Dans les deux ans qui ont suivi le tsunami, plus de 6,2 milliards de dollars ont été versés par quelque 70 pays et des organismes intergouvernementaux pour financer la réponse à la catastrophe. Le montant de l’aide humanitaire a atteint un montant de 8 milliards de dollars au cours des années suivantes ; d’après Edward Aspinall, un professeur de science politique à l’université nationale d’Australie et un spécialiste de la province d’Aceh, l’aide « était d’un volume et d’un poids probablement sans précédent dans l’histoire du développement de l’Indonésie ».
Cet article est le dernier volet d’une rétrospective en cinq parties sur le tsunami de l’océan indien. |
1ère partie : Aceh, dix ans après – Retour sur la réponse au tsunami 4ème partie: Le relèvement inachevé d’Aceh |
« La différence entre Aceh et un autre pays en développement est que le déluge d’argent a provoqué une onde de choc – nous étions isolés du monde extérieur par Jakarta et puis, soudainement, l’aide est arrivée – puis elle est repartie », a-t-elle dit.
Julfikar (comme beaucoup d’Indonésiens, il n’utilise que son prénom) dirige une coalition d’organisations non gouvernementales (ONG) humanitaires basées à Aceh. Aujourd’hui, a-t-il dit, « C’est presque comme si nous avions besoin d’une nouvelle urgence – mais pour stimuler l’économie locale cette fois-ci. Le fait de voir un tel volume d’aide dans une si courte période de temps a constitué un choc pour le système. Et puis les agences humanitaires ont remballé leurs affaires et sont parties ».
Il dit : « Après la réponse humanitaire, nous nous sommes retrouvés avec de belles infrastructures, mais honnêtement nous étions dépendants de l’argent de l’aide humanitaire. Le gouvernement a fait la même chose lui aussi – il est intervenu dans un esprit de charité, pas dans un état d’esprit de développement ».
Les rôles changent, les relations changent
« Il suffisait de parler anglais pour être immédiatement recruté par les ONG internationales », s’est souvenu Meutia, qui a coordonné une session d’information sur la réponse aux catastrophes dans les zones de conflit à l’occasion d’une réunion de préparation au Sommet humanitaire mondial organisée au Japon cette année. « Un jour, je suis arrivée au bureau et j’ai vu que le nouveau chauffeur était l’un de mes professeurs d’université. Tout à coup, cet homme qui autrefois était mon professeur était devenu mon subordonné », a-t-elle dit. « Cela a été un choc, mais il touchait un si bon salaire à l’époque qu’il s’en fichait – tout le monde s’en fichait ».
Les ONG de la province d’Aceh ont vu l’impact immédiat de la demande en ressources humaines après l’arrivée de centaines d’agences d’aide humanitaire. Hermanto Hasan, qui travaillait pour le People’s Crisis Centre (PCC), une ONG locale venant en aide aux populations des zones affectées, a dit à IRIN : « Le PCC fonctionnait avec des volontaires. Et puis les ONG internationales sont arrivées et nous avons appris que les soi-disant volontaires des Nations Unies recevaient un salaire de 2 000 dollars par mois ».
Les réseaux de M. Hasan ont été décimés : « En l’espace de deux mois, aucun de mes volontaires habituels n’était plus disponible pour participer aux interventions de base, comme la distribution de nourriture ». Et l’attitude des bénéficiaires a changé également : « Après le lancement des programmes d’aide aux victimes du tsunami, lorsque l’on priait les habitants de se rassembler dans le cadre d’une réunion, ils demandaient si leurs frais de transport seraient pris en charge ». Il a dit : « Après le tsunami, il suffisait de prendre un crayon et d’écrire une proposition de projet sur une serviette en papier pour recevoir des fonds, ils arrivaient de partout ».
Plusieurs années après la mise en œuvre des efforts de relèvement et de reconstruction, le pays a constaté un ralentissement des opérations après une aide sans précédent ; la baisse abrupte des fonds disponibles a constitué un choc pour l’économie locale.
« On refusait de voir que l’économie d’urgence était finie », a dit Mme Meutia. « Lorsque les ONG internationales sont parties, les étudiants qu’elles avaient recrutés ont eu du mal à reprendre leur scolarité. Cela faisait cinq ans que l’on travaillait dans l’humanitaire, avec de bons salaires et des résultats excitants, alors retourner en classe avec une nouvelle génération d’étudiants à côté de nous paraissait étrange », a-t-elle expliqué. « Nous étions beaucoup à penser qu’un diplôme n’était pas nécessaire, car nous avions des emplois tellement géniaux pendant la phase de réponse ».
L’arrivée de l’aide
« Avant le tsunami, nous fournissions des équipements de pêche sur une base renouvelable – en fonction de l’argent récupéré sur chaque prêt puis accordé à une autre personne », a expliqué Bustamam (qui n’utilise que son prénom), le président d’une association de pêcheurs de Banda Aceh. Il a expliqué avec fierté que le taux de remboursement des prêts était de 100 pour cent. « Après le tsunami, tout a changé, tout est devenu gratuit tout à coup ».
D’autres personnes se plaignent que les interventions humanitaires ont changé la dynamique au niveau local. Le chef d’un village a dit : « Ce n’est pas que nous ne voulions pas ou que nous n’avions pas besoin d’aide, mais nous ne nous attendions pas au changement que cela allait entraîner ». Il a expliqué : « Nous ne nous attendions pas à ce que, dix ans plus tard, lorsqu’un arbre tomberait par terre et devrait être déplacé, nous n’arriverions pas à trouver des volontaires dans le village, parce qu’ils demanderaient à être payés pour le travail ».
Mme Meutia a soutenu que l’afflux d’aide « a changé le marché pour les bénéficiaires », en soulignant que la limitation de l’accès des étrangers à Aceh pendant de nombreuses années avant le tsunami par Jakarta avait entraîné l’isolement de la province. « La différence entre Aceh et un autre pays en développement est que le déluge d’argent a causé un choc – nous étions isolés du reste du monde par Jakarta, puis l’aide est arrivée tout à coup – puis elle est repartie », a-t-elle dit.
Mme Meutia a évoqué un projet mis en œuvre par la Banque mondiale après le tsunami. « Nous avons donné 50 dollars aux personnes qui participaient à une activité qui bénéficiait à la communauté. La somme était considérée comme un salaire juste par rapport aux conditions économiques locales. Mais les habitants nous ont dit : « A l’époque du tsunami, nous recevions 300 dollars pour ce travail, alors nous ne le ferons plus maintenant ». ”
L’aspect économique du retour de la paix
Le manque de compréhension de l’économie de guerre, y compris des multiples et nouveaux flux d’argent, dont certains groupes d’aide humanitaire ont fait preuve, n’a pas facilité les opérations. Selon Patrick Barron, qui travaillait par la Banque mondiale à l’époque, « L’incapacité à faire le lien – même partiellement – entre le programme de réintégration et les efforts plus larges de reconstruction et de développement après le tsunami a empêché de résoudre les questions importantes de l’après-guerre et elle a exacerbé les inégalités à Aceh ».
« Lorsque les ONG venues aider les personnes touchées par le tsunami sont arrivées, elles ont réalisé une évaluation dans notre village et elles ont dit que les habitants étaient des agriculteurs. Mais ce n’est pas tout à fait vrai », a expliqué le chef élu d’un village du sous-district d’Indra Jaya, sur la côte ouest d’Aceh, qui a demandé à garder l’anonymat. Il a expliqué que, si le village comptait quelques fermes, seule une minorité d’habitants étaient des agriculteurs : « Ici, les revenus provenaient de l’abattage illégal de bois. Rares étaient les habitants qui savaient tenir une ferme ».
Certains habitants, plus particulièrement ceux des zones urbaines comme Banda Aceh, ont profité de l’arrivée de l’aide pour se lancer à leur compte. Waktar, qui est propriétaire d’une boutique à Banda Aceh, a dit que la phase de réponse à la crise a stimulé la confiance des habitants d’Aceh. « Les espoirs et les rêves des habitants ont changé quand l’argent a commencé à couler à flots », a-t-il dit. « Certains habitants ont demandé des prêts pour ouvrir des restaurants et ils ont fait faillite cinq ans plus tard, car les organisations humanitaires étaient parties et il n’y avait plus de subventions, alors tout le monde est rentré manger chez soi ».
Conformément à l’accord de paix qui a mis fin à près de trois décennies d’hostilités entre l’armée indonésienne et le mouvement de libération d’Aceh (Gerakan Aceh Merdeka ou GAM), bon nombre de membres du GAM ont été inclus dans les programmes de réhabilitation, qui ont déclenché une controverse immédiate, car ils prévoyaient l’allocation de fonds aux anciens combattants.
Mais la faiblesse des fonds des fonds alloués à la réintégration des ex-combattants par rapport aux fonds attribués aux programmes d’aide aux victimes du tsunami et aux programmes de développement de la province par Jakarta associée au fait que le GAM jouissait d’une influence politique considérable a permis aux ex-combattants d’accéder à d’autres sources de financement. M. Aspinall a noté : « Seuls les fonds de réintégration étaient spécifiquement conçus pour faciliter le retour des anciens combattants à la vie civile et les aider à gagner leur vie. Mais … finalement ils ont été les moins importants en terme de quantité ».
M. Aspinall, qui a participé à la réponse au tsunami en tant que volontaire, a dit que, en dépit de leur manque de compétences professionnelles, les membres du GAM ont réussi à améliorer leur statut économique grâce aux contrats de reconstruction (principalement publics) qu’ils ont remportés, car ils disposaient de deux ressources importantes : « l’influence politique et une capacité d’intimidation et de violence - [toutes deux] étaient des ingrédients connus de la réussite économique à Aceh, comme dans d’autres provinces d’Indonésie ».
Saifuddin Irhas, le directeur exécutif de Bytra, une ONG qui mène des programmes de résolution des conflits et des programmes de développement dans la deuxième plus grande ville de la province d’Aceh, Lhokseumawe, a dit que bon nombre d’habitants d’Aceh avaient du mal à comprendre le fonctionnement des structures de pouvoir en temps de paix et l’accès aux ressources.
« Lorsque l’argent - qu’il soit venu de la réponse au tsunami ou de la réponse à la guerre - est arrivé pour les contrats ou les ONG, bon nombre de problèmes existants pendant la guerre, comme la taxation et l’extorsion, ont continué, alors les membres du GAM ont obtenu des postes importants ».
Alors que les dirigeants du GAM étaient élus à des postes provinciaux, les connaissances de la population en matière de politique ont peu évolué : « Nous avions des guérilléros qui occupaient des postes de politique. Beaucoup de gens ne savaient pas quoi en penser – ils ne savaient pas que c’était différent et que ces dirigeants étaient des fonctionnaires qui devaient rendre des comptes. L’inquiétude monte au sein de la population ».
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