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Contrer le discours de l’État islamique

A screenshot of a video produced by the so-called Islamic State (IS) claiming to show members of the militant group distributing meat to Iraqis on the occasion of Eid Al Ahda, a Muslim holiday. IS video
Une capture d’écran d’une vidéo de l’État islamique, prétendant montrer ses combattants en train de distribuer de la viande.
Alors que l’État islamique (EI) autoproclamé - également connu sous le nom d’État islamique en Irak et au levant (EIIL) ou État islamique en Irak et al-Sham (EIIS) – gagne du terrain, son succès est en partie dû à sa maîtrise de la communication sur Internet, avec une propagande sophistiquée qui l’aide à s’attirer des légions de sympathisants à travers le monde. L’EIIL est en train de remporter la guerre de la communication.

Et si ces mêmes outils étaient déployés pour raconter une contre-histoire saisissante, par exemple pour dévoiler au grand jour l’impact humanitaire dévastateur de la campagne islamiste sur les femmes et les enfants d’Irak et de Syrie ?

C’est exactement ce que se propose de faire le Centre Sawab, inauguré conjointement par les États-Unis et les Émirats arabes unis mercredi. Mais une institution financée par des États, au personnel rémunéré, fait-elle le poids dans cette guerre idéologique, avec le soutien fervent et spontané dont l’EIIL bénéficie aujourd’hui ?

L’ancien coordinateur de la cellule antiterroriste du Département d’État américain, Alberto Fernandez, a dit à IRIN que le centre d’Abu Dhabi n’était que le premier d’une série d’entités régionales requises à travers le monde pour combattre l’EIIL sur les ondes et les médias sociaux.

« Nous avons besoin de points d’action multiples contre la menace de Daech (EIIL) », a dit M. Fernandez, dont l’ancien service – le Centre de communications stratégiques contre le terrorisme (CSCC) – est à l’origine de cette nouvelle approche.

« L’idée n’est pas d’avoir un centre unique, mais de multiplier les axes d’effort dans l’espace médiatique pour communiquer contre l’EIIL. Le centre d’Abu Dhabi est le premier du genre. Il est à l’avant-garde, peut-on espérer, de nombreux efforts à venir. »

Apprendre des maîtres

La vague coalition des pays opposés à l’EIIL à travers le monde a du pain sur la planche, si elle souhaite regagner du terrain sur les médias sociaux face aux islamistes.

La propagande de l’EIIL s’est développée d’elle-même, par le biais de milliers de comptes qui - pour l’essentiel en tout cas – relaient l’appel sans recevoir de contrepartie financière ni même d’instructions.

« L’EIIL n’a pas de communicants officiels tweetant en son nom », a dit à IRIN Charlie Winter, l’auteur d’une étude sur le sujet publiée la semaine dernière pour le centre de réflexion britannique Quilliam Foundation. « Les sympathisants de l’EIIL s’en chargent, sans avoir été recrutés pour. »

Pour contrer cet élan – qui, selon M. Winter, émane d’entre 45 000 et 90 000 comptes de médias sociaux – la coalition « devra mettre les bouchées doubles » avec son propre système de communication, a-t-il dit.

Le pouvoir d’attraction de l’EIIL dépasse l’image violente relayée par les médias.

En analysant quantité de messages de propagande, M. Winter a découvert que la plupart étaient en réalité axés autour de thèmes plus sensibles comme la compassion, le sentiment d’appartenance et l’utopisme. Cette communication plus nuancée – lorsqu’elle s’adresse à des recrues et des sympathisants potentiels – peut être un levier puissant, en particulier auprès des communautés ayant le sentiment d’être laissées pour compte.

Jusqu’à présent, la réponse de la coalition a été de dire que la vie dans les territoires sous contrôle de l’EIIL est bien plus sombre et terrifiante que celle dépeinte en rose par les islamistes. Mais ce genre de message négatif n’est peut-être pas le bon pour gagner les cœurs et les esprits.

« C’est facile de dénoncer l’atrocité de quelque chose, mais ce n’est que le début d’une conversation », a dit M. Fernandez. « Ce n’est pas suffisant de dire "ne fais pas ça". Il faut dire "fais plutôt ça à la place", et la coalition n’est pas encore au point sur ce dernier aspect. »

Dans de nombreuses régions de Syrie, par exemple, l’EIIL est devenue l’unique alternative au gouvernement, qui s’est rendu coupable d’innombrables atrocités envers les civils, a-t-il dit.

Logiquement, les Syriens réagissent à la propagande de la coalition en disant : « OK, l’EIIL c’est mal, mais Assad est encore pire, et vous ne faites rien contre ça », a dit M. Fernandez.

L’EIIL a également l’avantage d’être bien plus réactif que la coalition, composée de 60 États - chacun avec son propre gouvernement et sa bureaucratie. Les pays de la coalition ont créé individuellement leurs propres centres de communication antiterroriste, comme le CSCC aux États-Unis, mais leurs expériences et leurs ressources n’ont pas été mises en commun à ce jour.

Une nouvelle approche

Analystes et responsables politiques espèrent qu’en tant que premier centre, le Centre Sawab changera la donne. Ils estiment qu’une approche créative et ascendante peut être efficace, surtout si des centres analogues ouvrent dans les prochains mois.

Le Centre Sawab a été inauguré conjointement par le ministre émirati des Affaires étrangères, Anwar bin Mohammed Gargash, et le secrétaire d'État adjoint américain chargé de la diplomatie publique, Richard Stengel.

Le centre emploiera des ressortissants des États-Unis, des Émirats arabes unis et d’autres membres de la coalition, et sera actif 24h/24. Sa principale mission sera d’analyser, puis de contrer les messages utilisés par l’EIIL « pour recruter des combattants étrangers, lever des fonds pour ses activités illicites, et intimider et terroriser les populations locales », d’après un communiqué du Département d’État américain daté de mercredi.

« Le centre lancera une nouvelle communauté en ligne qui offrira aux habitants de la région et du monde entier l’opportunité de lire et de partager nos propres contenus - textes, graphiques, clips vidéo et animations – qui démontent la propagande grotesque de l’EIIL », ont écrit MM. Stengel et Gargash dans un article conjoint publié jeudi dans The National.

Cette nouvelle stratégie axée sur des centres voit le jour dans un contexte de scepticisme quant à la capacité de la coalition à contrer la propagande de l’EIIL.

« Notre discours est éclipsé par celui de L’EIIL », a carrément déclaré M. Stengel au Secrétaire d’État américain, John Kerry, dans une note du 9 juin divulguée dans le New York Times.

Pour réussir, il se pourrait qu’il faille réinventer certaines des tactiques dont l’EIIL a su tirer profit, estiment les analystes. Par exemple, la coalition devrait peut-être essayer de s’attirer quelques sympathisants elle aussi – des personnes que la cause tient tellement à cœur qu’elles en deviennent des défenseurs non officiels. Cela demande de la créativité, et de laisser les médias sociaux faire leur travail. « Le centre échouera si tout est complètement écrit d’avance, complètement contrôlé, complètement artificiel », a dit M. Fernandez. « Il faut laisser de la place à la spontanéité, pour vivre les choses et les comprendre de manière naturelle. »

D’après les experts de la lutte antiterroriste, un message émouvant et nuancé serait le plus à même de fonctionner.

« L’EIIL a une excellente capacité à simplifier les choses de façon binaire, blanc et noir. Ce qu’offre l’EIIL, ce sont des réponses simples à toutes vos questions », a dit J. M. Berger, un expert en terrorisme, à un petit groupe de journalistes – dont IRIN – le mois dernier à Doha. « Plus vous les encouragerez à voir le monde comme un endroit complexe, mieux ce sera. »

Communiquer sur la souffrance humanitaire pourrait être un bon moyen de faire en sorte que les combattants et les sympathisants réfléchissent à deux fois à la noblesse de leur cause.

Quelque 4,4 millions d’Irakiens ont besoin d’une aide alimentaire, ont rapporté les Nations Unies dans leur évaluation la plus récente – un indicateur de la souffrance occasionnée par la progression de l’EIIL.

Cette année, le groupe a fait près de 1 000 victimes civiles dont 59 enfants en Syrie, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme. Et élément crucial pour la campagne de communication, bon nombre de ces victimes étaient des musulmans sunnites - le groupe même que l’EIIL prétend représenter.

M. Winter est convaincu que les choses avancent dans la bonne direction, enfin. « On observe dernièrement une volonté signifiante de faire bouger les choses et de s’adapter à la situation » au sein de la coalition, a-t-il dit. « Même si la communication n’est pas efficace tout de suite, je crois qu’il y a une prise de conscience grandissante qui est absolument cruciale. »

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