Dans le camp de Kawergosk, à 25 kilomètres de là, les réfugiés syriens font la même chose, mais leurs trousses d'hiver et leurs colis de vivres contiennent probablement des items différents et sont livrés par des équipes différentes financées par d'autres bailleurs de fonds.
Les deux groupes fuient ce que la communauté internationale considère maintenant comme une même crise. Or, en raison des protocoles des Nations Unies et de la manière dont les fonds sont affectés, les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays (PDIP) d'Irak et les réfugiés de Syrie sont, dans certains cas, soutenus par des programmes complètement séparés en dépit de leurs besoins similaires et de leur proximité géographique.
Les experts, voyant cette duplication des services, appellent à repenser la façon dont les organisations répondent aux besoins des PDIP et des réfugiés en Irak et ailleurs. Ils insistent notamment sur l'importance d'établir des priorités en fonction des besoins plutôt que du statut.
Cause profonde
L'Irak accueille plus de 220 000 réfugiés syriens et 1,9 million de citoyens ont été déplacés depuis janvier en raison de l'avancée territoriale des militants de l'État islamique.
Presque tous les réfugiés syriens et environ la moitié des PDIP irakiennes se sont installés dans la région semi-autonome du Kurdistan irakien, où les problèmes de programmation parallèle sont les plus évidents.
Fabio Forgione, chef de mission de Médecins Sans Frontières (MSF) en Irak, a raconté à IRIN que la nouvelle unité de maternité ouverte par son organisation dans le camp de réfugiés de Domiz, à Dohuk, n'était accessible qu'aux Syriens pour le moment et qu'elle n'accueillait pas les déplacés irakiens vivant à proximité.
« Les services fonctionnent en parallèle partout, en particulier dans les camps, parce que les PDIP irakiennes ne sont pas autorisées à pénétrer dans les camps de réfugiés syriens », a-t-il expliqué.
M. Forgione a reconnu que la situation au Kurdistan irakien était « unique » et que tous les programmes ne pouvaient être partagés parce que les ressources devaient être rationnalisées. Il a cependant ajouté : « Notre idée est de réussir à mettre en place un système d'aiguillage dans les régions dans lesquelles nous travaillons afin de donner accès à certaines PDIP et à certains cas prioritaires. c'est ce que nous tentons de négocier en ce moment. »
Le Comité de coordination des ONG en Irak (NGO Coordination Committee for Iraq, NCCI), une coalition d'organisations locales et internationales, a également lancé un appel en faveur d'une réponse mieux coordonnée.
« La réponse humanitaire devrait se fonder sur les besoins ; il n'y a dès lors aucune raison valide de faire une distinction entre l'aide accordée aux PDIP et celle accordée aux réfugiés », a dit Hashim Assaf, coordonnateur exécutif du NCCI.
« Ces deux groupes vivent dans les mêmes lieux et ont besoin de la même aide humanitaire d'urgence. [et] la distinction actuelle pourrait entraîner des lacunes ou une duplication de l'aide humanitaire et des efforts de coordination », a-t-il ajouté, appelant à « une approche plus intégrée ».
Les réfugiés, dont les droits sont inscrits dans la Convention des Nations Unies de 1951, ont un statut légal différent de celui des PDIP, dont les droits sont un peu moins clairement définis. Les gouvernements sont en effet responsables des PDIP, car ce sont leurs propres citoyens, et il existe un ensemble de principes non contraignants pour les PDIP, mais il arrive souvent que les organisations d'aide humanitaire viennent compléter, voire diriger la réponse.
Secteurs et clusters
En Irak, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) coordonne le travail des agences des Nations Unies pour soutenir les PDIP en utilisant ce qu'on appelle un « système de clusters ». La coordination des efforts mis en ouvre pour venir en aide aux réfugiés relève quant à elle du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et du système dit « de secteurs ».
Les « clusters » sont des groupes d'organisations humanitaires appartenant ou non au système des Nations Unies - des organisations non gouvernementales (ONG), par exemple - qui s'occupent de la coordination de la réponse humanitaire. Ils sont dirigés par un coordonnateur résident et/ou un coordonnateur humanitaire et l'équipe humanitaire du pays.
La réponse mise en ouvre par les organisations d'aide humanitaire pour satisfaire les besoins des réfugiés est quant à elle divisée en divers « secteurs » (par ex., protection, sécurité alimentaire, éducation, hébergement, eau et assainissement) et coordonnée par le HCR.
Dans le cas de l'Irak, l'argent des bailleurs de fonds peut être affecté à la réponse sectorielle aux réfugiés syriens ou aux clusters chargés des déplacés irakiens. Cela a notamment été le cas du don de 500 millions de dollars récemment versé aux Nations Unies par l'Arabie saoudite. Le gouvernement saoudien a précisé que l'argent devait servir à aider les PDIP irakiennes, et non les réfugiés syriens.
Il arrive cependant souvent que les distinctions entre les programmes ne soient pas très claires.
Rebecca Dibb, directrice de programme en Irak pour le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), une organisation qui travaille avec les deux groupes de bénéficiaires, a donné un exemple de situation dans laquelle la ligne entre les deux est brouillée.
« Nous avons commencé à mettre en ouvre un nouveau projet de remise en état des logements dans les quartiers les plus pauvres d'Erbil. Nous cherchons ainsi à améliorer les conditions [de vie] des réfugiés syriens qui louent ces logements », a-t-elle expliqué. « Il y a cependant des PDIP qui vivent parmi les réfugiés syriens. et ils sont souvent encore plus démunis et vulnérables. Il est difficile de savoir comment trouver un juste équilibre. »
Mme Dibb a appelé les donateurs à se montrer plus flexibles en ce qui concerne l'allocation des fonds.
« La situation peut être difficile à gérer lorsque les bailleurs de fonds ont des exigences spécifiques concernant les bénéficiaires », a-t-elle dit. « Vous ne pouvez pas parler à une famille et lui venir en aide et ignorer celle qui vit dans le logement voisin. Nous croyons qu'il faut mettre l'accent sur les vulnérabilités. »
Dawn Chatty, professeure d'anthropologie et de migration forcée au département de développement international de l'Université d'Oxford, remet également en cause l'affectation de l'aide en fonction des « étiquettes » que l'on a mises à ces gens sur papier.
« Pourquoi faisons-nous une distinction entre l'aide que nous apportons à un groupe ayant une étiquette particulière et un autre groupe n'ayant pas cette étiquette alors qu'ils fuient tous deux la même crise ? » a-t-elle demandé.
« Ce n'est pas tout le monde qui souhaite être considéré comme réfugié », a-t-elle dit. « Parmi ceux qui vont s'établir dans des pays comme la Turquie, nombreux sont ceux qui préfèrent qu'on les appelle muhajir (migrant). Ils ne sont pas intéressés par la possibilité d'une réinstallation dans un pays tiers ; ils souhaitent simplement obtenir une protection temporaire et réussir à subvenir à leurs besoins jusqu'à ce qu'ils puissent rentrer chez eux. »
« Les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays sont dans la même situation et je pense que les organisations internationales chargées du secours humanitaire et des réfugiés doivent engager une réflexion sérieuse à ce sujet. »
En avril, le HCR et OCHA ont publié un document de politique de quatre pages dans le but de remédier aux problèmes de coordination dans les situations où des PDIP et des réfugiés se côtoient.
Le document établit une distinction entre les situations où les PDIP et les autres populations affectées se trouvent dans des « zones géographiques différentes » des réfugiés et celles où les PDIP et les réfugiés sont présents dans la « même zone géographique ».
Le document recommande la création de « clusters » et de « secteurs » séparés pour les situations dans lesquelles les PDIP et les réfugiés ne partagent pas le même emplacement géographique, mais il est moins spécifique pour les situations dites « mixtes ». « Dans toutes les circonstances, le coordonnateur inter-clusters et le coordonnateur régional du HCR partagent l'information et s'assurent que leurs approches sont complémentaires », indique-t-il simplement pour ces cas.
Le document ne fait aucune mention du financement accordé par les donateurs, qui est pourtant considéré par plusieurs comme étant au cour de ce problème de programmation parallèle.
« Si vous pouvez vous retrouver avec deux systèmes différents, c'est parce que [l'aide accordée aux] deux populations est financée séparément, et ce, même si elles ont de nombreux besoins en commun », a dit Daryl Grisgraber, porte-parole principale pour Refugees International, une ONG basée à Washington qui milite pour la protection des réfugiés.
Début d'adaptation
Un bailleur de fonds important semble être à l'écoute des préoccupations des organisations au sujet des flux de financement parallèles et des inefficacités associées.
« Le point de départ d'une action humanitaire basée sur des principes reste, pour nous, les besoins des populations affectées, où qu'elles soient et qui qu'elles soient », a dit Javier Rio-Navarro, chef du bureau irakien de l'Office d'aide humanitaire de la Commission européenne (ECHO).
« Les décisions de financement de la Commission européenne ont intégré des approches fondées sur les besoins ; l'institution s'éloigne ainsi d'une répartition en fonction d'étiquettes ou de catégories », a-t-il ajouté. Il a par ailleurs précisé que l'intégration du financement devrait se poursuivre l'an prochain.
« Le programme d'intervention humanitaire 2015 pour l'Irak prendra en compte les réfugiés syriens en Irak, les PDIP irakiennes et les communautés vulnérables », a-t-il expliqué. Le programme actuel distribue les fonds en fonction de la nationalité des bénéficiaires.
« Nous croyons que cette façon de faire est beaucoup plus adaptée à une approche fondée sur les besoins, qui pourrait par ailleurs être plus rentable. Pour les donateurs et [la] communauté humanitaire dans son ensemble, tout effort dans cette direction sera très apprécié », a-t-il ajouté.
Le Programme alimentaire mondial (PAM) a récemment fourni un autre exemple positif d'une approche fondée sur une meilleure coordination. Plus tôt cette année, le PAM a racheté les denrées destinées aux réfugiés syriens du camp d'Al Qaim qui avaient été entreposés dans le gouvernorat d'Anbar pour les distribuer aux déplacés irakiens.
Il faut cependant préciser que le PAM disposait de l'argent nécessaire pour se racheter à lui-même les marchandises en question. En cas d'interruption future dans l'une des chaînes d'approvisionnement, le PAM ne pourra pas simplement « emprunter » les marchandises stockées pour les réfugiés et les distribuer aux PDIP - ou inversement. L'organisation devra avoir les fonds nécessaires pour la transaction afin de respecter les règles des donateurs en ce qui concerne les bénéficiaires du financement.
Mme Grisgraber reconnaît qu'il n'est pas toujours pratique - ou possible - de combiner les programmes destinés aux PDIP et ceux destinés aux réfugiés en raison de différences culturelles et ethniques, mais que d'imposer une séparation entre les deux peut entraîner des frais généraux supplémentaires et des risques de duplication.
« Rien ne fonctionne exactement comme prévu sur papier lors d'une intervention humanitaire, mais ces politiques ont été conçues pour servir de lignes directrices. Or, on peut parfois avoir l'impression que personne ne les consulte », a-t-elle ajouté en faisant référence au document de politique d'OCHA et du HCR.
En privé, de nombreux travailleurs humanitaires ouvrant dans le Kurdistan irakien ont exprimé leur frustration face à la division entre clusters et secteurs. Selon eux, cette division est en partie due à ce qu'ils considèrent comme une lutte de pouvoir interne entre le HCR, qui vient déjà en aide depuis plusieurs années aux personnes qui se sont réfugiées en Irak, et la toute nouvelle équipe d'OCHA.
Jacqueline Parlevliet, conseillère principale en matière de protection auprès du HCR, a cependant dit à IRIN que l'existence de deux réponses parallèles - l'une fondée sur les clusters et l'autre sur les secteurs - n'était pas un problème et que les réunions des équipes chargées des PDIP et des réfugiés étaient organisées l'une après l'autre afin de sauver du temps.
« Il n'y a pas de risque d'inefficacité parce que nous nous assurons qu'il y a une bonne coordination », a-t-elle souligné. « La répartition des fonds est sans équivoque. La principale préoccupation, c'est de savoir si nous avons la capacité humanitaire de répondre rapidement aux besoins de tout le monde. »
Brendan McDonald, un haut responsable d'OCHA en Irak, a dit à IRIN : « En partenariat avec le HCR, les principales organisations et l'équipe humanitaire du pays, OCHA s'engage à s'assurer que les mécanismes de réponse sont aussi efficients et efficaces que possible. C'est pourquoi nous entreprenons un examen de la situation en collaboration avec toutes les parties prenantes. »
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