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Changement climatique et conflit : une relation compliquée

Parched earth following a drought in northern Afghanistan. The region has been hit by increasingly unpredictable weather, with most experts agreeing it is an effect of climate change. Joe Dyke/IRIN
Les scientifiques n’entrevoient peut-être pas une « guerre de l’eau » à la Mad Max, toujours est-il qu’ils observent d’étroites relations entre conflit et changement climatique.

La question de savoir si les changements spectaculaires affectant les régimes climatiques peuvent être moteur de conflit est objet de débat depuis de longues années. La chute de l’Empire khmer, au XVe siècle, a-t-elle été précipitée par une série de sécheresses, par exemple ? Et le petit âge glaciaire du milieu du XVIIe siècle est-il l’une des principales raisons à l’origine des guerres ayant secoué l’Europe, la Chine et l’Empire ottoman ? 

Mais les forces complexes régissant le monde d’aujourd’hui excluent tout parallèle ou toute hypothèse simpliste – et à plus forte raison les prédictions concernant l’avenir. Nombre de scientifiques appellent à la prudence, en affirmant qu’une hausse notable des températures terrestres ou qu’un phénomène climatique catastrophique pourrait faire pencher la balance de manière imprévisible. Le cinquième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) affirme que la crainte que le changement climatique accroisse les risques de conflits armés dans certaines situations est « un sujet de préoccupation commune légitime », bien que « la force de l’effet soit incertaine ». 

À l’heure actuelle, la plupart des études considèrent davantage le changement climatique comme un multiplicateur des menaces que comme une cause directe - un facteur parmi tant d’autres facteurs interconnectés alimentant le conflit, tels que la pauvreté, l’exclusion de certains groupes ethniques, la mauvaise gestion des gouvernements, l’instabilité politique et la fracture sociale.

« Il nous manque la dernière pièce du puzzle permettant d’affirmer que le changement climatique est moteur de conflit, mais nous savons qu’il existe un lien entre ces variables », a dit Koko Warner de l’Institut pour l’environnement et la sécurité humaine de l’Université des Nations Unies (UNU). « On ne voit pas d’individus prendre les armes parce qu’ils manquent d’eau potable ou parce que la montée du niveau des mers déplace les populations les unes vers les autres. »

Nouvelles tensions

Il est évident que le changement climatique donne lieu à de nouvelles tensions entre pays, avec la raréfaction de ressources vitales comme l’eau dans les bassins hydrographiques transfrontaliers, ou avec l’apparition de nouvelles opportunités d’exploration et de développement dans des régions autrefois recouvertes par la glace comme l’Arctique. Les scientifiques soulignent toutefois que les tensions liées à l’eau se sont jusqu’à présent davantage soldées par des accords que par des conflits. 

Mais dans son rapport sur les tendances mondiales à l’horizon 2030, la communauté du renseignement des États-Unis lance un avertissement : « Le fait que de nombreux bassins hydrographiques soient partagés dans les régions les plus durement frappées par le stress hydrique signifie que l’on ne peut pas exclure l’éventualité de conflits interétatiques – en particulier à la lumière des autres tensions durables existant entre bon nombre de ces pays ». 

Ces régions caractérisées par un stress hydrique particulièrement aigu – l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient, l’Asie centrale et du Sud et le nord de la Chine – sont également celles qui affichent la plus forte croissance démographique, ce qui ne fait qu’accentuer la pression sur les ressources.

L’UNU a mené un vaste projet de recherche sur le thème du changement climatique, des hydro-conflits et de la sécurité humaine (CLICO), dont l’objet était d’étudier les interrelations entre changement climatique, hydrologie, conflit et sécurité par l’observation de 11 cas en Méditerranée, au Moyen-Orient et dans le Sahel. Ses travaux n’ont pas permis d’affirmer que le changement climatique était « une source importante de violence et d’insécurité », que ce soit entre pays ou à l’intérieur de ces derniers. En revanche, l’étude a révélé que la manière dont les États réagissent au changement climatique pouvait créer ou exacerber le conflit d’une part ; et que la violence accentuait la vulnérabilité des populations vis-à-vis des aléas climatiques d’autre part.

D’après Julia Kloos, chercheuse pour le projet CLICO, il faut se garder de faire des déclarations génériques ou d’établir des liens simplistes entre changement climatique et conflit, car chaque situation est différente. « Nous devons nous y intéresser au cas par cas. »

L’adaptation des États au changement climatique - appelée « adaptation divergente - a souvent un impact négatif sur les populations vulnérables, a-t-elle dit. Au Niger, par exemple, la sécheresse, les inondations et la hausse des températures ont poussé les agriculteurs à s’accrocher (parfois violemment) à la terre et à l’eau d’une façon qui menace les moyens de subsistance des éleveurs nomades. Des conflits liés à l’eau ont également éclaté au Kenya et en Éthiopie, affectant les populations les plus marginalisées.


De la sécheresse à la guerre ?

Une étude récente faisant le rapprochement entre la guerre en Syrie et la sécheresse ayant frappé la région il y a quelques années décrit la sécheresse – et sa mauvaise gestion par le gouvernement – comme le catalyseur des soulèvements ayant conduit à la guerre civile.

Quant à savoir si le conflit israélo-palestinien s’envenimera ou s’apaisera avec l’amenuisement des ressources partagées en eau, la question est tendancieuse. Le changement climatique menace l’approvisionnement en eau dans le bassin du Jourdain partagé par Israël, la Cisjordanie et certaines régions du Liban, de la Syrie et de la Jordanie. En dépit de l’escalade du conflit dans la région, le projet de dessalement des eaux mené par Israël offre une perspective de paix et de coopération.

D’après le rapport du GIEC, la probabilité qu’éclate un conflit lié au changement climatique est plus forte là où les États sont faibles, où les droits fonciers sont contestés et où un groupe en domine un autre. Ainsi, l’adaptation au changement climatique a plus de chances de provoquer un conflit au Soudan du Sud que dans un pays comme l’Italie, par exemple, souligne Mme Kloos.

Mais les mesures proactives prises par les États – défricher des forêts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ou les couper pour produire des biocarburants, construire des exploitations hydroélectriques pour s’approvisionner en énergies renouvelables – peuvent créer des conflits et aggraver des conflits existants en arrachant des populations à leurs terres et en leur confisquant leurs moyens de subsistance.

« Nous savons l’impact que le changement climatique a sur les populations les plus vulnérables, et c’est un motif de préoccupation. Lorsque certaines personnes sont systématiquement tenues à l’écart des prises de décision, la situation peut dégénérer en conflit », a dit Mme Warner. Il a été démontré que les rapports sociaux sont indispensables à la survie, a-t-elle ajouté. Lorsque la sécheresse a menacé certaines communautés en Inde, les gens ont commencé par s’unir. Mais lorsque la sécheresse est devenue extrême, ils se sont mis à faire des réserves de nourriture. « Le conflit éclate lorsque les gens ne coopèrent pas et que toutes les stratégies de gestion du risque s’effondrent en très peu de temps. »

Migrations forcées

Le conflit sous ses différentes formes est également plus probable lorsque le changement climatique contraint des populations à migrer, et qu’il n’existe pas d’institutions viables pour gérer leur réinstallation et leur intégration, affirme le rapport du GIEC.

D’après l’initiative Nansen, les inondations, les tremblements de terre, la sécheresse et la montée du niveau des mers ont poussé 184 millions de personnes à abandonner leur foyer entre 2008 et 2014. « Selon certaines projections, une élévation d’un mètre du niveau des mers pourrait contraindre 150 millions de personnes au déplacement - à moins que la construction de barrages et de digues ou d’autres mesures analogues ne soit entreprises pour protéger les régions vulnérables. »

Mais l’envoyé de l’initiative Nansen, Walter Kaelin, a dit à IRIN : « il convient de faire preuve d’une grande prudence lorsque l’on prétend que le réchauffement climatique pourrait être est source de conflit à lui seul. Il existe de très nombreuses régions affectées par le réchauffement climatique où aucun conflit n’est à déplorer. Nous avons besoin d’autres éléments ».

Toutefois, M. Kaelin souligne qu’il existe des études établissant un lien entre la sécheresse et la prolifération d’armes de petit calibre dans la corne de l’Afrique. « Le conflit peut exacerber les crises humanitaires engendrées par des aléas naturels, de même que les migrations transfrontalières », a-t-il dit en soulignant que les réfugiés du camp de Dadaab, au Kenya, avaient davantage fui la Somalie en raison de la sécheresse et de la famine que du conflit. Cependant, ils ont fui parce que le conflit agitant leur pays empêchait l’aide humanitaire de les atteindre.

Des objectifs lacunaires


L’inititiave Nansen a souligné qu’à moins de deux mois de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques qui se tiendra à Paris, « la dernière version du projet d’accord sur le climat ne comporte toujours aucune référence aux déplacements liés aux phénomènes climatiques ». Alors que l’objectif de développement durable (ODD) numéro 13 prône l’adoption de mesures urgentes pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions, et que le mot d’ordre des ODD est de « ne laisser personne derrière », il n’existe pour l’heure pas le moindre plan d’action relatif à la protection des populations les plus vulnérables contre les ravages attendus du changement climatique dans les 20 années à venir.

Les États insulaires du Pacifique Sud sont comparés à « un canari dans une mine de charbon » pour ce qui est de la montée du niveau des mers et autres menaces climatiques (telles que les marées de tempête, l’acidification des océans et l’intensification des ouragans et des cyclones) qui menacent la vie et les moyens de subsistance d’environ 500 000 personnes sur ces îles côtières de très faible altitude.

Une étude récente, conduite par l’UNU dans la région, a révélé que certaines de ces personnes migraient – essentiellement vers Fiji – en raison de la dégradation du niveau de vie. Les personnes interrogées n’ont associé que 17 pour cent de leurs raisons de migrer au changement climatique.
Cependant, l’étude semble aller dans le sens d’un « conflit possible entre les migrants et les communautés d’accueil » dans le futur, et préconise des recherches plus approfondies sur le lien entre « conflit et migration dans le Pacifique ». La secrétaire générale du Forum des îles du Pacifique, Meg Taylor, s’est elle aussi récemment entretenue avec le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, au sujet du risque de conflit associé aux déplacements de populations sous l’effet du changement climatique. 

D’après Cosmin Corendea, un ancien chercheur de l’UNU ayant collaboré au projet, les populations s’adaptent au changement climatique lorsqu’il se manifeste sous forme de lente progression, car elles pensent pouvoir y faire face. « Les personnes qui en ont les moyens choisissent de migrer en premier ; d’autres se promettent de mourir sur leurs terres. On ne sait jamais quelle va être la réaction des populations. Elles apprennent à vivre avec toutes sortes de menaces ». Cela ne diminue pas l’urgence des menaces liées au changement climatique, a-t-il ajouté : des conflits pourraient éclater entre pays concernant l’accueil des migrants. Et s’il est estimé que les migrants ne contribuent pas au développement de leur pays d’accueil, des tensions pourraient couver en interne.

Le lien entre conflit et changement climatique n’est mentionné nulle part dans le projet de texte de l’accord sur le climat, à l’approche de la conférence de Paris. M. Corendea a dit que les décideurs politiques ont tendance à ne pas s’emparer de problèmes n’existant pas encore ou ne réclamant pas d’intervention internationale. « Nous n’y sommes pas encore », a-t-il dit, en ajoutant : « Cependant, cela ne veut pas dire que nous ne devrions pas considérer le conflit comme une issue possible si nous n’abordons pas le changement climatique comme il le faudrait. »

pg/ag/am-xq/amz 
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