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Pourquoi l’aide de la communauté internationale à Haïti doit aussi porter sur la sécurité climatique

‘Il faut donner la priorité à la lutte contre la dégradation de l’environnement et à la gestion de l’impact du changement climatique sur les moyens de subsistance des populations.’

This picture shows four people crossing a flooded street during the passage of Tropical Storm Laura, in Port-au-Prince, Haiti August 23, 2020. They're carrying sacks full of their items. Andres Martinez Casares/Reuters
People cross a flooded street in the capital, Port-au-Prince, after Tropical Storm Laura left 39 Haitians dead or missing in August 2020. Haiti is the most vulnerable country in the region to climate-related disasters.

Il y a quelques semaines, l’ONU a reconnu pour la première fois que le changement climatique avait un impact négatif sur la sécurité alimentaire, la pénurie d’eau et la situation humanitaire en Haïti, aggravant ainsi l’instabilité. Ce constat représente un pas en avant. En effet, au même moment, l’ONU décidait de continuer à apporter son soutien au travail en profondeur qui est accompli dans le pays, et on assiste à un élan général pour qu’une « force multinationale » soit déployée pour endiguer la violence généralisée liée aux gangs. Jusqu’à présent, les interventions internationales se sont limitées aux approches politique et sécuritaire pour traiter les symptômes des maux de Haïti, mais elles se sont abstenues de lutter contre leurs causes.

Or si l’on ne s’attaque pas de manière appropriée aux défis climatiques et environnementaux, la violence, l’exclusion et la pauvreté auxquelles tant de Haïtiens sont confrontés, sont vouées à empirer et à s’enraciner dans le pays. 

A la veille de la conférence internationale sur le climat, la COP28 – la toute première COP à organiser une session consacrée à l’assistance, à la relance et à la paix – il est temps que les donateurs multilatéraux et bilatéraux repensent la finance consacrée au climat afin qu’elle serve enfin les intérêts des populations qui vivent dans des Etats fragiles et en conflit, comme Haïti. 

Haïti est le pays d’Amérique latine et des Caraïbes le plus vulnérable face au changement climatique. La hausse des températures et la baisse des précipitations ont accentué la sécheresse, contribuant à l’insécurité alimentaire qui touche 4,9 millions de Haïtiens, soit près de la moitié de la population. Les orages liés au changement climatique sont aussi de plus en plus intenses, causant des inondations dévastatrices. Ne serait-ce qu’en juin, les inondations et les glissements de terrain ont affecté plus de 37 000 personnes. L’impact de ces variations climatiques extrêmes est amplifié par des pratiques qui laissent à désirer depuis longtemps, en matière de gestion des ressources naturelles, qui sont elles-mêmes surexploitées – pratiques qui ont leur origine dans les politiques du passé colonial du pays. La déforestation et un entretien insuffisant des infrastructures de collecte des eaux contribuent aux dégâts considérables causés par les orages liés au changement climatique. 

Aujourd’hui, 85 % des sols en Haïti sont extrêmement dégradés, et une partie du couvert végétal, des mangroves et des écosystèmes coralliens a disparu. Haïti étant un pays côtier, il est aussi soumis au risque de l’élévation du niveau de la mer, qui menace la vie et les moyens de subsistance de beaucoup de populations côtières. Et tous ces risques vont s’accroître au cours des 30 prochaines années.

Au-delà des solutions militaires

Le soutien de la communauté internationale doit aller au-delà du « manque d’imagination » qui a conduit à des solutions militaires appliquées aux symptômes plutôt qu’aux causes du problème. Il faut donner la priorité à la lutte contre la dégradation de l’environnement et à la gestion de l’impact du changement climatique sur les moyens de subsistance des populations.

 

« Ce n’est pas facile de s’en sortir dans les grandes villes non plus, où les communautés et les réseaux sont restreints ». 

 

Les groupes les plus touchés sont ceux qui sont traditionnellement marginalisés – les jeunes, les femmes, les personnes en situation de handicap et celles qui vivent dans des zones rurales isolées ou des centres urbains à forte densité où les organismes publics sont peu représentés. Beaucoup ont déjà du mal à joindre les deux bouts et n’ont pas les moyens de s’adapter, même s’ils le veulent. Par exemple, ces femmes que l’on appelle les Madan Sara, les commerçantes de denrées alimentaires et autres marchandises qui jouent un rôle clé, ont vu leurs revenus s’effondrer au fur et à mesure que la sécheresse qui sévit actuellement a fait diminuer les récoltes. Et il est toujours difficile d’accéder aux marchés à cause des gangs. Comme nous l’a dit un membre d’une ONG internationale qui travaille sur la sécurité alimentaire : « Un nombre croissant de produits sont importés, et les zones rurales risquent de voir leur existence même menacée ». 

Face à cette situation, beaucoup de Haïtiens, les jeunes surtout, vont vivre en République dominicaine ou aux Etats-Unis, même s’ils doivent être victimes de discrimination et de racisme ou même renvoyés de force dans leur pays. D’autres vont habiter dans les grandes villes – en particulier la capitale Port-au-Prince – et finissent dans des logements de fortune dans des bidonvilles contrôlés par les gangs armés où règne l’insécurité. Comme l’a expliqué une assistante sociale de Cité Soleil, un quartier pauvre et densément peuplé de Port-au-Prince : « Ce n’est pas facile de s’en sortir dans les grandes villes non plus, où les communautés et les réseaux sont restreints ». 

Comment aider au mieux

Comment les efforts déployés par la communauté internationale peuvent-ils apporter un soutien efficace à Haïti, au moment où le pays lutte contre l’insécurité climatique et essaie de construire un avenir pour sa population ? Nous avons trois suggestions à formuler, à partir de nos récentes recherches sur le climat et la sécurité en Haïti.

Tout d’abord, la sécurité climatique ainsi que la protection de l’environnement et la réparation des dégâts doivent être au coeur de toutes les décisions, qu’elles soient économiques, politiques ou sociales, pour que le pays puisse aller de l’avant. Ces efforts doivent être guidés par une vision de haut niveau, élaborée à partir d’un dialogue multisectoriel – une vision qui soit le reflet des priorités et des valeurs de tous les Haïtiens, et qui tire parti des opportunités de coopération avec les partenaires régionaux et internationaux.

Il n’est pas nécessaire de partir de zéro : cette vision peut, et doit, refléter les politiques et les stratégies sur le climat existantes. Par exemple, le Plan national d’adaptation (PNA), inauguré en janvier, qui identifie quatre domaines prioritaires – agriculture, eau, santé et infrastructures –, par le biais d’un processus participatif et itératif, définit les étapes à suivre. En plus de lutter contre l’impact du changement climatique sur l’économie, il est vital de rétablir aussi la cohésion et la confiance dans toutes les couches de la société.

« Le lien entre les Haïtiens et leur milieu naturel doit être restauré et constituer la base de la lutte contre l’insécurité et la violence en général. »

Ensuite, les mesures doivent être décentralisées pour donner une certaine autonomie aux communautés locales. La solution aux multiples crises que traverse Haïti doit venir des Haïtiens eux-mêmes ; certaines des initiatives les plus innovantes et les plus durables sont ainsi prises au niveau local. Une telle approche renforce aussi la cohésion sociale au sein des communautés.

Par exemple, quand les conflits au sujet de la diminution des ressources halieutiques se sont durcis entre les pêcheurs haïtiens et dominicains dans le nord-est du pays, FoProBiM, une ONG environnementale haïtienne, a réuni les deux parties pour essayer de trouver une solution. Comme nous l’a dit un artisan de la paix spécialiste des questions environnementales qui travaille dans le nord du pays : « En Haïti, nous avons un dicton selon lequel ´on ne peut pas empêcher quelqu’un de nourrir sa famille´. Tout l’art consiste à convaincre cette personne que si elle nuit à quelqu’un d’autre, cela finira par nuire aussi à sa propre famille. L’outil le plus efficace en matière de prévention des conflits est l’argument économique ». 

Comme FoProBiM, beaucoup d’autres ONG haïtiennes et d’organisations communautaires ont utilisé l’environnement comme point de départ pour le dialogue et la promotion de la paix. Leurs initiatives doivent être encouragées. En d’autres termes, les organisations internationales doivent travailler avec les Haïtiens en tant qu’ayants droit, plutôt que comme simples bénéficiaires de l’aide internationale, et établir des mécanismes de contrôle qui soient transparents.

Enfin, le lien entre les Haïtiens et leur milieu naturel doit être restauré et constituer la base de la lutte contre l’insécurité et la violence en général. Les mesures de gestion et de pérennisation de l’environnement qui sont prises au niveau des communautés peuvent grandement y contribuer. Les solutions écologiques doivent être au cœur de cette stratégie. Les approches agro-écologiques, par exemple, peuvent avoir un impact important sur la capacité de résilience et sur la diversification des moyens de subsistance. 

Le travail réalisé par l’ONG haïtienne, Partenariat pour le Développement Local, est une véritable source d’inspiration. Dans le nord d’Haïti, ce travail s’appuie sur le savoir et l’expérience des agriculteurs pour les encourager à donner des conseils afin de stopper la pratique de la culture sur brûlis et encourager la préservation des sols. Promouvoir des initiatives agricoles en zone urbaine, par exemple, peut contribuer à atténuer l’impact des pénuries alimentaires et à générer des revenus, en particulier pour les personnes les plus modestes, les sans-emploi ou les groupes touchés par le sous-emploi comme les femmes et les jeunes.

Cette année, la campagne humanitaire de l’ONU pour Haïti a lancé un appel aux dons d’un montant de 720 millions de dollars, le plus élevé depuis le tremblement de terre de 2010. Jusqu’à présent, les donateurs ont fait des promesses de dons qui ne se montent qu’à 22,6 % de cette somme. Haïti va vraisemblablement avoir besoin de financements supplémentaires divers pour s’attaquer aux défis « climat – paix – humanitaire » et trouver des solutions. Les partenaires internationaux de Haïti doivent joindre le geste à la parole et engager les ressources dont les Haïtiens ont besoin pour effacer des décennies de dégâts liés au climat et construire un pays en paix, au développement durable. 

Traduction de Béatrice Murail.

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