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Le système de réinstallation des réfugiés perturbé par le décret de Trump

Utah governor Gary R. Herbert visits a refugee education centre Utah State Government
Utah governor Gary R. Herbert visits a refugee education centre in 2015

Les gestionnaires des organismes de charité et les défenseurs des réfugiés croient que le réseau d’organisations sans but lucratif qui gère la réinstallation des réfugiés aux États-Unis mettra des années à se remettre des changements annoncés par le président Donald Trump. La suspension du programme d’admission pendant 120 jours et la diminution du nombre d’arrivées de 110 000 à 50 000 pendant l’année fiscale 2016-2017 auront ainsi de profondes répercussions. Le système de réinstallation n’est pas « un robinet que l’on peut ouvrir et fermer à notre guise », estime la défenseure des réfugiés Amy Slaughter. D’après elle, le programme est confronté à une « menace existentielle ».

La suspension affecte 67 689 réfugiés qui avaient déjà obtenu l’autorisation du département américain de la sécurité intérieure et qui étaient considérés comme « prêts à voyager ». Après la reprise du programme, qui devrait avoir lieu à la fin mai, seulement 20 000 réfugiés pourront être admis jusqu’à la fin du mois de septembre en vertu du nouveau quota de 50 000 (30 000 réfugiés ont été admis avant l’investiture de Trump). Les autres resteront dans l’incertitude, selon Mme Slaughter, administratrice en chef des opérations de RefugePoint, une organisation de défense des droits des réfugiés basée aux États-Unis. Cela inclut 13 928 Somaliens, 10 680 Irakiens, 8 886 Syriens, 1 805 Soudanais, 983 Iraniens et 29 Yéménites. Nombre d’entre eux devront sans doute refaire les longues démarches leur permettant d’obtenir les autorisations de sécurité et de santé nécessaires, car celles-ci expirent après un délai relativement court. Le processus d’approbation de la réinstallation prend rarement moins de deux ans. « Désormais, les réfugiés devront peut-être attendre deux années de plus pour être admis sur le territoire », a dit Mme Slaughter. 

Les États-Unis ont accueilli 85 000 réfugiés l’an dernier et quelque 700 000 au cours des dix dernières années. Leur intégration a été facilitée par l’intervention de 300 centres répartis sur le territoire américain. Ces centres sont gérés par un noyau dur de neuf organisations sans but lucratif soutenues par des bénévoles issus de dizaines de congrégations religieuses, de groupes de citoyens et d’organismes de charité plus modestes. Selon les responsables des organisations non gouvernementales (ONG), ce vaste réseau est constitué de plusieurs milliers d’employés. Un seul des organismes de charité de réinstallation, le Comité américain pour les réfugiés et les immigrés (U.S. Committee for Refugees and Immigrants, USCRI), verse l’équivalent de 31 millions de dollars en subventions à 69 organisations américaines, incluant, par exemple, 103 000 dollars à Refugee Services of Texas et 76 388 dollars au YMCA de la région métropolitaine de Houston.

Bill Canny est directeur de la branche Migration et Services aux réfugiés (Migration and Refugee Services, MRS) de la Conférence des évêques catholiques des États-Unis (U.S. Conference of Catholic Bishops, USCCB), l’une de ces neuf grandes organisations sans but lucratif. Son groupe avait établi un budget de 80 millions de dollars lui permettant de réinstaller 25 000 réfugiés au cours de l’année fiscale en cours, le quota le plus élevé parmi les ONG de réinstallation. Il a dit à IRIN qu’il s’attendait maintenant à devoir réduire ce chiffre de moitié. Selon lui, les coupures et la suspension pourraient déstabiliser la « machine bien huilée » du réseau. « Elles pourraient provoquer l’effondrement du réseau d’organismes de réinstallation des réfugiés », a conclu M. Canny.

D’après Mme Slaughter, il faudra bien plus que 120 jours pour que le réseau se remette des changements au processus de contrôle (que la Maison-Blanche semble planifier) et de la perturbation générale du système. Les démarches administratives représentent déjà tout un défi. « C’est déjà difficile quand tout va bien », a-t-elle dit au sujet de la procédure « incroyablement complexe » pour l’obtention de l’autorisation de sécurité. Elle a ajouté qu’après l’introduction des nouvelles procédures à la suite des attaques du 11-Septembre, il avait fallu huit ans pour remettre le système de réinstallation des réfugiés sur les rails et retrouver les niveaux d’arrivées qui prévalaient avant leur adoption.

M. Canny a exprimé l’inquiétude qui règne au sein des organismes concernés : « Nous sommes impatients de voir comment le gouvernement américain... maintiendra l’intégrité et la capacité du réseau. »

Partenariat public-privé

L’USCCB de M. Canny et les autres organismes sans but lucratif utilisent les fonds alloués par le gouvernement et par des organismes de charité privés pour aider les réfugiés à s’établir dans leurs nouveaux foyers. Le gouvernement américain considère qu’il s’agit d’un partenariat public-privé. Les organismes doivent ainsi mobiliser des dons importants en argent et en nature de la part de sources non gouvernementales afin d’égaler et de compléter les fonds versés par les contribuables. Selon M. Canny, le gouvernement quantifie et assure un suivi de ces ressources supplémentaires. Les services offerts aux nouveaux arrivants incluent une aide pour la recherche d’une école et d’un emploi, l’hébergement, le transport, les cours de langues ainsi que la fourniture de denrées alimentaires, de vêtements et d’articles ménagers.

Selon le plus récent rapport multiorganisations déposé devant le Congrès, le gouvernement américain dépense chaque année environ 1 milliard de dollars pour venir en aide aux nouveaux réfugiés. Pendant l’année fiscale 2015-2016, environ 609 millions de dollars ont été consacrés à la phase de réinstallation, dont une part importante est gérée par les ONG. IRIN n’a cependant pas réussi à obtenir une ventilation détaillée des dépenses de réinstallation du département d’État.

Toutefois, la majeure partie du financement du département d’État pour la réinstallation est accordé en fonction du nombre de réfugiés : les ONG reçoivent en effet un peu plus de 2 000 dollars par réfugié. Le département américain de la santé et des services sociaux et d’autres organes fédéraux et étatiques versent également tout un éventail de fonds supplémentaires.

Continuer de verser le salaire des centaines d’employés des ONG pendant la suspension (ou décider à quel moment leur donner leur préavis de licenciement) est un « gros problème », a dit M. Canny, dont l’organisation travaille avec 80 organismes de charité catholiques. « Ce sont tous des organismes sans but lucratif qui n’ont pas de grosses réserves de liquidités », a-t-il dit à IRIN.

Le Comité international de secours (International Rescue Committee, IRC), une ONG géante, est l’un des organismes de réinstallation les mieux connus. Les huit autres organismes, qui affichent des revenus annuels moyens inférieurs à 80 millions de dollars, sont cependant plus représentatifs. D’après un examen de leurs déclarations fiscales fait par IRIN, le groupe dépend fortement des fonds alloués par le gouvernement. À titre d’exemple, Lutheran Immigration and Refugee Services a indiqué, dans sa plus récente déclaration fiscale, avoir perçu un revenu de 51 millions de dollars, dont 90 pour cent était issu de sources gouvernementales. Le gouvernement américain contribue par ailleurs à hauteur de 91 pour cent au revenu de l’USCRI et de 96 pour cent au budget de l’Ethiopian Community Development Council (ECDC), qui s’élève à 18 millions de dollars (voir le tableau ci-dessous).

Qu’est-ce qui est en jeu ?

La droite conservatrice est préoccupée par les coûts, les risques sécuritaires et l’impact démographique de la réinstallation des réfugiés sur le territoire américain. Ses arguments semblent par ailleurs trouver écho auprès de la nouvelle administration américaine. Or, même ceux qui sont en faveur de l’engagement des États-Unis sur les questions de réfugiés ne disent pas que le système est parfait. Selon certains, le mode de financement, le besoin d’un système de parrainage privé et l’absence de visas permettant aux réfugiés de travailler et d’étudier sont tous des éléments qui méritent qu’on s’y attarde. Ces petits ajustements ont cependant été mis de côté pour le moment. « Ce n’est probablement pas le moment de faire des critiques sur des détails… alors que nous nous battons pour la survie du programme », a dit Mme Slaughter. Selon les organismes de réinstallation, des dizaines de milliers de nouveaux réfugiés potentiels ont vu leurs espoirs déçus, des centaines d’emplois américains et des dizaines d’organisations sans but lucratif sont menacés et l’influence et la réputation des États-Unis à l’étranger risquent d’être durement atteintes.

Depuis 1975, le programme de réinstallation des réfugiés a permis d’accueillir quelque trois millions de personnes aux États-Unis. « C’est un programme humanitaire… qui sert au mieux les intérêts des États-Unis », a dit Eskinder Negash, vice-président senior de l’USCRI. L’an dernier, son organisation a reçu environ 30 millions de dollars de fonds gouvernementaux, ce qui lui a permis d’aider quelque 11 000 réfugiés à s’établir aux États-Unis. L’organisation, créée en 1911, a un « portefeuille diversifié », selon M. Negash. Elle est dès lors moins vulnérable que d’autres à une diminution soudaine des revenus associés à la réinstallation des réfugiés.

M. Negash a cependant dit qu’il faudrait « faire quelques ajustements » au sein de l’organisation, qui compte environ 200 employés. Il a cité comme exemple la réduction probable du nombre de traducteurs embauchés.

Dans une interview télévisée, Mark Hetfield, de HIAS, l’une des neuf ONG, a défendu le programme. « Les États-Unis sont un chef de file en matière de protection des réfugiés. Ce n’est pas le nombre de réfugiés que l’on accueille qui fait de nous un chef de file, mais la façon dont on les traite une fois qu’ils arrivent ici », a-t-il dit.

M. Canny a dit qu’il avait été « attristé » par la nouvelle politique et par ses répercussions futures sur les réfugiés. Son église s’oppose à la politique et déplore l’impact disproportionné qu’elle aura sur les musulmans.

La réinstallation est loin d’être un « bon filon », comme le prétendent certains critiques. Les neuf ONG sont « profondément impliquées dans leur mission » et doivent travailler dur pour respecter leurs engagements, a dit Mme Slaughter. Il est difficile pour les nouveaux acteurs de reproduire le vaste réseau de bureaux locaux et la capacité de soutien existante et il serait laborieux de les reconstruire, admettent les ONG. L’exigence du département d’État en matière de collectes de fonds parallèles auprès de sources privées est aussi contraignante. « Si le fait d’aider les populations vulnérables est une ‘industrie’, je considère que c’est une bonne nouvelle si je dois fermer boutique », a dit M. Negash.

Malgré le coût élevé du programme – plusieurs centaines de millions de dollars par année –, le décret de M. Trump, qui interdit temporairement l’accès au territoire américain aux citoyens de sept grands pays musulmans, semble avoir suscité une vague de soutien populaire pour les réfugiés.

Le décret aura aussi des conséquences imprévisibles sur le « tissu des relations diplomatiques », a dit Mme Slaughter. « Vous tirez un fil ici et ça perturbe tout à l’autre bout… y compris le programme de réinstallation. »

« Je pense qu’il nous apporte beaucoup plus que ce qu’il nous en coûte », a-t-elle ajouté.

bp/ks/ag-gd/amz

(PHOTO DE COUVERTURE : Le gouverneur de l’Utah visite un centre d’éducation pour les réfugiés, novembre 2015. Photo : Utah.gov)

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