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Quelle alternative à la guerre contre la drogue ?

L’UNGASS a peu de chance de conduire à une réforme, mais pourrait quand même changer la donne

Mitchell's Plain Cape Town township South Africa - getting high Obi Anyadike/IRIN
Getting high - Mitchell's Plain, Cape Town

L’échec de la « guerre contre la drogue » est largement reconnu. La logique militaire adoptée, fondée sur l’interdiction et l’incarcération, a attisé la violence et augmenté la misère de manière ahurissante. Elle a coûté des milliards de dollars et n’a réduit ni l’offre ni la demande.

En avril, la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies (UNGASS) adoptera par consensus une position sur la lutte contre la drogue, mais rares sont ceux qui s’attendent à un véritable remaniement du cadre mondial actuel, résolument conservateur.

Certains réformistes cherchent donc à prendre modèle sur les objectifs de développement durable (ODD).

Les détracteurs de la campagne de « guerre contre la drogue » ont depuis longtemps recours au terme « réduction des méfaits » pour défendre une démarche plus humaine, traitant l’addiction comme un problème de santé plutôt que comme un délit.

Ils dénoncent les contradictions flagrantes entre le cadre politique actuel en matière de lutte contre la drogue et le nouveau programme mondial de développement approuvé par tous.

Lisez notre dossier : Guerre contre la drogue — dommages collatéraux 

La guerre contre la drogue est non seulement un échec, mais elle a aggravé de nombreux maux que les ODD cherchent à combattre, comme les violations des droits de l’homme, l’incarcération de masse, la destruction des moyens de subsistance, la violence, les guerres de gangs, l’affaiblissement des États, la pauvreté, la propagation du VIH, les discriminations sexistes, etc.

Utopie

L’adoption des ODD devrait servir de point de départ à une résolution de ces problèmes de manière ascendante plutôt que descendante. Selon certains experts, si quelques-uns des 17 objectifs de développement étaient ne serait-ce qu’à moitié atteints, alors les individus, les communautés et les États pourraient mieux résister aux dommages causés par la toxicomanie et par le trafic. Ils estiment également que si les 100 milliards de dollars de dépenses annuelles consacrées à la lutte contre la drogue servaient plutôt à mettre en place des mesures en faveur du développement, certains ODD seraient plus faciles à atteindre.

Le monde sans drogue envisagé par la politique actuelle semble utopique. Ce n’est pas le cas d’un monde où la production, la commercialisation et l’usage des drogues illicites seraient maîtrisés et contrôlés de manière moins pernicieuse.

« Les ODD ne traitent ni ne résolvent [le problème des] politiques de lutte antidrogue, mais ils nous apportent un cadre nous permettant de nous attaquer à ces questions de manière plus appropriée et sans simplement créer de nouveaux méfaits », a dit John Collins, rédacteur d’un rapport de la London School of Economics sur les conséquences de la guerre contre la drogue. 

Une approche fondée sur des données probantes

D’autres études récentes placent elles aussi le développement au centre des débats sur la nouvelle politique antidrogue. Dans son rapport What Comes After the War on Drugs, l’Université des Nations Unies (UNU) recommande la création d’un groupe de travail consacré à l’élaboration de nouveaux « objectifs mondiaux de lutte contre la drogue », semblable à celui qui a préparé le terrain des ODD. 

Dans un article encensé, intitulé Addressing the Development Dimensions of Drug Policy, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) énumère les victimes de la guerre contre la drogue. Faisant preuve de diplomatie, il cite le chef de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC) Yury Fedotov, qui a lui-même reconnu certaines conséquences négatives de sa stratégie. L’article expose ensuite quelques pistes pour une politique et une lutte antidrogue prenant davantage en compte les impératifs du développement.  

Selon les auteurs, il faudrait accorder un rôle plus important au PNUD dans la création d’une « approche de la politique de lutte contre la drogue davantage fondée sur des données probantes et axée sur la personne et sur le développement ».

Dans le rapport de la London School of Economics, le directeur de l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée Mark Shaw défend la mise en œuvre d’une démarche de réduction des méfaits axée sur le développement d’un bout à l’autre de la filière, jusqu’aux trafiquants, en particulier, et au crime organisé, en général. 

« L’arrivée des ODD nous donne la meilleure occasion de toute une génération de considérer les premiers maillons de la chaîne, à savoir les fournisseurs, et d’agir différemment à leur égard », a-t-il dit à IRIN.

Des mesures de façade ?

Pour l’instant, les ODD ne mentionnent la politique antidrogue qu’à la cible 3.5 de l’objectif de bonne santé et bien-être, qui vise à renforcer la prévention et le traitement de l’abus de substances psychoactives.

Dans le cadre général actuel de lutte contre la drogue, le développement est défini de façon restrictive comme « développement alternatif », faisant par exemple référence à la recherche de moyens de subsistance de remplacement pour les cultivateurs de pavot ou de coca, ruinés par les campagnes de destruction des cultures. Pour de multiples raisons, ces programmes critiqués comme étant de simples mesures de façade n’ont pas eu l’effet escompté.

Un important tabou vient cependant tempérer tout enthousiasme excessif concernant les éventuels bénéfices d’une démarche plus cohérente donnant la priorité au développement : il s’agit de la longue liste de pays n’ayant pas l’intention de s’écarter du régime actuel axé sur la lutte contre la criminalité.

Ces pays sont l’Iran, la Russie, la Chine, l’Inde, le Japon et quantité d’autres États du Moyen-Orient, d’Asie et d’Afrique.

Il y a donc peu d’espoir que les réjouissances d’avril, qui réuniront pendant trois jours à New York de hauts fonctionnaires, des férus de politiques publiques et des militants de la société civile du monde entier, donnent lieu à des changements concrets.

Les trois traités sur les stupéfiants de 1961, 1971 et 1988 qui régissent le cadre politique actuel n’ont aucune véritable chance non plus d’être remaniés en 2019, lors de leur examen officiel, ni d’ailleurs les structures clés responsables de cette politique, à savoir la Commission des stupéfiants et l’Organe international de contrôle des stupéfiants.

Flexibilité

Selon toute attente, l’UNGASS devrait produire un document consensuel maintenant le cadre actuel de lutte contre la drogue, mais permettant aux États membres de mettre en œuvre leurs propres mesures et d’en expérimenter de nouvelles.

C’est ce qui est déjà en train de se passer : certains pays dépénalisent, voire légalisent la possession ou la culture de cannabis.

2.27 tons of seized marijuana and cocaine are analysed and inventoried before being transferred by armed convoy to Ganthier for destruction. There, the Haitian National Police will destroy the illegal drugs with the support of the United Nations Stabiliza
UN Photo/Victoria Hazou
Un secteur très mobile : des policiers haïtiens saisissent des drogues en transit

De nombreux pays européens (comme la Suisse, le Portugal et les Pays-Bas) mènent discrètement depuis des années leurs propres expérimentations en matière de réduction des méfaits — avec, par exemple, des programmes d’échange des seringues, qui traitent la toxicomanie davantage comme un problème de santé que comme un délit. De leur côté, des pays d’Amérique latine ont plaidé ouvertement pour l’abandon de la guerre contre la drogue menée par les États-Unis.

Ces pays font en effet les frais de la violence des gangs et des déplacements massifs involontairement engendrés par cette stratégie. Ce sont le Mexique, le Guatemala et la Colombie qui ont demandé en 2012 une session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies dans l’espoir de changer le statu quo bien avant l’examen de la politique antidrogue prévu en 2019.

Ce changement de ton ne s’est cependant pas encore traduit par une application de la loi plus indulgente en Amérique latine, comme le signalent Catalina Perez et d’autres dans le rapport de la London School of Economics. 

Ce qui a vraiment pesé en faveur d’une plus grande flexibilité, c’est le choix des États-Unis d’aller dans ce sens en cherchant à limiter les incarcérations pour des infractions mineures relatives aux stupéfiants et, pour certains États, en dépénalisant la marijuana, voire en la légalisant.

Summer Walker, directrice du projet de politique antidrogue de l’UNU, prédit que l’UNGASS donnera naissance à « un document adopté par consensus par un certain nombre d’acteurs n’ayant pas les mêmes intentions ». Mais, selon elle, la session extraordinaire a peu de chance de « pousser le moindre État à prendre de nouvelles orientations politiques ».

Unité sur les droits de l’homme

Le rapport de l’UNU précise cependant que le document de l’UNGASS parviendra à un consensus sur des concepts comme le respect des droits de l’homme et la primauté du droit, pour la simple raison que ces termes sont ambigus.

Les États membres ont des positions très différentes sur la manière de traiter les toxicomanes et les dealers, par exemple.

En 2011, l’Iran a exécuté 540 personnes pour des délits liés aux stupéfiants (80 pour cent des exécutions de cette année-là). Selon un rapport d’Amnesty International, le pays a exécuté près de 700 personnes au premier semestre 2015, dont la plupart pour des infractions liées aux drogues. D’après l’ONUDC, bien que les condamnations pour trafic de drogue soient restées stables à l’échelle mondiale, les délits de possession de stupéfiants ont augmenté de 13 pour cent depuis 2003. 

Si de nombreux pays se montrent peu enclins à adoucir leurs politiques antidrogue, on peut espérer que ces dernières seront plus difficiles à défendre lorsque les mesures de réduction des méfaits montreront leurs vertus, estime M. Collins. « Nous ne pouvons pas obtenir un consensus à l’échelle internationale, mais les pays bénéficient maintenant d’une certaine marge de manœuvre pour poursuivre des mesures plus tolérantes. »

M. Shaw met cependant en garde contre l’acceptation croissante de stratégies de réduction des méfaits au niveau de l’offre, qui pourrait conduire à « une concession subtile aux tenants de la ligne dure en contrebalançant la promotion de démarches axées sur la santé par des mesures plus répressives. »

Selon lui, ce serait manquer une belle occasion que de ne pas appliquer un « cadre multidimensionnel [de réduction] des méfaits » à la chaîne d’approvisionnement de stupéfiants et au crime organisé en général.

On pourrait par exemple ne plus se concentrer autant sur le nombre de personnes arrêtées et sur la quantité de stupéfiants confisquée pour se focaliser davantage sur la diminution des taux d’homicide et sur le soutien de certaines institutions comme les médias indépendants, qui aident les États à résister à la corruption alimentée par l’argent de la drogue.

Quel avenir ?

James Cockayne, directeur de l’UNU, craint que l’avènement de la flexibilité entraîne un morcellement des politiques.

Cela risquerait à terme d’accroître les oppositions et de servir de justification aux États qui ne veulent pas respecter les droits de l’homme pour les ignorer en réprimant les stupéfiants.

M. Cockayne signale également la difficulté de mener à bien un système de santé mondial lorsque les politiques nationales concernant les consommateurs de drogues par intraveineuse diffèrent autant, pour ne citer qu’un exemple. Comme d’autres, il est d’avis que l’entrée de la Californie, la cinquième plus grande économie mondiale, dans l’industrie du cannabis légalisé pourrait changer la donne, mais qu’il est impossible de prédire comment.

Le rapport de l’UNU recommande la tenue d’un nouveau débat sur la politique antidrogue en dehors de la Commission des stupéfiants, « que de trop nombreux pays considèrent comme non représentative et attachée à un discours de lutte contre la drogue qui ne parvient pas à assurer une cohérence avec les autres objets de politique publique des Nations Unies comme la promotion de la paix et de la sécurité, le développement et les droits de l’homme. »

Selon ce rapport, une nouvelle instance devrait être temporairement mise en place pour favoriser la mise en œuvre d’une « politique mondiale de lutte contre la drogue plus cohérente » d’ici 2019.

Il est bon de noter que de nombreux changements non négligeables sont en cours. Même si le terme de « réduction des méfaits » reste imprononçable pour de nombreux États et n’apparaîtra pas dans le document de l’UNGASS, ses principes sont de plus en plus largement acceptés, disent les experts.

Tout comme les cibles intersectorielles des ODD rassemblent tous les États membres et toutes les couches de la société, la politique antidrogue attire elle aussi un large éventail d’acteurs — des associations de la société civile, qui gagnent en influence dans le débat mondial, aux nombreuses agences des Nations Unies qui se joignent aux discussions, comme le PNUD, ONUSIDA, l’Organisation mondiale de la Santé, le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et ONU-Femmes.

pg/oa/ag-xq/amz 

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