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La migration illégale menace le régime d'asile européen

Refugees and migrants, packed aboard a fishing boat in the hope of reaching Europe. They were rescued by the Italian Navy as part of their Mare Nostrum operation in June 2014. Massimo Sestini/The Italian Coastguard
Christopher Horwood, fondateur et coordonnateur du Secrétariat régional sur la migration mixte (Regional Mixed Migration Secretariat, RMMS), basé à Nairobi, au Kenya, a travaillé dans les secteurs de l'aide humanitaire et du développement pendant plus de 30 ans. Dans une nouvelle chronique, il appelle les dirigeants de l'Union européenne à repenser leur approche contradictoire en matière de migration illégale.

L'Europe s'habitue à voir des images étonnantes et choquantes : les corps de dizaines de migrants africains échoués sur des plages touristiques ; les milliers de migrants secourus en mer par les navires de la Marine italienne et les navires marchands, et débarqués dans les ports chaque week-end ; les petites îles grecques qui reçoivent un flot ininterrompu de réfugiés syriens.

Le débat sur la migration et l'asile est un débat urgent, nécessaire et très épineux. Il est de plus en plus politisé, confus et pétri de contradictions qui sont au cœur de l'identité libérale européenne.

L'empressement à sauver les migrants d'une mort probable en mer Méditerranée est louable et il constituait une réponse à l'augmentation du nombre de victimes qui se multipliait depuis 18 mois, mais on peut penser que la présence renforcée des navires de sauvetage va encourager les migrants à tenter la traversée.

Les membres de l'Union européenne ont convenu du lancement d'une opération navale afin de s'attaquer aux passeurs par la force, mais ses navires et tous les autres bateaux opérant dans les eaux de la Méditerranée sont tenus de porter assistance aux migrants et de les débarquer en un lieu sûr, si et quand cela est nécessaire.

L'ironie des images télévisées de navires de l'Union européenne débarquant des migrants sur les côtes italiennes, pendant que les décideurs réclament à cor et à cris des mesures pour enrayer la migration clandestine n'a pas pu échapper aux passeurs, au grand public et aux migrants eux-mêmes. Une fois qu'ils arrivent en Europe, et même s'ils n'obtiennent pas le statut de réfugiés, ils ne sont que 40 pour cent environ à être expulsés. En termes d'analyse des risques pris par les migrants, les probabilités sont bonnes. Si les probabilités restent inchangées, le flot de migrants ne tarira pas.

Ainsi, l'Europe libérale s'est empêtrée dans un sac de nœuds pour de bonnes raisons, souvent charitables et liées au droit. Ce sont ces nœuds qui empêche l'expression d'un débat honnête. Aujourd'hui, plus que jamais, nous devons considérer les phénomènes des mouvements irréguliers et de la migration mixte dans une perspective plus large et à plus long terme.

Un cocktail explosif de causes profondes

Par accident ou à des fins de manipulation, les commentateurs, les représentants politiques et autres acteurs qui devraient faire preuve de plus de discernement donnent une image trompeuse des migrants qui tentent la traversée pour entrer en Europe. Souvent, on nous laisse entendre que tous les migrants sont originaires de pays pauvres et ravagés par la guerre, qu'ils sont les victimes d'États prédateurs ou de dictateurs ; chassés par des bandits, ils sont ensuite exploités par des truands pendant le périple éprouvant qui les mène aux portes de l'Europe.
  
De nombreux termes sont utilisés pour décrire les nouveaux arrivants : ils sont les victimes de la traite des êtres humains ou de l'exploitation, ils subissent la loi des passeurs, ils sont des criminels, des clandestins ou des demandeurs d'emplois.

En réalité, on distingue seulement deux catégories de migrants : les demandeurs d'asile et les autres migrants (principalement des migrants économiques). Tous ces migrants arrivent de manière irrégulière (ou illégale, d'après les gouvernements) et ils feront l'objet de mesures de retour, s'ils ne remplissent pas les conditions requises pour prétendre au statut de demandeur d'asile ou au statut de réfugié.

Les niveaux de migration actuels sont le fruit de plusieurs tendances lourdes : les mutations démographiques (comme le vieillissement de la population et la demande de main d’œuvre dans le Nord) ; l'impact du changement climatique, l'inégalité mondiale, la mauvaise gouvernance et la pauvreté endémique dans les pays en développement ; les conflits prolongés dans certaines régions ; les politiques migratoires et d'asile obscures et souvent contradictoires dans les pays de destination.
  
La mobilité actuelle est également soutenue et favorisée par des niveaux de connectivité jamais atteints jusqu'à présent – notamment avec les courriels et les médias sociaux – et par la proximité virtuelle d'une vie meilleure, et en apparence accessible. Nous ne pouvons pas mesurer la force des aspirations, des rêves et de l'aventurisme des jeunes enfermés dans un régime politique restrictif et un marasme socio-économique, mais nous ne devons pas les sous-estimer.

Certains éléments suggèrent que la migration augmente à mesure que les pays s'enrichissent et que les populations deviennent plus instruites. Alors que les lions de l'économie africaine se développent dans le cadre de ce que l'on appelle la Renaissance africaine, il faut s'attendre à une augmentation de la migration, car un nombre croissant de personnes ont désormais les moyens nécessaires pour partir.

Ajoutez à cela la croissance des opportunités criminelles avec le trafic des êtres humains et les niveaux élevés d'impunité, de corruption officielle et de collusion. Vous obtenez les « causes profondes » des migrations dans les pays d'origine et ce ne sont pas des vœux pieux qui permettront de les « résoudre » dans un avenir proche.

Toutes ces tendances convergent et créent « un cocktail explosif » – un point de bascule. Aujourd'hui, nous en voyons les résultats. Si des mesures strictes ne sont pas prises, la situation ne changera pas et les conséquences seront désastreuses.

Le régime d'asile menacé

La convergence des différents flux de migrants en un flot non réglementé risque de nuire au régime international des réfugiés. En Grèce, en Italie, en Bulgarie ou en Hongrie, des fonctionnaires indifférents ou surchargés laissent les migrants illégaux, notamment les demandeurs d'asile, reprendre leur route vers le nord de l'Europe. Lorsque les migrants arrivent en grand nombre dans les villes et municipalités européennes, l'opinion publique peut changer de camp, et les réfugiés et les demandeurs d'asile sont bientôt aussi mal reçus que les autres migrants. Certaines personnes disent que c'est déjà le cas, car le nombre de places de réinstallation prévues pour l'accueil des réfugiés a à peine augmenté malgré les besoins croissants.

La médiatisation de la situation des Érythréens et des Éthiopiens de Calais, qui se battent pour monter dans les conteneurs et les ferries allant vers le Royaume-Uni – tout en refusant l'asile offert par d'autres pays européens – cela jette un doute sur la sincérité de leur demande d'asile, même si le Royaume-Uni accueillait plus facilement des migrants de certaines nationalités que d'autres pays. On ne devrait pas condamner les demandeurs d'asile parce qu'ils préfèrent demander refuge dans tel ou tel pays, mais le droit européen doit être respecté et il faut mettre de l'ordre dans le chaos qui règne actuellement dans des villes comme Calais avant qu'il ne devienne incontrôlable.

Un pari qui vaut la peine d'être tenté

La « crise » migratoire en Europe est de plus en plus marquée par l'anarchie ; les extorqueurs et les passeurs afghans et syriens s'en prennent à leurs compatriotes dans les Balkans , et les passeurs libyens menacent avec leurs armes les agents de Frontex qui tentent de saisir les embarcations utilisées pour faire traverser la Méditerranée à de nouveaux migrants. Un article paru dans le magazine Newsweek au mois de juin affirme que le mafia est fortement impliquée dans un racket qui vise le fonctionnement des centres d'accueil qui hébergent des dizaines de milliers de migrants en Italie.

Les migrants se déplacent souvent en groupes – ils abattent des clôtures, pénètrent dans des enceintes privées et publiques, ignorent les règles qui régissent l'immigration et refusent de coopérer avec les autorités. Dans ce scénario digne de « l'ouest sauvage », le fait que les autorités ne veuillent pas ou ne soient pas en mesure de les retenir encourage les migrants qui espèrent que leur pari risqué finira par payer.

Dans le débat émotionnel et polarisé sur la migration, certains se concentrent uniquement sur la vulnérabilité et les besoins de protection des migrants, en citant leurs actions désespérées comme autant de preuves de leurs besoins désespérés. D'autres parlent de l'illégalité de leurs activités et du fait qu'ils ne sont pas désirés en Europe. Face à la montée des extrémismes et aux menaces d'attentats, les agences de renseignement s'inquiètent des problèmes de sécurité engendrés par l'afflux de migrants sans papier et cela ne peut pas être ignoré. Les dirigeants politiques, quant à eux, écoutent leurs électeurs tout en essayant (parfois sans vraiment faire d'efforts) de respecter la législation sur les réfugiés et la migration. Les pays veulent présenter une image de compassion, mais face aux développement chaotiques, il est évident que les tendances alarmantes ne peuvent se poursuive indéfiniment.

Besoin urgent de nouvelles politiques

Si l'UE parle beaucoup de coopération et d'unité, bon nombre de pays sont plus que ravis de laisser à leurs voisins le soin de régler le problème des migrants. L'Italie et la Grèce ne font pas preuve de sérieux en ce qui concerne le relevé des empreintes digitales des nouveaux arrivants (prévu par un Règlement de Dublin, voué à l'échec) ou le placement en détention des migrants sans papier. Les responsables ferment les yeux pendant que des milliers de migrants quittent les centres d'hébergement et se dirigent vers les frontières du Nord. La France, quant à elle, n'empêche pas vraiment les migrants de Calais d'essayer de monter dans les camions et les bateaux qui partent pour le Royaume-Uni.

Certains considèrent que la migration est un droit inviolable, mais les pays ont aussi le droit souverain de contrôler leurs frontières – un droit exercé par les pays du Sud comme du Nord. La migration, tout comme la pauvreté et le conflit, est l'un des méta-récits qui caractérisent l'histoire sociale de l'humanité, mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas la dompter, la contrôler ou la réguler. Les flots croissants de migrants clandestins qui arrivent en Europe ne sont pas inévitables ou inarrêtables. La volonté politique permettrait de parvenir à une solution, même si cela nécessite une révision des conventions, des politiques et des accords sur l'asile et la migration de travail.

Si une culture de la migration s'est installée dans certains pays d'Afrique subsaharienne, le fait de diaboliser les passeurs, qui seraient les principaux responsables de la migration, n'est qu'une habile diversion. Les passeurs répondent à la demande plus qu'ils ne la créent. De même, le fait de donner un accès aux migrants et aux demandeurs d'asile qui prennent le risque de venir en Europe n'est pas une réponse juste ou équitable dans un cadre restrictif qui interdit la migration illégale et limite l'entrée légale. Qu'en est-il des personnes qui ont des besoins identiques et qui ne peuvent pas arriver jusqu'aux frontières de l'Europe ?

Il faut à tout prix éviter les approches partisanes et avoir une pensée claire pour élaborer des politiques qui permettent de réguler les flux de migrants de manière durable, dans le respect des droits des citoyens européens et des migrants, et de la tradition libérale de l’État de droit sur laquelle l'Union européenne s'est construite.

ch/ks/ag-mg/amz 
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