La Conférence mondiale sur la réduction des risques de catastrophe a convenu d’un cadre d’action pour les 15 prochaines années privilégiant sept objectifs généraux, dont « une réduction substantielle de la mortalité mondiale liée aux catastrophes, une réduction substantielle du nombre de personnes touchées et une réduction des pertes économiques par rapport au [produit intérieur brut] mondial ». Les objectifs chiffrés ont cependant été évités et le plan ne présente pas d’engagements financiers concrets, contrairement à ce qu’espéraient les militants.
« Les gouvernements ont une fois de plus abandonné à leur sort les populations les plus pauvres du monde, qui sont les plus vulnérables face aux catastrophes naturelles, » a dénoncé l’ONG Oxfam. « À Sendaï, les négociateurs étaient censés se mettre d’accord sur un nouveau plan courageux et nécessaire pour renforcer la résilience des pays face à des évènements tels que le cyclone Pam, qui vient de balayer le Vanuatu, l’un de nos pays les moins développés. À la place, ils ont adopté une série de demi-mesures qui ne seront pas à la hauteur des risques de catastrophes qui se multiplient à toute vitesse dans le monde entier. »
Tout en saluant l’importance accordée dans l’accord aux femmes, aux enfants, aux personnes âgées et aux handicapés, « qui sont particulièrement vulnérables face aux catastrophes », Oxfam a averti que « l’incapacité de la communauté internationale à s’engager concrètement pour financer la réduction des risques de catastrophe menace d’entamer son ambitieux programme de lutte contre la pauvreté et augmente la pression sur les gouvernements pour que ces derniers prennent des mesures audacieuses lors de conférences internationales sur les objectifs de développement durable ayant plus de retentissement et pour mettre au point un nouvel accord mondial ambitieux sur le changement climatique plus tard cette année ».
Organisée par le Bureau des Nations Unies pour la réduction des risques de catastrophe (UNISDR), la conférence de Sendaï a réuni pendant cinq jours 187 représentants de gouvernements dans l’objectif de préparer le terrain pour deux conférences mondiales à venir. « Elles sont interconnectées, c’était l’occasion de partir du bon pied », a dit à IRIN Scott Paul, conseiller principal en politique humanitaire d’Oxfam. « Pour nous, les objectifs étaient une mise à l’épreuve obligeant les gouvernements à rendre des comptes. »
Bien que les militants pour la lutte contre la pauvreté soient déçus par l’issue de la conférence de Sendaï, cette dernière a propulsé le concept de réduction des risques de catastrophe en haut de la liste des grandes idées actuelles du milieu de l’aide mondiale. IRIN s’est donc penché sur ce qu’il signifie, au cas où ce terme ne vous serait pas encore familier.
Un nouveau terme à la mode ?
La réduction des risques de catastrophe n’est pas un terme nouveau. Il est apparu à la fin des années 1970, quand la compréhension des causes des catastrophes et des techniques d’atténuation des risques a commencé à s’améliorer. La réduction des risques de catastrophe a pour objectif de réduire les dommages causés par les aléas naturels grâce à la prévention, à la préparation et à l’atténuation des effets. Elle cherche en outre à créer un lien entre les interventions humanitaires et le développement durable. Le changement climatique et les réflexions relatives à la résilience ont donné un nouvel élan à la réduction des risques de catastrophe, inscrite dans le Cadre d’action de Hyogo pour 2005-2015, remplacé par celui de Sendaï.
La réduction des risques de catastrophe est « une façon de penser, une cause importante, mais ce n’est pas un bon outil d’analyse », a dit à IRIN Simon Levine, du groupe de réflexion britannique Overseas Development Institute (ODI). « Je ne suis pas sûr de ce que les évènements de Sendaï et le processus de Hyogo ont à voir avec le monde réel. En même temps, nous disons que nous voulons de meilleures innovations, de meilleurs entrepreneurs – [mais cela implique de prendre des risques, ce qui est quelque peu] contradictoire. »
Présenté comme une solution économique
La logique de la réduction des risques de catastrophe est souvent réduite à un calcul économique. Le nombre de catastrophes dans le monde est en augmentation, tout comme les coûts pour y faire face. Si la prévention permet de réduire ces coûts de manière significative et puisque l’aide au développement ralentit, il est logique d’investir dans la réduction des dommages.
Aussi prudent que cela puisse paraître, les dépenses dans la réduction des risques de catastrophe ne représentent toujours qu’une maigre fraction du financement total de l’aide. En 2010, les missions de maintien de la paix ont englouti 9,5 milliards de dollars, contre seulement 1,1 milliard pour la réduction des risques de catastrophe. Le discours des opportunistes qui n’ont qu’une vision à court terme et qui considèrent que ces fonds sont gaspillés si aucune catastrophe n’a lieu (ou qui font ce pari et ne dépensent pas ces fonds) est bancal, selon le Dispositif mondial de réduction des effets des catastrophes et de relèvement, un partenariat international dirigé par la Banque mondiale pour aider les pays en développement à atténuer leur vulnérabilité face aux aléas naturels. Investir dans des infrastructures plus résilientes a en effet un coût, mais aussi des bénéfices pour le développement, même en l’absence de catastrophe. Et s’il est difficile de prouver le nombre de vies sauvées par la réduction des risques de catastrophe, la baisse du nombre de morts par cyclone au Bangladesh ces dernières dizaines d’années semblent être la preuve du succès d’un programme de construction d’abris, d’amélioration des prévisions et d’alerte précoce, dont la valeur n’est pourtant pas mesurable.
Qui bénéficie de financements pour la réduction des risques ?
Les plus grands bénéficiaires, à savoir la Chine, l’Indonésie et le Bangladesh, sont ceux qui ont l’indice de risque de mortalité le plus élevé. Cette mesure a été mise au point par l’UNISDR pour modéliser les dangers naturels, mais il n’inclut pas le risque de sécheresse, qui touche particulièrement les pays les moins développés. L’ODI a souligné que la Somalie, l’Érythrée et Djibouti, trois pays sujets aux sécheresses, recevaient très peu de fonds dans le cadre de la réduction des risques de catastrophe.
Il existe plusieurs sources de financement : les fonds nationaux ou les emprunts internationaux, généralement utilisés pour les actions d’alerte précoce et de préparation ; les partenariats public/privé pour les infrastructures ; et les assurances, passant par divers instruments comme les marchés obligataires et les fonds souverains. Mais selon l’ODI, ces mécanismes sont complexes et difficiles à suivre. M. Paul, d’Oxfam, reconnaît que des financements existent pour la réduction des risques de catastrophe, mais ils sont « insuffisants et ne permettent déjà pas de tenir le rythme actuel des risques de catastrophes dans le monde, sans parler de la future hausse du niveau des eaux ».
Déplacés par la sécheresse — Une mère et son enfant en périphérie d’Herat, en Afghanistan
Une question politique
Les publications relatives à la réduction des risques de catastrophe font clairement le lien entre la pauvreté, la vulnérabilité et le risque. Mais « pour les personnes vulnérables, les catastrophes sont souvent la conséquence d’évènements négatifs à long terme », les puissants exerçant leur contrôle pour maintenir un statu quo à leur avantage, selon James Lewis et Ilan Kelman, de l’unité de recherche sur les catastrophes de l’université de Bradford. Ils doutent que la réduction des catastrophes soit possible si leurs origines sociales et politiques sont ignorées.
« Les crises offrent une couverture facile pour permettre aux puissants de faire avancer leurs propres intérêts privés et leurs programmes politiques », a écrit M. Levine dans un article sur la pertinence de la « résilience ».
Les humanitaires sont-ils d’ailleurs les mieux placés pour comprendre ces économies politiques locales ?
Démarche descendant ou soucieuse des populations ?
Le modèle traditionnel de gestion des risques de catastrophe est un système de « commande et de contrôle » descendant qui part du principe que les ressources ne peuvent être déployées de manière efficiente et efficace qu’à travers une organisation et une coordination fermes. Les autorités sont censées détenir les compétences, les connaissances et les capacités pour offrir des services de gestion des urgences aux citoyens dépendants. La communication se fait à sens unique, pour transmettre les informations et les connaissances des experts aux populations. En bref, le public doit faire confiance au jugement des autorités et suivre leurs conseils à la lettre.
Mais les gens ont une relation difficile avec la gestion des risques et, indubitablement, avec leurs élus. Le nombre croissant de militants de la société civile et le développement du multiculturalisme et de l’urbanisation mettent en difficulté ce modèle descendant. Les populations exigent qu’on leur rende des comptes et d’avoir leur mot à dire dans les décisions qui les concernent. Les réseaux sociaux offrent des outils pouvant faciliter la transparence des informations et des actions alternatives au niveau local. Le réseau participatif Ushahidi en est l’exemple le plus souvent cité.
Les approches centrées sur les populations limitent le rôle des autorités et permettent de partager le fardeau de la gestion des risques et des interventions. « Mais on ne sait pas encore vraiment si les acteurs privés veulent être impliqués davantage ni s’ils sont prêts à prendre plus de responsabilités », remarquait un article récent dans l’International Journal of Disaster Risk Reduction. Selon les auteurs, un modèle plus décentralisé nécessite de réunir les bonnes conditions, notamment des ressources financières adaptées et une délégation du pouvoir au niveau local, dans un climat politique qui abandonne « la responsabilité aux citoyens ».
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