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Déconstruire le mythe de l’extrémisme islamiste en Mauritanie

President of Mauritania UN Photo/Cia Pak

La Mauritanie, qui se modernise à toute vitesse, se présente comme une sorte de modèle exemplaire de la lutte contre l’extrémisme violent en Afrique.

L’année dernière, ce pays du Sahel a accueilli un sommet régional consacré aux différentes manières pour les communautés locales de faire face à la radicalisation en travaillant avec les autorités. L’initiative a été chaleureusement approuvée par les États-Unis.

La sous-secrétaire d’État américaine Bisa Williams a salué le succès de la Mauritanie en matière de lutte contre l’extrémisme violent. Elle a également souligné sa grande réputation en tant que centre d’enseignement de l’islam dont les étudiants « sont bien armés pour répondre aux atteintes à la pratique de l’islam et pour adhérer à un discours de paix ».

Déradicalisation à la mauritanienne

Le président Mohamed Ould Abdel Aziz a présenté avec assurance l’approche unique de la Mauritanie pour faire face au problème de « l’islam radical » dans un pays qui se pare pourtant du titre de République islamique depuis son indépendance.

La « déradicalisation » est devenue le maître mot et la régression de la violence islamiste radicale observée depuis cinq ans a été attribuée à la méthode mauritanienne : une répression sécuritaire qui a chassé les djihadistes du pays, mêlée à une approche plus douce de la lutte contre l’extrémisme violent.

Les dialogues menés en prison en 2011 entre des extrémistes incarcérés et des théologiens de l’islam modéré sont présentés comme une initiative révolutionnaire pouvant servir d’exemple aux pays voisins comme le Mali et le Niger, qui sont confrontés à des problèmes similaires.

M. Abdel Aziz plaide toujours en faveur du dialogue. Dans son discours à la nation prononcé en juin à l’occasion du ramadan, il a encore une fois appelé les oulémas (théologiens) « à s’investir davantage dans la promotion des valeurs de tolérance, de solidarité sociale et à faire preuve de sagesse […] pour faire obstacle aux partisans de l’extrémisme. »

Dans le cas de la Mauritanie, les « partisans de l’extrémisme » sont les hommes et les femmes victimes de mauvaises influences venues de l’extérieur, notamment du Groupe salafiste pour la prédication et le combat, dirigé par des Algériens, qui est devenu Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) en 2007.

Des attentats ont eu lieu sporadiquement en Mauritanie depuis le milieu des années 1980 : les ambassades française et israélienne ont été attaquées, des Occidentaux ont été kidnappés et tués et des tirs ont été échangés entre les forces de sécurité et des extrémistes dans le centre de Nouakchott.

Un accord a-t-il été passé ?

Des documents saisis lors du raid américain contre le complexe d’Oussama ben Laden au Pakistan et déclassifiés cette année laissent entendre qu’AQMI envisageait de conclure une trêve avec le gouvernement mauritanien en 2010, ce qui pourrait être un signe du succès de l’offensive sécuritaire.

Les conditions de cet éventuel accord étaient qu’en échange de 11 à 22 millions de dollars par an, aucun enlèvement et aucune autre activité terroriste ne seraient menés sur le territoire mauritanien. En contrepartie, tous les prisonniers d’AQMI seraient libérés et le gouvernement devrait éviter « toute attaque hostile contre les frères venant de ses territoires ».

Rien ne prouve, dans les correspondances déclassifiées, que le gouvernement ait accepté la proposition. La Mauritanie a contesté l’authenticité de ces documents et les djihadistes d’AQMI incarcérés n’ont pas été libérés, même si quelques évasions spectaculaires ont eu lieu.

Exportation de l’extrémisme

Le principal danger semble être l’exportation de l’extrémisme plutôt qu’une insurrection interne à la Mauritanie. Aucun autre pays de la région ne produit autant d’idéologues de haut rang pour le mouvement djihadiste sahélien que la Mauritanie.

L’islamisme militant a néanmoins été fréquemment présenté comme une menace existentielle à la stabilité du pays. « La Mauritanie sera-t-elle le nouveau havre des terroristes ? » s’interrogeait pas plus tard qu’en juin 2015, dans le mensuel Commentary, l’analyste américain Michael Rubin, comparant la Mauritanie au sud de la Libye et mettant en garde contre « l’accès libre d’AQMI à la majeure partie du pays. »

Des avertissements similaires étaient déjà formulés il y a plus de 10 ans. Ceux-ci mettaient l’accent sur la fragilité de l’État mauritanien, sur la dégradation de son économie et sur les multiples mécontentements de la jeune génération, sensible aux idées radicales.

« Il est tout à fait possible de confondre le conservatisme radical avec le terrorisme »

Il est cependant difficile de dire quelle est l’ampleur du soutien à l’extrémisme violent dans le pays ni dans quelle mesure celui-ci reflète l’opposition à une élite politique étroite, dominée par les Maures, qui sont d’origine arabe.

La Mauritanie fournissait déjà de hauts militants à Al-Qaida et à d’autres mouvements similaires bien avant le conflit sécessionniste de 2012 au Mali. Abu Hafs al-Mauritani, par exemple, aurait fait partie de l’entourage rapproché d’Oussama ben Laden en tant que conseiller spirituel et politique. Il a finalement été arrêté et incarcéré en Iran, puis transféré en Mauritanie avant d’être libéré en juillet 2012.

Lors du conflit au Mali, des Mauritaniens occupaient des places bien en vue au sein des katibas, les brigades islamistes s’opposant au gouvernement. Hamada Ould Mohamed Kheirou est même le fondateur du Mouvement pour l’unification et le djihad en Afrique de l’Ouest, l’un des principaux alliés d’AQMI dans le nord du Mali.

Les facteurs de radicalisme

Les recherches effectuées au sujet des agents d’AQMI en Mauritanie montrent que les plus vulnérables au recrutement sont les jeunes hommes marginalisés vivant en périphérie urbaine et ayant parfois déjà commis des délits mineurs.

Le passé esclavagiste du pays n’y est pas non plus pour rien. L’élite religieuse soutenue par l’État était contre son abolition (qui ne fut proclamée officiellement qu’en 2007), faisant affront aux Afro-Mauritaniens et aux Haratines, descendants des esclaves. « L’ascension des islamistes est due à l’incapacité de l’élite mauritanienne autocratique à construire un État-nation uni et à faire face aux séquelles de l’esclavage », a expliqué le chercheur Sebastian Elischer. Il y a deux semaines, 13 militants contre l’esclavage ont été condamnés à 15 ans de prison.

Zekeria Ahmed Salem, universitaire mauritanien, s’est intéressé de près au lien entre l’État et l’islam en Mauritanie. Dans un entretien avec IRIN à Nouakchott, il a insisté sur les dangers de trop simplifier les tendances et les courants en Mauritanie. « Il est tout à fait possible de confondre le conservatisme radical avec le terrorisme », a-t-il souligné.

En Mauritanie, a remarqué une autre universitaire, Armelle Choplin, « le gouvernement central a toujours eu une politique ambiguë à l’égard de l’islam en général et des mouvements islamistes en particulier ».

L’État accepte la présence d’un parti explicitement islamiste, Tawassoul, en tant qu’acteur légitime de la vie politique. Le chef de ce parti, Jemil Mansour, fut incarcéré sous le régime de Maaouya Ould Sid'Ahmed Ould Taya, qui dirigea le pays de 1984 jusqu’à son renversement en 2005 et qui, dans les dernières années de sa présence au pouvoir, était devenu obsédé par la menace islamiste.

Le courant sunnite traditionnel malikite, promu par l’État, était en mauvaise posture. Parrainées par l’Arabie saoudite, des mosquées wahhabites avaient poussé comme des champignons. La Mauritanie produisait des imams fortement influencés par les Frères musulmans en Égypte. Le système multipartite permit par ailleurs à des religieux d’entrer dans l’arène politique.

Les liens étroits qu’entretenait M. Ould Taya avec Washington et l’accueil en Mauritanie d’une ambassade israélienne furent fortement critiqués. Le gouvernement réagit par des mesures de répression sévères à l’encontre des mosquées et des imams considérés comme dangereux et tenta même d’interdire les enseignements non malikites.

La carte de la terreur fut jouée à plusieurs reprises, et des dissidents furent sommairement accusés d’être en lien avec le Groupe salafiste pour la prédication et le combat. Une tentative de coup d’État bâclée, mais sanglante, menée en juin 2003 fut présentée comme l’œuvre d’extrémistes islamistes. Les traques et les arrestations massives qui s’en suivirent alimentèrent indubitablement le recrutement de radicaux à Nouakchott et ailleurs.

M. Abdel Aziz et les Salafistes

Interviewé sur TV5 International en novembre 2015, M. Abdel Aziz a dit que la Mauritanie voulait être juste avec « ceux qui n’ont pas de sang sur les mains ». 

Mauritanian soldiers with an anti-terrorist border unit train in Atar before their three-month mission in northern Mauritania
Manon Riviere/IRIN

Le programme de dialogue en prison, qui a débuté en janvier 2010 et qui est pour beaucoup dans la valeur accordée à la lutte contre l’extrémisme violent en Mauritanie, était à l’origine une demande des djihadistes détenus.

Nombre des grands théologiens mauritaniens s’y sont impliqués et, lorsqu’il s’est achevé en août 2010, seulement deux de la cinquantaine de prisonniers qui avaient accepté d’y participer ont refusé de se repentir et d’admettre que le djihad n’est pas un choix acceptable pour les musulmans. En échange, l’État a offert la liberté et des colis d’aide à ceux qui sortaient de prison.

L’État avait cependant clairement précisé que les djihadistes accusés d’être impliqués dans des actes tels que le meurtre de quatre touristes français à Aleg en 2007 ne seraient pas libérés. Plusieurs des détenus avaient déjà été condamnés à mort, même si aucune exécution n’a été appliquée en Mauritanie depuis des années.

Les djihadistes les plus radicaux toujours emprisonnés en Mauritanie ont fréquemment demandé leur libération. Des défenseurs des droits de l’homme ont quant à eux souvent condamné le pays pour ses mauvaises conditions d’incarcération, pour le manque d’information apportée aux détenus concernant leur statut et pour les transferts arbitraires d’une prison à l’autre effectués sans en avertir les familles.

Des avocats ont à plusieurs reprises dénoncé des actes de torture perpétrés pour obtenir des aveux et des détenus ont régulièrement recours à des grèves de la faim pour protester contre les mauvais traitements dont ils font l’objet.

Perfectionnement militaire

Lors de sa prise de fonction à la tête de l’État en 2009, M. Abdel Aziz a assuré qu’il « ne ménagerait aucun effort pour lutter contre le terrorisme et ses causes », laissant bien entendre que ses prédécesseurs avaient manqué à leurs devoirs envers la Mauritanie. Dans le discours officiel mauritanien relatif à la lutte contre l’extrémisme, M. Abdel Aziz sort vainqueur.

Depuis juin 2005 — et l’assassinat de 15 soldats mauritaniens par des membres du Groupe salafiste pour la prédication et le combat dans le nord-est du pays — jusqu’en 2011, AQMI était actif en Mauritanie. Mais les épisodes de violences étaient trop sporadiques pour faire croire à une campagne de terrorisme soutenue.

Le déclin marqué des violences qui a cependant été observé sur le territoire mauritanien depuis cinq ans a été attribué à un certain nombre de facteurs : une législation antiterroriste stricte, un contrôle renforcé des 2 200 kilomètres de frontières partagées avec le Mali, des forces de sécurité plus flexibles, un meilleur partage des renseignements à l’échelle régionale et une collaboration plus étroites avec les alliés, notamment les États-Unis, en matière d’entraînement militaire.

Le Commandement des États-Unis pour l’Afrique a fréquemment salué la contribution militaire de la Mauritanie. C’est d’ailleurs elle qui a, en 2013, donné un coup d’accélérateur au processus de Nouakchott, soutenu par l’Union africaine et qui réunissait 11 États dans le but de relancer la coopération en matière de sécurité.

Certains sceptiques soutiennent cependant que la lettre d’AQMI à M. ben Laden est la preuve que M. Abdel Aziz a volontairement accordé une importance excessive à la menace nationale en faisant l’amalgame entre le conservatisme islamique, de plus en plus puissant, et des intentions djihadistes.

La Mauritanie est un pays qui regorge de ressources naturelles, du minerai de fer au gaz, et ses zones de pêche sont parmi les plus riches au monde. La plupart des Mauritaniens n’en voient cependant pas la couleur : le taux d’alphabétisation est de 40 pour cent et l’insécurité alimentaire est endémique.

Certains affirment que la lutte contre le terrorisme n’est autre qu’une distraction utile qui détourne l’attention des véritables ennemis de la Mauritanie : la pauvreté et l’exclusion sociale.

cs/oa/ag-ld/amz 

PHOTO DE COUVERTURE : Le président Mohamed Ould Abdel Aziz, par Cia Pak/UN Photos

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