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Un plan B pour l’accord UE-Turquie ?

Mohammad Ghannam/IRIN
Walid, his pregnant wife and two children, who fled Iraq, at a makeshift detention centre on the Greek island of Samos

Cela fait moins de 11 semaines que l’Union européenne (UE) a conclu avec la Turquie un accord controversé visant à juguler le flux de demandeurs d’asile vers l’Europe. L’accord a immédiatement subi des pressions sur plusieurs fronts et il semble déjà sur le point d’échouer complètement, avant même que des retours de masse soient organisés.

Il y a deux semaines, sur l’île grecque de Lesbos, un comité a donné une réponse favorable à l’appel d’un demandeur d’asile syrien dont la demande initiale avait été rejetée et qui était sur le point d’être expulsé vers la Turquie. Cette semaine, neuf autres appels déposés par des Syriens ont été acceptés. De nombreuses autres décisions comme celles-ci devraient bientôt être rendues, selon Pro Asyl, l’ONG allemande pour laquelle travaillent les avocats qui représentaient les Syriens. Jusqu’à présent, un seul cas d’appel déposé par un Syrien a été rejeté.

Ces décisions sont importantes, car elles détruisent l’illusion qui a donné à l’accord son vernis légal, c’est-à-dire l’illusion selon laquelle la Turquie est un « pays tiers sûr » dans lequel même les véritables demandeurs d’asile peuvent être déportés sans que ces expulsions n’enfreignent le droit international des réfugiés.

Des retards dans le traitement des demandes

En vertu de ce principe bidon, environ 200 migrants et réfugiés – des Syriens, pour la plupart – se sont vu dire que leur demande d’asile, officiellement inadmissible, ne pouvait pas être traitée en Grèce et qu’ils seraient dès lors déportés en Turquie. Ils ont cinq jours pour déposer un appel auprès du Service d’asile grec.

Jusqu’à présent, un peu plus de 400 personnes ont été déportées en Turquie en vertu de cet accord (alors que 5 000 autres migrants et réfugiés sont arrivés en Grèce depuis la Turquie en avril et en mai). Fait révélateur : parmi les déportés ne se trouvait aucun Syrien ou ressortissant d’un autre pays dont la demande avait été rejetée en raison de son inadmissibilité. La plupart étaient en effet des individus n’ayant pas déposé de demande d’asile ou ayant retiré leur demande après avoir décidé qu’il était préférable de retourner en Turquie que d’être détenu en Grèce.

Selon le Service d’asile grec, 7 000 des quelque 8 500 migrants qui se trouvent actuellement dans les îles grecques attendent toujours d’être convoqués pour l’entretien initial. La Grèce peut seulement garder les migrants pendant 28 jours dans les centres de détention fermés. Ces derniers ne peuvent cependant quitter les îles même après leur libération. L’atmosphère qui règne là-bas est de plus en plus tendue.

« Il n’y a pas suffisamment de sécurité dans ces camps [sur les îles] ; il y a des émeutes, du désespoir ; il n’y a pas suffisamment à manger », a dit Karl Kopp, de Pro Asyl. « Les gens n’ont aucune idée de ce qui se passe et il n’y a pas suffisamment d’avocats disponibles. »

Un accord juridiquement peu solide

Des dizaines d’« experts » du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO, selon le sigle anglais) ont été déployés dans les îles pour venir en aide aux fonctionnaires grecs débordés. Selon un porte-parole de l’EASO, des responsables de l’organisation conduisent des entretiens pour déterminer l’admissibilité des demandeurs et transmettent ensuite leurs recommandations au Service d’asile grec, qui est responsable des décisions finales.

M. Kopp a dit que les responsables de l’EASO ne pouvaient pas prendre de décisions finales, mais qu’ils influençaient quand même leur résultat en répétant comme un mantra que la Turquie est un pays tiers sûr.

Or, alors que l’encre n’est pas encore sèche sur l’accord UE-Turquie (finalisé le 20 mars), les preuves montrant qu’elle n’en est pas un s’accumulent déjà. Au cours des deux derniers mois, plusieurs cas de migrants syriens blessés ou abattus par des gardes turcs alors qu’ils tentaient de traverser la frontière ont été documentés. Il semble en outre que certains migrants déportés en Turquie y aient été détenus dans des camps isolés sans accès aux services d’un avocat alors qu’on leur avait promis qu’ils pourraient entamer des procédures d’asile.

La directrice du Service grec d’asile Maria Stavropoulos a dit à IRIN que d’autres retours étaient prévus au cours des jours et des semaines à venir, mais des groupes de la société civile comme Pro Asyl et le Conseil grec des réfugiés ont annoncé leur intention d’aller devant les tribunaux pour tenter de suspendre les expulsions. M. Kopp a dit que son organisation avait déposé une demande auprès de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg pour empêcher la déportation d’un homme syrien dont l’appel a été rejeté jeudi. Si l’organisation obtient une décision favorable, cela pourrait établir un nouveau précédent allant à l’encontre de l’accord.

Répercussions politiques

Les tribunaux européens mettront sans doute plusieurs mois pour exposer les défauts légaux de l’accord UE-Turquie. L’accord pourrait cependant connaître une mort beaucoup plus rapide si Ankara décide de se retirer.

Début mai, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a licencié son premier ministre, Ahmet Davutoglu, qui avait participé à la négociation de l’accord avec l’UE. Au cours des dernières semaines, M. Erdoğan a exprimé à plusieurs reprises son insatisfaction face à la lenteur du processus visant à accorder aux citoyens turcs une dispense de visa pour pénétrer dans l’Union européenne – une mesure clé visant à favoriser la coopération de la Turquie en matière de migration. La date cible pour la dispense de visa était le 1er juin, mais les « discussions techniques » viennent tout juste de commencer et Ankara doit toujours se conformer à une liste de 72 exigences. La Turquie doit notamment apporter des modifications à sa législation antiterroriste, qui permet de poursuivre des universitaires et des journalistes. M. Erdoğan a déjà clairement indiqué qu’il n’était pas disposé à faire les réformes nécessaires. Il s’est également plaint que l’UE devait encore lui remettre l’enveloppe de 3 milliards d’euros promise à la Turquie dans le cadre de l’accord pour l’aider à soutenir les réfugiés syriens.

Une résolution votée par le Parlement allemand le jeudi 2 juin pourrait porter un autre coup à l’accord. La résolution reconnaît en effet comme un génocide le massacre de 1,5 million d’Arméniens commis en 1915 par les forces turques ottomanes. La Turquie a rapidement réagi en rappelant son ambassadeur. La chancelière allemande Angela Merkel, considérée comme l’architecte de l’accord UE-Turquie, a beaucoup à perdre si l’accord échoue et que les mouvements de réfugiés à grande échelle reprennent en Europe cet été. En 2015, l’Allemagne était, de loin, le pays ayant accueilli le plus grand nombre de demandeurs d’asile ayant traversé la mer Égée depuis la Turquie.

Pour l’heure, la perspective d’être détenu en Grèce et les fermetures de frontières dans les Balkans qui ont précédé la signature de l’accord UE-Turquie ont suffi à dissuader la plupart des migrants – sauf les plus désespérées – d’emprunter la route égéenne. Mais plus de 10 000 migrants sont arrivés par bateau en Italie au cours de la dernière semaine de mai et la crise européenne des réfugiés est loin d’être terminée. Les décideurs doivent trouver rapidement un plan B.

ks/ag-gd/amz

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