Le problème n’est pas de trouver les soldats pour doter les forces des missions de maintien de la paix en Afrique, mais plutôt de trouver l’argent pour les payer. Et c’est sans parler des coûts associés à la collecte de renseignements et à l’utilisation d’hélicoptères et de technologies – des éléments pourtant essentiels à la conduite d’opérations militaires modernes et à la gestion des nouvelles menaces sécuritaires qui planent à l’horizon.
Depuis 2002, aucune des cinq opérations de paix de l’Union africaine n’a été financée par le Fonds de la paix de l’UA, à l’exception d’une allocation de 50 millions de dollars versée à la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA) en 2013. Le slogan « des solutions africaines aux problèmes africains » semble un peu dérisoire lorsqu’on sait que le financement vient principalement de l’Union européenne (UE), des donateurs européens individuels et des États-Unis.
Les participants au sommet de l’UA qui aura eu lieu à la fin juillet à Kigali, la capitale rwandaise, espèrent changer tout cela. Les leaders africains tenteront en effet de s’entendre sur une feuille de route afin de trouver des sources de financement alternatives pour les opérations de maintien de la paix dirigées par l’UA.
Ils examineront diverses approches novatrices – l’imposition de taxes sur les nuitées d’hôtel, les billets d’avion et les messages textes, voire le prélèvement d’un pourcentage des droits à l’importation – afin de générer par eux-mêmes 25 pour cent des coûts des missions de maintien de la paix d’ici 2020. Il s’agit là d’un grand pas en avant. L’UA espère que ce niveau d’engagement suffira à persuader les Nations Unies de couvrir les 75 pour cent restants.
Quelle est la situation actuelle ?
L’UA souhaite rendre le financement de ses missions durable et prévisible. Il n’est ni l’un ni l’autre pour le moment. Plus de 90 pour cent du budget de paix et de sécurité de l’UA provient en effet de la Facilité de soutien à la paix pour l’Afrique (African Peace Facility, APF) de l’UE. Depuis l’établissement de l’APF, en 2004, l’UE y a versé plus de 1,1 milliard d’euros.
Mais ce qui a été donné peut aussi être retenu. Au début de l’année, l’UE a réduit de 20 pour cent le montant consacré aux allocations des soldats de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM), une force de quelque 22 000 hommes. Elle a justifié sa décision en disant qu’il y avait d’autres « priorités concurrentes en Afrique et dans le monde en général », et qu’il fallait notamment accorder des ressources à la formation des soldats de l’Armée nationale somalienne.
L’AMISOM, qui combat depuis neuf ans l’insurrection d’Al-Shabab, absorbe à l’heure actuelle plus de 85 pour cent des dépenses de l’APF. Les Nations Unies fournissent également un « paquet de soutien logistique non létal » comprenant du carburant, des vivres et des services de santé. L’ANISOM manque malgré tout d’effectifs et d’équipements et ses opérations sont réduites à l’essentiel.
Les principaux pays contributeurs ont réagi avec colère lorsque l’UE a laissé entendre qu’ils devraient compenser la réduction de la somme consacrée aux allocations. Le président kényan Uhuru Kenyatta a soutenu que les soldats africains payaient de leur sang pour une mission visant à assurer la paix et la sécurité internationales. Le Kenya et l’Ouganda ont tous deux menacé de retirer leurs soldats.
Qui paye décide
Le changement de politique de l’UE illustre bien le problème que suppose la nature ponctuelle du financement. « Le défi, c’est que le financement de ces types de missions n’est pas adapté à leurs objectifs », a dit un haut responsable de l’UA qui a demandé à garder l’anonymat. « C’est un peu n’importe quoi. On ne peut pas continuer à passer le chapeau comme on le fait en ce moment. »
L’UA dispose sur papier d’une vaste architecture sécuritaire, mais elle a en réalité très peu d’argent pour la financer. L’organisation a perdu son principal bienfaiteur à la suite de la chute du leader libyen Mouammar Kadhafi. Ses autres contributeurs importants – le Nigeria, l’Afrique du Sud, l’Algérie et l’Égypte – traversent tous des périodes difficiles. La dépendance envers les fonds externes détermine dans quels conflits l’UA peut intervenir, mais aussi à quel moment les missions doivent se terminer.
Au début de l’année, l’UA a nommé Donald Kabureka, ancien président de la Banque de développement africaine, au poste de Haut Représentant pour le Fonds de la paix. Son rôle est de trouver les ressources qui permettront d’augmenter la part des contributions africaines à 25 pour cent et de faire pression sur les partenaires internationaux en vue d’obtenir des contributions obligatoires des Nations Unies pour financer les 75 pour cent restants.
M. Kabureka a déjà rencontré quelques obstacles. Certains membres, y compris le Kenya et l’Égypte, se sont dits inquiets de l’impact que pourrait avoir la taxe de 2 dollars sur les nuitées d’hôtel ou celle de 10 dollars sur les billets d’avion sur leur industrie touristique. La Zambie a soutenu que la cession de ces taxes nationales était une violation des droits des citoyens.
« On observe également des inquiétudes quant à l’obligation de reddition de compte du Fonds de la paix, qui servira de dépositaire des fonds », a dit le haut responsable de l’UA. « Peu d’efforts ont été déployés en ce qui concerne les règles fiduciaires et de transparence. »
Un processus délicat
Selon Paul Williams, de l’Elliott School of International Affairs de l’université George-Washington, M. Kabureka entreprend un processus en deux étapes particulièrement délicat.
Il doit d’abord rallier les États membres de l’UA lors du sommet de Kigali. « Une fois que l’UA aura convenu de ce que fera le Fonds de la paix et de la façon dont il pourra être alimenté par des fonds appropriés, les Nations Unies et l’UA devront s’entendre sur la façon dont les Nations Unies devraient contribuer à soutenir les opérations de paix africaines », a dit M. Williams à IRIN.
Les Nations Unies reconnaissent que l’AMISOM représente en quelque sorte un modèle pour les futures opérations de paix. Elles envisagent par ailleurs de mettre en place un plus grand nombre d’interventions régionales autorisées par le Conseil de sécurité et considèrent l’UA en particulier comme un partenaire clé. L’UA a démontré sa volonté de déployer ses forces dans des situations où il n’y a « aucune paix à maintenir », ce qui, à Mogadiscio, en Somalie, impliquait d’aller d’une maison à l’autre pour débusquer les insurgés et leur livrer un combat sanglant. On est loin du rôle traditionnel des Casques bleus des Nations Unies...
L’UA a aussi la capacité d’agir rapidement. Les Nations Unies ont ainsi autorisé le déploiement rapide de missions de soutien de la paix de l’UA pour répondre aux violences en République centrafricaine et au Mali, des interventions qui ont par la suite été redéfinies comme des opérations des Nations Unies. Dix des 17 missions de paix actuelles des Nations Unies sont en Afrique.
Partager le fardeau
L’UA croit que la solution pour l’avenir passe par un partenariat formel avec les Nations Unies dans le cadre du mandat du chapitre VIII de la charte des Nations Unies, qui autorise la collaboration avec des organisations régionales.
« Un tel partenariat devrait être fondé sur les principes du partage du fardeau, de l’avantage comparatif et de la division du travail afin de mieux gérer les complexités des conflits d’aujourd’hui », indique une note de discussion de l’UA.
L’an dernier, le Groupe indépendant de haut niveau chargé d’étudier les opérations de paix nommé par le Secrétaire général des Nations Unies a recommandé que le soutien accordé par les Nations Unies aux missions dirigées par l’UA soit déterminé au cas par cas. Selon un rapport du Centre européen pour la gestion des politiques de développement (ECDP, selon le sigle anglais), cette recommandation déçoit les « attentes des Africains, qui espéraient des engagements plus ouverts en terme de financement et de coopération institutionnelle ».
Au cours de la dernière année, une série d’évaluations, de documents-cadres et de déclarations de position commune ont exploré les diverses étapes à franchir pour favoriser une plus grande convergence. Or, certains défis institutionnels et politiques qui pourraient rendre la collaboration difficile entre les deux organisations doivent encore être surmontés. Le rapport de l’ECDP parle notamment des mécanismes de contrôle budgétaires et financiers et du respect des principes de maintien de la paix des Nations Unies.
L’UA a réaffirmé à plusieurs reprises son engagement en faveur de la lutte contre les violences sexuelles et la protection des droits de l’homme dans le cadre de ses déploiements. Ce sont là deux préoccupations importantes pour certains pays membres des Nations Unies. Les piliers (sous-financés) de son architecture sécuritaire démontrent également l’importance accordée à la prévention des conflits et à l’alerte précoce – c’est-à-dire à l’usage de la politique et de la médiation – avant l’envoi de troupes sur le terrain.
On ignore encore ce que les membres permanents occidentaux du Conseil de sécurité des Nations Unies – les États-Unis, la France et le Royaume-Uni – pensent de l’utilisation des contributions obligatoires des Nations Unies pour financer les opérations de paix de l’UA. « Je dirais qu’il est trop tôt pour déterminer les positions définitives des principaux acteurs à ce stade-ci », a dit M. Williams.
Mais dans une présentation sur les approches sécuritaires régionales faite plus tôt cette année, il a dit : « Si l’Afrique ne peut pas trouver de sources de financement durables, prévisibles et flexibles, alors des questions de crédibilité, de prise en charge locale et de durabilité se poseront. »
Sans ces sources de financement, « les organisations et les États africains n’auront jamais le plein contrôle ; ils ne parviendront jamais à établir leur propre programme », a-t-il ajouté.
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Photo de couverture: Des soldats ougandais du 8e groupement tactique de l’AMISOM quittent Kampala pour se rendre à Mogadiscio, 2011 - Obi Anyadike/IRIN