport et de fret ».

Fin 2015, les Nations Unies avaient ainsi versé un total de 495 571 dollars au Groupe Abdoulkarim pour le contrat de crédit-bail avec BADICA et le contrat avec Sofia-TP. Cela alors même qu’elles condamnaient l’une de ses sociétés pour son rôle dans le financement des rebelles de la Séléka à travers le commerce de diamants. Les loyers pour 2016 porteront le total à plus de 550 000 dollars.

Le résumé des motifs ayant présidé à l’inscription de BADICA sur la liste des Nations Unies indique : « La société BADICA/KARDIAM a fourni un appui à des groupes armés en République centrafricaine, à savoir l’ex-Séléka et les forces antibalaka, grâce à l’exploitation et au commerce illicites de ressources naturelles – diamants et or, notamment. »

« Ces découvertes récentes, qui révèlent l’existence d’ententes financières entre la mission de maintien de la paix des Nations Unies en RCA et BADICA – des ententes ayant par ailleurs été autorisées par le Conseil de sécurité des Nations Unies –, reflètent l’incapacité de la communauté internationale à résoudre le problème du financement des conflits armés en RCA », a dit Natalie Dukhan, de l’organisation Enough Project, qui cherche à mettre un terme aux génocides et aux atrocités de masse en Afrique.

Un nouveau rapport du Conseil de sécurité des Nations brosse un tableau relativement sombre de la situation en RCA : il mentionne notamment la poursuite du trafic d’armes, la présence active des milices, l’exploitation illicite des ressources naturelles, l’intensification du conflit ainsi que les mauvais traitements et les déplacements de civils.

La réputation de la MINUSCA a également été entachée par des révélations faisant état de sévices sexuels commis par des soldats de maintien de la paix. Un haut fonctionnaire des Nations Unies chargé des droits de l’homme a récemment démissionné pour protester contre la mauvaise gestion du dossier par les Nations Unies.

Lire aussi : EXCLUSIF : Pourquoi j’ai démissionné des Nations Unies

Cela fait suite à une série d’opérations menées par la France et les Nations Unies, y compris l’opération Sangaris et le BINUCA. La MINUSCA dispose d’un budget annuel de 816 millions de dollars.  

Une paix fragile

À la suite du renversement du président Bozizé, en 2013, un certain nombre de mines de diamants sont tombées sous le contrôle de la Séléka, une alliance de factions armées principalement musulmanes qui opère en RCA.

Les « taxes » illégales imposées aux mines par les milices ont entraîné l’exclusion du pays du Processus de Kimberley, une initiative mondiale ayant pour but de mettre un frein au commerce international de « diamants de la guerre ». Cela signifie que des sociétés comme BADICA ne peuvent plus exporter légalement des diamants.

Les chargements de diamants bruts exportés à partir d’un État participant au Processus de Kimberley doivent être accompagnés d’un certificat qui confirme qu’il ne s’agit pas de « diamants de la guerre ».

Bien que riche en ressources naturelles, la RCA reste l’un des pays les plus pauvres au monde. Avant l’interdiction de 2013, les diamants étaient l’une des principales exportations du pays. À leur sommet, en 2006, les exportations de diamants ont atteint une valeur de 70 millions de dollars.

Les sanctions ont été adoptées à la suite de la saisie d’un colis envoyé par BADICA à sa filiale KARDIAM, basée à Anvers, en Belgique. Le colis contenait des diamants bruts qui, selon le panel d’experts, provenaient fort probablement de la RCA, et ce, en dépit de l’interdiction du Processus de Kimberley. Dans une lettre adressée aux Nations Unies, la société conteste l’affirmation selon laquelle BADICA était l’émetteur du colis saisi à Anvers, qui avait transité par Dubaï, et émet des doutes quant à l’origine des diamants.

Le gouvernement centrafricain souhaite voir les restrictions aux exportations abolies. Les mesures qu’il a prises en faveur de la paix ont poussé le Processus de Kimberley à lever partiellement les restrictions dans certaines régions du pays. En juin, la première exportation légale a eu lieu après que le Processus de Kimberley eut déclaré certaines régions comme suffisamment paisibles pour satisfaire ses critères.

A young boy mines for diamonds in CAR
Amnesty International
In May 2015, children as young as 11 were engaged in diamond mining

Le plus récent rapport du panel d’experts des Nations Unies suggère toutefois que les restrictions aux exportations ont été levées prématurément.

Au moins trois critères doivent être satisfaits pour que le Processus de Kimberley puisse certifier que les diamants n’ont pas servi à financier un conflit : l’existence d’un contrôle gouvernemental, l’absence des groupes armés des régions minières et le respect de la liberté de circuler. Le panel d’experts soutient que la liberté de mouvement est toujours limitée et que les milices sont impliquées dans la production et le commerce de diamants.

« Si la liberté de circulation et les autres droits de l’homme ne sont pas respectés, les diamants de la RCA ne peuvent pas être considérés comme convenant à l’exportation », a dit à IRIN Michael Gibb, directeur de campagne pour les « ressources des conflits » auprès de l’organisation militante Global Witness.

Global Witness n’est pas favorable à une interdiction totale, mais, pour M. Gibb, la reprise du commerce exige, pour être crédible, un suivi continu sur le terrain et une évaluation globale des conditions dans les zones qui se conforment aux exigences.

« Si on laisse les mêmes violences, la même corruption et les mêmes pillages s’enraciner de nouveau dans le secteur des ressources naturelles de la RCA, ils continueront de miner la paix et la stabilité comme ils l’ont fait tout au long de l’histoire troublée du pays », a-t-il dit.

( PHOTO DE COUVERTURE : Des soldats de la MINUSCA travaillent sur le projet gouvernemental de construction d’une nouvelle route en RCA )

es-bp/ha-gd/amz 

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