L’Ouganda et les États-Unis ont mis fin à la traque lancée il y a six ans contre Joseph Kony, l’insaisissable chef de guerre, et sa tristement célèbre Armée de résistance du Seigneur (LRA).
L’arrêt de la mission, qui s’est principalement déroulée en République centrafricaine (RCA), contrarie le commandant des forces ougandaises dans le pays et inquiète les groupes de défense des droits qui craignent que l’échec de l’opération, qui visait à « tuer ou capturer » M. Kony, n’entraîne une reprise de l’insurrection.
L’Ouganda a entamé la semaine dernière le retrait de ses 2 500 soldats, selon les chiffres officiels, basés dans l’est de la RCA. Le départ des 100 soldats des forces spéciales des États-Unis, qui collaboraient avec les soldats ougandais, a commencé ce 26 avril.
La mission, baptisée Force régionale d’intervention de l’Union africaine (FRI-UA), était depuis ses débuts, ou presque, principalement l’affaire des Ougandais.
Mécontentement
La mission devait se composer de 5 000 soldats originaires du Soudan du Sud, de la République démocratique du Congo (RDC) et de la RCA. Mais les pays voisins, confrontés à des problèmes de sécurité sur leur propre territoire, n’ont jamais envoyé leur contingent ou ils l’ont retiré rapidement.
La force d’intervention n’est pas parvenue à obtenir des financements des bailleurs de fonds, c’est l’Ouganda qui a fini par régler la facture. Depuis 2011, les conseillers des forces spéciales armées étasuniennes ont toutefois fourni une aide en matière de renseignement et de logistique.
Le colonel Richard Otto est le commandant du contingent ougandais en RCA. Dans les bureaux du quartier général divisionnaire établi dans la ville de Gulu, au nord de l’Ouganda, cet homme agréable, ancien officier supérieur du renseignement militaire, décoré pour ses services, a évoqué les difficultés rencontrées pendant ses trois années d’affectations. « En RCA, la zone dans laquelle nous intervenons fait presque la taille de l’Ouganda. Vous imaginez [l’immensité], et je n’ai pas suffisamment de soldats », a-t-il expliqué à IRIN.
Les membres de la force d’intervention venaient de toutes les unités de l’armée ougandaise, mais, d’après les médias, ils n’auraient pas été plus de 1 500.
La planque
La RCA a été un lieu de refuge idéal pour la LRA. Le pays est secoué par des violences depuis 2013, lorsqu’une coalition rebelle à prédominance musulmane, baptisée Séléka, a renversé le gouvernement. La mission des Nations Unies, la MINUSCA, n’a pas réussi à mettre fin aux violences entre les milices chrétiennes et l’ancienne Séléka.
« Les forces armées de la RCA ne sont pas encore organisées », a dit M. Otto qui, avant d’être envoyé en RCA, a servi en tant que responsable de la planification des opérations au sein des forces de l’Union africaine en Somalie. « Certaines sont en train d’être formées par [les] Nations Unies [et la] mission de formation de l’Union européenne, et elles n’ont pas encore été déployées dans l’est du pays ».
Le désordre qui règne en RCA a attiré non seulement la « Séléka » du Tchad voisin, mais aussi d’autres hommes armés, dont les milices « Janjawid » de la région soudanaise du Darfour venues dans le pays pour braconner des éléphants. « Il y a un assez grand nombre de groupes armés », a dit M. Otto. « Alors, quand on tombe sur eux dans la jungle, il est parfois difficile de savoir si on se bat contre la LRA ou d’autres [forces] ».
Les troupes ougandaises ont cependant enregistré des succès notables. Quatre hauts commandants de la LRA ont été capturés, et un groupe de 2 000 combattants qui semaient la terreur sur un large territoire de l’Afrique centrale a été sérieusement ébranlé.
En mouvement
La LRA, qui compterait aujourd’hui moins de 120 hommes armés, s’est scindée en petites unités opérant dans les régions les plus isolées de l’est de la RCA, du nord-est de la RDC et du Darfour.
« L’ennemi est toujours en mouvement », a dit M. Otto, affirmant qu’il y avait régulièrement des défections et que « plus de 1 000 civils » enlevés par la LRA avaient été libérés.
La tête de M. Kony, recherché par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, a été mise à prix à cinq millions de dollars. Il se cacherait actuellement dans l’enclave de Kafia-Kingi, une zone frontalière que se disputent le Soudan et le Soudan du Sud.
Khartoum n’est pas membre de la force d’intervention régionale et, en tant que soutien de longue date de la LRA, il semblerait qu’elle ait offert un refuge à M. Kony.
Mais, élément crucial, M. Kony ne dirige plus ses hommes. « Il a perdu le commandement, le contrôle et la communication », a dit M. Otto. « Pour la première fois, la LRA a des factions. Il y a un groupe […] qui a décidé de quitter [la] LRA et qui opère seul ».
Bosco Kilama et Peter Ochora, deux hauts commandants de la LRA qui ont fait défection en RDC le mois dernier, partagent l’avis de M. Otto en ce qui concerne la désintégration du groupe. « La LRA est dans un piteux état. [Elle] est complètement désorganisée, sans commandement central. M. Kony vieillit et perd le contrôle sur les soldats », a dit M. Kilama à des journalistes sur la base aérienne d’Entebbe, en Ouganda, la semaine dernière. Les deux hommes bénéficieront d’une amnistie du gouvernement.
Mission accomplie ?
L’apparente impuissance de la LRA a permis à l’armée ougandaise et au commandement étasunien et africain de clamer bien fort l’insignifiance de M. Kony et ainsi de justifier la fin de leur participation à la traque.
Mais M. Otto, un Acholi du nord de l’Ouganda, bastion originel de la LRA, reconnaît que le groupe représente toujours une menace. « La volonté de se battre et d’attaquer les forces de sécurité n’est pas là. Mais ils sont toujours un problème pour la population en général », a-t-il dit à IRIN. « Ils pillent de la nourriture, volent de l’or, des diamants, tuent des éléphants dans le parc national de Garamba [au Congo] et dans le parc national de Zemongo en RCA », a-t-il dit. « Cela représente une source de revenus qui pourrait leur permettre d’avoir des armes pendant des années encore ».
Enlèvements
La LRA a enlevé 563 personnes au cours de 171 attaques menées en 2016, selon le groupe de surveillance LRA Crisis Tracker. Ce chiffre représente une baisse par rapport aux 737 enlèvements recensés au cours de 222 attaques lancées en 2015, mais il reste important. Au 30 mars 2017, la LRA aurait enlevé 147 personnes au cours de 43 attaques.
« Si l’on abandonne complètement la mission, il y aura des vides sécuritaires au sein de communautés déjà très vulnérables, particulièrement en République centrafricaine et dans le nord-est de la RDC », a dit Holly Dranginis, analyste principale du projet Enough, un groupe étasunien faisant campagne pour mettre fin aux génocides et aux crimes contre l’humanité. « Partir maintenant, cela veut dire démanteler les principaux sites de défection, laisser très peu de solutions aux personnes qui voudraient quitter la LRA et se réinsérer dans la vie civile », a-t-elle expliqué à IRIN.
Lino Owor Ogora, directeur de la fondation pour la justice et les initiatives de développement (Foundation for Justice and Development Initiatives) basée à Gulu, a noté : « La LRA a toujours profité des répits dans les combats pour se restructurer et se réorganiser. Les populations du nord de l’Ouganda vivent en paix depuis près de 10 ans maintenant, et la région est sur la bonne voie pour se rétablir. Ce serait dommage que la LRA revienne parce qu’on l’a laissée faire ».
Il y a aussi un sentiment de malaise en RCA. Le 16 avril, des habitants de la ville d’Obbo, qui a accueilli le quartier général tactique des forces ougandaises et étasuniennes, ont manifesté pour que les troupes restent sur place. M. Otto, qui s’est entretenu avec IRIN la semaine dernière, est rentré en RCA pour finaliser le retour chez eux de ses derniers hommes.
Et ensuite ?
Cependant, le gouvernement ougandais a laissé entendre qu’il ne se détournerait pas entièrement de cette insurrection qui a débuté en Ouganda il y a presque 30 ans avant de se propager aux pays voisins.
Richard Karemire, le porte-parole de l’armée, a dit la semaine dernière que l’Ouganda pourrait rejoindre la mission de maintien de la paix des Nations Unies en RCA avec un mandat renforcé pour éradiquer la LRA. Il a également laissé entendre que l’Ouganda pourrait soutenir « le renforcement de la capacité » des forces armées de la RCA pour « des opérations de lutte contre la LRA ».
M. Ogora, le directeur de la fondation basée à Gulu, est lui aussi favorable à une solution militaire s’appuyant sur les Nations Unies et les armées régionales pour « neutraliser » la LRA une fois pour toutes. « Sans cela, la LRA continuera à errer dans les jungles de Garamba comme elle le veut, à vendre de l’ivoire et à acheter des armes, à enlever et à tuer des civils ».
Mais Phil Clark, un spécialiste de la région des Grands Lacs à l’École des études orientales et africaines (SOAS) de l’université de Londres, a expliqué que la solution militaire a été testée et qu’elle a échoué. « Il faut une solution politique et l’amnistie doit être au cœur de la solution », a-t-il dit à IRIN.
Selon Mme Dranginis, « Les États-Unis devraient maintenir leur soutien aux campagnes de défection », car elles se sont avérées utiles en « affaiblissant le groupe et en offrant la possibilité aux combattants et aux personnes enlevées de s’enfuir ». Le processus de démobilisation et de réintégration est complexe, a-t-elle ajouté, mais il « peut porter ses fruits en matière de sécurité dans la région ».
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