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Les ADF servent-ils de boucs émissaires en RDC ?

An FARDC soldier has a cigarette on the Kanyaruchinya frontline on the outskirts of the eastern DRC city of Goma Guy Oliver/IRIN
An FARDC soldier has a cigarette on the Kanyaruchinya frontline on the outskirts of the eastern DRC city of Goma (Aug 2013)

Au cours des 18 derniers mois, les attaques contre les civils ont fait plus de 500 victimes dans la région de Beni, en République démocratique du Congo (RDC). Les autorités congolaises accusent les Forces démocratiques alliées (Allied Democratique Forces, ADF), un groupe rebelle islamiste entretenant des liens avec l’Ouganda, d’avoir commis ces massacres. Or cela n’est pas si simple : des éléments de preuve suggèrent en effet l’implication de l’armée congolaise et des liens potentiels avec les réseaux de contrebande.

Kolu Mosekuse se rappelle très bien l’attaque commise contre Ngadi, un village endormi situé en bordure de la route nationale 4, le long de la frontière ougandaise. Alors que nous marchons le long d’un chemin de terre bordé d’étals de nourriture, d’un atelier de réparation et d’une station-service de fortune, M. Mosekuse, le chef adjoint du village, me raconte comment s’est déroulée l’attaque contre son village.

« Nous ne pouvions pas les voir parce qu’il faisait noir, mais nous les avons entendus arriver. Ils tiraient sur tous ceux qui se trouvaient sur la route. »

Il pointe du doigt un groupe de maisons à peine visibles sous le dense couvert des arbres. « Un soldat, sa femme et leurs trois enfants vivaient là. Ils ont tué la femme et les deux plus vieux. Seul le bébé qui se trouvait dans les bras de la femme a survécu. »

Les autorités ont immédiatement identifié les attaquants comme étant des membres des ADF, un groupe rebelle basé dans les monts Rwenzori, près de la frontière ougandaise. Au cours des deux dernières années, ce groupe a été accusé d’avoir commis une série d’atrocités à l’encontre des civils de la région de Beni.

Selon les témoignages des victimes, des autorités locales et des groupes civils récoltés par le Centre d’étude pour la promotion de la paix, la démocratie et les droits de l’homme, une organisation non gouvernementale (ONG) locale qui documente les actes de violence commis dans la région, plus de 500 personnes auraient été tuées entre octobre 2014 et décembre 2015.

Qui est responsable ?

S’il ne fait aucun doute que les ADF sont responsables d’un certain nombre d’abus, et notamment de meurtres, de viols et de recrutement d’enfants, un rapport publié récemment par le Groupe d’étude sur le Congo, un projet de recherche dédié à la compréhension des violences dans l’est de la RDC, a remis en cause cette version officielle. Les auteurs appellent le gouvernement à constituer dans les plus brefs délais une commission d’enquête spéciale dirigée par un procureur militaire haut gradé.

« Les ADF ne sont pas réellement ce que les gens croient qu’ils sont », a dit Jason Stearns, le principal auteur du rapport. « Ce n’est pas une organisation islamiste étrangère, mais une milice profondément enracinée dans la société locale qui entretient des liens avec les acteurs politiques et économiques. S’il est vrai que les ADF sont responsables de la majeure partie des massacres, il est clair que d’autres groupes, comme les soldats congolais, sont également impliqués. »

Pendant six mois, les chercheurs ont interviewé plus de 100 personnes, notamment des victimes, des leaders de la société civile et des officiers de l’armée nationale, les FARDC.

« En plus des commandants qui appartiennent strictement aux ADF, certains membres des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), des anciens [rebelles] du Rassemblement congolais pour la démocratie—Kisangani/Mouvement de libération (RCD–K/ML), ainsi que des membres des milices communautaires sont aussi intervenus dans les attaques contre la population civile », conclut le rapport.

Quelles sont les causes des violences ?

Certains officiers ont dit qu’on leur avait offert jusqu’à 250 dollars pour chaque personne tuée, mais ils n’ont pas voulu révéler de noms. Dans certains cas, les soldats des FARDC sont arrivés dans les villages un ou deux jours avant le début des massacres.

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« Les soldats étaient là pour protéger le village. Au lieu de quoi ils ont attaqué la population », a dit Modest Makuta, un chauffeur de taxi de 27 ans de Tenambo, une communauté située en périphérie d’Oicha, où plusieurs attaques ont eu lieu.

En octobre 2014, M. Makuta a reçu des coups de machette à la tête et au cou lors d’une attaque qui a fait huit victimes. Il a dit que son agresseur était un soldat.

« Ils portaient l’uniforme de l’armée congolaise et j’ai reconnu leur commandant, un colonel appelé Byamungu. Nous n’avons jamais eu de problèmes avec les ADF et ils n’ont jamais attaqué le village. »

La fréquence des violences – qui se sont produites sur un vaste territoire – et le fait que certains des attaquants parlaient le kinyarwanda – une langue qui n’est généralement pas parlée dans cette région de la RDC – laissent supposer que de multiples groupes armés originaires d’une vaste région géographique sont impliqués.

Les ADF sont basées en RDC depuis plus de deux décennies. Le groupe rebelle a forgé des liens solides avec des personnalités politiques et économiques locales et a exploité les réseaux de contrebande existants, principalement celui du bois, tirant profit de la corruption existante au sein des FARDC et de l’administration locale.

Cette économie illicite est au coeur de la violence et de l’instabilité qui règnent depuis plusieurs décennies dans l’est du pays. Les troubles continus exigent une vaste présence militaire.

Fausses accusations

Les leaders politiques locaux décrivent l’organisation rebelle comme une « milice islamiste » et mettent l’accent sur les liens qu’elle entretient avec les réseaux extrémistes de la région, notamment avec Al-Shabab en Somalie et au Kenya.

« Ce qui se passe à Beni aujourd’hui n’est pas différent de ce que l’on voit au Nigéria – où vous avez Boko Haram – et à d’autres endroits », a dit Jules Kasereka, le maire de Beni.

La Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO) se montre plus prudente, mais elle tient essentiellement le même discours.

« La situation est complexe », a dit à IRIN le général Jean Baillaud, le commandant adjoint des forces de la MONUSCO. « Plusieurs groupes armés opèrent dans la région. Nous considérons toutefois les ADF comme étant la principale menace en raison des liens que ce groupe entretient avec les groupes armés des pays voisins. »

Les leaders militaires affirment qu’il est difficile de vaincre les rebelles des ADF en raison de leurs tactiques de guérilla.

« C’est une organisation terroriste qui reste difficile à éradiquer, même si elle n’est plus aussi forte qu’avant », a dit à IRIN le général Marcel Mbangu, commandant des FARDC à Beni. « Il n’est pas nécessaire de se casser la tête : les ADF sont clairement responsables des attaques. »

Certains leaders de la société civile et groupes de défense des droits de l’homme croient toutefois que les autorités exagèrent délibérément le rôle des ADF dans les attaques commises contre les civils.

« Il est très difficile d’affirmer que les ADF sont responsables d’une attaque en particulier », a dit Michel Musafiri, chercheur auprès d’un groupe de défense des droits de l’homme dans la région de Beni. « Jusqu’à présent, seuls quelques rares attaquants ont été identifiés. Lorsque les autorités et les autres ont affirmé que les combattants étaient des membres des ADF, il est souvent apparu par la suite que ce n’était pas le cas. »

Culture d’impunité

Les soldats de maintien de la paix et les FARDC ne sont pas intervenus, même lorsque les massacres étaient perpétrés à proximité d’où ils étaient stationnés. On raconte même que, dans certains cas, les commandants des FARDC auraient ordonné à leurs hommes de ne pas intervenir.

Displaced people in DRC’s Katanga province
Stephen Graham/IRIN

« Les autorités ont concentré tous leurs efforts sur la lutte contre les ADF sans chercher à identifier formellement les auteurs des attaques et [s’assurer] qu’ils [sont] traduits en justice », a dit M. Musafiri.

Les autorités ont arrêté un certain nombre d’individus apparemment associés aux ADF, mais aucun d’entre eux n’a été jugé ou condamné. Les groupes de défense des droits de l’homme soupçonnent dès lors l’existence d’une complicité au plus haut niveau.

« Pour ramener la stabilité dans le Nord-Kivu, il faut absolument tenir compte du fait que les rivalités locales sont à l’origine des violations », a dit Teddy Kataliko, un leader de la société civile, faisant référence à la province dans laquelle se trouve la région de Beni.

Les ADF ont été défiées par les FARDC et la Brigade d’intervention de la MONUSCO – une unité ayant pour mandat spécifique d’affronter et de neutraliser les groupes armés. En janvier 2014, les deux forces ont lancé une offensive conjointe contre les ADF. Le nom de code de l’opération était Sukola 1, ce qui, en lingala, veut dire « propre ».

Des centaines de combattants des ADF ont été tués, de même que des civils, et les camps des rebelles ont été saccagés. Les opérations conjointes ont cependant été suspendues en janvier 2015 à la suite d’allégations d’abus commis par deux généraux congolais. La MONUSCO aimerait bien pouvoir relancer l’offensive.

La Brigade d’intervention peut agir unilatéralement, mais, selon le général Baillaud, ce n’est pas l’approche la plus efficace.

« Il est beaucoup plus efficace de collaborer avec les Congolais, de les soutenir et de les compléter », a-t-il dit à IRIN. « À l’heure actuelle, notre priorité est de mettre en place les conditions politiques pour la reprise des opérations conjointes. Cela doit être décidé au plus haut niveau, soit, dans ce cas, par le gouvernement de Kinshasa. »

Or, selon le Groupe d’étude sur le Congo, « il est évident que le gouvernement congolais et [la MONUSCO] n’ont pas déployé suffisamment d’efforts pour répondre à la crise et qu’ils ont incorrectement identifié l’ennemi. »

kh/oa/ag- gd/amz 

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