On croirait un éléphant dans un magasin de porcelaine. Ou plutôt un dragon. Alors que les réunions, sommets et conférences se multiplient à travers le monde pour établir l’agenda post-2015 du développement et le futur de l’aide humanitaire, il n’est personne pour évoquer le rôle grandissant de la Chine. Bien que le pays représente un cinquième de la population mondiale, Pékin reste en retrait.
S’il l’on considère sa taille, son poids grandissant sur l’échiquier de l’aide humanitaire internationale et le fait qu’elle a sorti à elle seule un demi-milliard de personnes de la pauvreté entre 1990 et 2005, la Chine n’a pas tenu un rôle à sa mesure dans les débats.
Il y a bien eu quelques conférences et articles attribuables à la Chine, mais comme l’a souligné l’universitaire Kenneth King, ceux-ci sont le plus souvent nés de l’initiative de partenaires du Nord, pas de Pékin. La Chine ne semble pas vouloir participer au débat autour de la réorganisation de l’aide humanitaire (#ReShapeAid). Elle semble satisfaite d’y assister en observateur, mais méfiante à l’idée de s’impliquer ; et les chercheurs chinois ne semblent pas aussi concernés par l’agenda post-2015 que leurs homologues occidentaux.
La méfiance est de mise dans les deux sens. En Occident, l’aide chinoise est souvent dépeinte comme intrinsèquement suspecte, en particulier lorsqu’elle touche à l’Afrique. On l’accuse de néocolonialisme en raison d’énormes contrats portant sur les ressources, d’être un bailleur de fonds « voyou » en rattachant l’aide à des biens et des entrepreneurs chinois, et de soutenir les dictateurs africains en n’émettant pas de conditions et en se jouant de la transparence et des droits de l’homme les plus fondamentaux.
De l’Orient à l’Occident
Certaines de ces critiques sont fondées. D’autres sont le fruit d’exagérations et de malentendus. Mais à force d’exhorter la Chine à suivre son exemple en termes de meilleures pratiques, l’Occident a tendance à oublier qu’il a lui aussi bien des choses à apprendre d’elle. Ainsi, la Chine envoie des équipes médicales spécialisées en Afrique depuis les années 1960, et fut l’un des premiers pays à dépêcher des centaines de travailleurs médicaux en réponse à la crise Ebola actuelle. Elle a formé des dizaines de milliers d’Africains dans tout un tas de domaines, de l’agronomie à l’économie, et a construit d’innombrables kilomètres de route, de pipe-lines et de voies ferrées à travers le continent.
Contrairement aux huit objectifs du millénaire pour le développement (OMD), rédigés par une poignée de fonctionnaires des Nations Unies depuis leur sous-sol, les 17 objectifs de développement durable (ADD) sont censés être le reflet d’une grande diversité d’opinions et de perspectives. Mais en dépit de tous les beaux discours sur l’universalité et l’inclusion, des groupes de la société civile ont critiqué l’agenda post-2015 en l’accusant de ne privilégier qu’un nombre restreint de points de vue, avec des débats largement dominés par le Nord.
En exprimant sa position avec plus de vigueur, la Chine contribuerait à corriger ce déséquilibre. Mais surtout, l’approche globale du pays en matière d’aide humanitaire offre une alternative à l’attitude prescriptive du Nord.
À la différence de la stratégie uniforme, parfois obtuse, bailleur de fonds/bénéficiaire défendue par de nombreux bailleurs de fonds internationaux, la Chine privilégie les relations de partenariat. Elle prône l’expérimentation et la flexibilité plutôt que la poursuite de stratégies et d’objectifs stricts, et met l’accent sur l’appropriation par le pays, en laissant aux gouvernements bénéficiaires le soin d’évaluer eux-mêmes leurs besoins et leurs priorités.
Une nouvelle approche
Alors que l’aide chinoise vis-à-vis de l’Afrique paraît suspecte aux yeux de certaines capitales occidentales, de nombreux dirigeants africains se félicitent de l’approche de Pékin. Ainsi Paul Kagame, le président rwandais, a critiqué l’aide occidentale en l’opposant à la manière dont « les Chinois apportent aux Africains ce dont ils ont besoin », et de nombreux autres – à l’instar de l’ancienne ministre ougandaise de l’Agriculture, Victoria Sekitoleko – ont suggéré que « contrairement à nos partenaires traditionnels, comme les pays européens, les entreprises chinoises veulent nous écouter et placent nos exigences au centre de la coopération ».
C’est une forme d’engagement plus « horizontale », souvent perçue comme plus efficace et plus respectueuse que l’approche « par le haut » caractéristique de l’Occident. Le modèle chinois est très loin d’être parfait, mais à certains égards il s’approche bien plus du consensus souhaité par la conférence Rio+20, prônant des ADD « applicables universellement à tous les pays, en tenant compte des réalités, capacités et niveaux de développement spécifiques et en respectant les politiques et les priorités nationales ». Peut-être l’approche de la Chine en matière d’aide mérite-t-elle d’inspirer autre chose que de la méfiance et des critiques ?
Confronter l’aide chinoise et l’aide occidentale en Afrique n’est pas particulièrement constructif. Le risque est de passer à côté du fait que chacune de ces approches a ses qualités et ses défauts. La collaboration et la coopération ont probablement bien plus à offrir que la rivalité – c’est à n’en pas douter l’avis des bénéficiaires.
L’ancien dirigeant chinois Deng Xiaoping avait déclaré que la Chine devait « faire profil bas et ne jamais prendre les rênes » dans les affaires du monde. Mais Pékin est de plus en plus influente sur la scène politique et économique mondiale. En cette période caractérisée par des interventions humanitaires toujours plus complexes et plus coûteuses, la Chine devrait également être encouragée à assumer un rôle plus actif dans les débats sur l’avenir de l’aide.
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