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Ballons et saucisses – comprendre le trafic de drogue mondial

2.27 tons of seized marijuana and cocaine are analysed and inventoried before being transferred by armed convoy to Ganthier for destruction. There, the Haitian National Police will destroy the illegal drugs with the support of the United Nations Stabiliza UN Photo/Victoria Hazou
Un secteur très mobile : des policiers haïtiens saisissent des drogues en transit
Qu’est-ce qui, il y a plus d’une décennie, a transformé la Guinée-Bissau et d’autres pays d’Afrique de l’Ouest en pays de transit pour la drogue à destination de l’Europe ? Pourquoi les guerres de la drogue se sont-elles déplacées de la Colombie vers le Mexique?

L’un des principaux arguments des critiques des politiques de prohibition des drogues repose sur l’« effet ballon », c’est-à-dire que les fabricants, les trafiquants et les vendeurs de drogue qui se voient empêchés par les autorités responsables de l’application de la loi de mener leurs opérations dans une région donnée se contentent d’aller s’installer ailleurs. Ce déplacement ne représente « qu’un désagrément temporaire pour les participants », écrit Peter Reuter, auteur de The Mobility of Drug Trafficking [La mobilité du trafic de drogue], dans Ending the Drug Wars [Mettre un terme aux guerres contre la drogue], un rapport publié la semaine dernière par l’International Drug Policy Project (IDPP) de l’école d’économie de Londres (London School of Economics, LSE) et les Open Society Foundations.

Il n’est pas facile d’identifier les causes et les effets dans un secteur informel comme celui de la drogue. De nombreux facteurs entrent en ligne de compte dans le réseau complexe et mouvant du trafic de drogue. Tous les acteurs de cette industrie illicite peuvent être affectés par les efforts d’interdiction – de la destruction des cultures aux saisies, en passant par les arrestations des vendeurs et des barons de la drogue, qui dépendent eux aussi, pour le succès de leurs opérations, d’un ensemble d’autres facteurs, notamment la corruptibilité des responsables, la chance et l’efficacité de la pénétration des marchés dans les pays demandeurs.

Les raisons pour lesquelles les trafiquants choisissent un pays plutôt qu’un autre sont multiples. Il se peut que les pots-de-vin coûtent plus cher au Costa Rica qu’au Honduras, par exemple, mais si les saisies de drogue sont plus courantes au Honduras qu’au Costa Rica, il est possible que ce dernier pays soit choisi pour faire transiter la marchandise. Les contacts et les liens familiaux transfrontaliers peuvent être tout aussi déterminants au moment d’établir des itinéraires de trafic. Par ailleurs, même si « les drogues passent par les mêmes circuits que les échanges commerciaux traditionnels », comme l’écrit M. Reuter, l’aspect géographique n’est pas toujours le principal facteur déterminant. Il souligne notamment le rôle important du Nigeria malgré son éloignement par rapport aux pays producteurs ou consommateurs de cocaïne ou d’héroïne. Selon lui, plusieurs facteurs permettent d’expliquer cette situation : « Les Nigérians sont des entrepreneurs ; ils ont longtemps été gouvernés par des gouvernements corrompus ; le pays dispose d’une importante diaspora ; la société civile est faible ; les salaires locaux sont très bas ; et les liens commerciaux avec le reste du monde sont relativement bons. »

Les schémas d’immigration pourraient également avoir une incidence sur l’établissement des itinéraires de trafic. Ils pourraient notamment permettre d’expliquer le rôle de la Turquie comme plaque tournante du trafic de l’héroïne à destination de l’Europe de l’Ouest : cinq millions de citoyens turcs vivent en effet en Europe occidentale, et la Turquie est relativement proche de l’Afghanistan.

Les Antilles ont-elles été remplacées par la Guinée-Bissau ?

M. Reuter hésite à affirmer hors de tout doute l’existence de l’effet ballon, mais il cite l’ouverture de nouveaux itinéraires de trafic en Afrique de l’Ouest comme une réponse possible au « durcissement des contrôles sur les vols arrivant à l’aéroport de Schiphol, à Amsterdam, en provenance des Antilles néerlandaises », au début des années 2000. Ces mesures dissuasives auraient en effet poussé les trafiquants à trouver de nouvelles routes vers l’Europe.

À partir du moment où les autorités néerlandaises ont commencé à sévir et à saisir la cocaïne en provenance des Antilles – en utilisant une méthode « axée sur la substance » plutôt qu’« axée sur le contrevenant » (c’est-à-dire que les passeurs voyaient leur passeport annulé au lieu d’être eux-mêmes arrêtés) –, en 2003, le nombre de passeurs pris sur le fait a rapidement diminué. La cocaïne a malgré tout continué à affluer en grande quantité dans le pays. Entre 2003 et 2007, la quantité de cocaïne saisie en Afrique de l’Ouest a été multipliée par cinq. La Guinée-Bissau, un petit pays pauvre au gouvernement fragile et donc facilement corruptible, s’est bientôt retrouvée inondée de cocaïne. Le Ghana lui a rapidement emboîté le pas : d’énormes quantités de cocaïne ont été saisies là-bas en 2007.

« L’ouverture de la route ouest-africaine constituait-elle une réponse à la fermeture de l’itinéraire de trafic passant par les Antilles néerlandaises ? Cela s’est passé à peu près au même moment », écrit M. Reuter.

La multiplication des efforts de prohibition mis en œuvre aujourd’hui en Turquie, la plaque tournante de la route des Balkans, a poussé les trafiquants d’opium à chercher de nouveaux itinéraires à travers l’Afrique de l’Est et de l’Ouest via le Pakistan et l’Iran pour atteindre les marchés européens, selon une source de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC). Le terme « effet ballon » n’est cependant pas utilisé largement au sein de l’organisation.

Le déplacement des violences liées au trafic de drogue

Daniel Mejia, directeur du Centre de recherches sur les drogues et la sécurité de l’Université des Andes, en Colombie, est persuadé que l’« effet ballon » explique le déplacement des violences liées au trafic de drogue de la Colombie vers le Mexique.

La prohibition a pour effet de récompenser les personnes capables d’imaginer des moyens créatifs de se jouer des frontières. Il y a beaucoup d’argent en jeu. Les innovations voient le jour à la vitesse de l’éclair parce que la drogue se vend à un bon prix
Dans le cadre d’une interview, il a décrit l’étude intitulée Why is Strict Prohibition Collapsing? A Perspective from Producer and Transit Countries in Ending the Drug Wars [Pourquoi l’interdiction absolue ne fonctionne pas ? Une perspective des pays producteurs et de transit sur l’abandon des guerres contre la drogue] (coécrite avec Pascual Restrepo) comme « la première tentative officielle de mesurer l’effet ballon et l’effet de déplacement ».

Selon les auteurs, l’histoire du trafic de drogues en Amérique latine montre que « lorsqu’un pays obtient un certain succès [local] dans la lutte contre la fabrication et le trafic de drogue – ce qui est l’exception plus que la règle –, [les organisations de trafic de drogue] se déplacent vers d’autres pays pour y trouver des environnements plus favorables à leurs opérations ».

Ils citent par ailleurs une recherche récente qui montre que l’augmentation de 200 pour cent de la taille du marché illicite de la drogue entre 1994 et 2008 en Colombie explique l’accroissement de 25 pour cent du taux d’homicides dans le pays. Cela signifie que le trafic de drogue et les efforts pour y mettre un terme sont à l’origine d’environ 3 800 homicides supplémentaires par année pendant cette période.

« Nous avons découvert que les politiques d’interdiction mises en œuvre en Colombie à partir de 2007 – et qui ont eu un certain succès – ont entraîné le déplacement du trafic de la cocaïne vers le Mexique et l’Amérique centrale et provoqué une recrudescence de la violence dans ces pays », a dit M. Mejia à IRIN.

Les mesures répressives adoptées en Colombie ont entraîné une diminution de 50 pour cent de l’offre de cocaïne colombienne, ce qui a fait grimper de 50 pour cent le prix de la cocaïne aux États-Unis et sur les marchés internationaux, a-t-il dit. « Cela a provoqué un accroissement des loyers du marché associés au commerce de la cocaïne et une escalade de la violence entre les cartels, qui se battent maintenant pour le contrôle d’un marché encore plus lucratif. » L’effet ballon pourrait ainsi avoir entraîné une augmentation de 46 pour cent du nombre de meurtres liés à la drogue au Mexique, a ajouté M. Mejia.

D’autres, comme Sanho Tree, directeur du Drug Policy Project de l’Institut d’études politiques (Institute for Policy Studies), à Washington, sont convaincus de l’existence de l’effet ballon, ou « effet saucisse ». M. Tree fait remarquer que cet effet est évident lorsqu’on remonte aux cultures. À la suite de l’éradication des plantations de coca au Pérou et en Bolivie, dans les années 1990, les trafiquants ont déplacé leurs cultures en Colombie, a dit M. Tree. Après la mise en œuvre du plan Colombie, un vaste programme soutenu par les États-Unis et ayant pour but d’endiguer la fabrication et le trafic de cocaïne dans ce pays, les trafiquants sont simplement retournés au Pérou.

« L’effet hydre »

Il recourt à une autre métaphore – « l’effet hydre » – pour expliquer comment les trafiquants trouvent le moyen de contourner les mesures visant à dissuader le trafic en établissant de nouvelles routes (les têtes de l’hydre) lorsque les premières sont coupées. Plus les efforts d’interdiction et de prohibition des drogues dures sont importants, plus les sommes qu’obtiennent ceux qui réussissent à les faire passer de l’autre côté de la frontière mexicaine pour qu’elles finissent entre les mains des consommateurs américains sont élevées, et plus les trafiquants font preuve de créativité dans les moyens employés.

L’existence de tunnels souterrains reliant les deux pays est bien connue, mais M. Tree mentionne d’autres innovations, notamment des tubes souterrains spéciaux permettant de déplacer les paquets de drogue grâce à un procédé pneumatique. Selon M. Tree, il existe aussi tout un éventail de méthodes plus ou moins sophistiquées pour faire passer la drogue de l’autre côté de la frontière : la construction de rampes pour faire passer les camions par dessus le mur ; la diminution de la taille des paquets pour leur permettre d’être glissés dans les interstices de « quatre pouces » de la clôture de la frontière ; le recours à des catapultes pour lancer les paquets de l’autre côté du mur ; et parfois même l’utilisation de sous-marins.

« La prohibition a pour effet de récompenser les personnes capables d’imaginer des moyens créatifs de se jouer des frontières. Il y a beaucoup d’argent en jeu. Les innovations voient le jour à la vitesse de l’éclair parce que la drogue se vend à un bon prix », a-t-il dit. « Il est très difficile de supprimer un marché noir lorsque la demande est élevée », a-t-il ajouté. « Cela a des effets pervers. » Selon lui, la seule façon de s’est sortir, c’est de mettre en place les politiques que de nombreux leaders considèrent comme contre-intuitives, comme l’assouplissement des restrictions portant sur les drogues dures pour faire baisser les prix et la mise en œuvre de mesures visant à réduire la demande de drogues.

« Nous avons besoin de programmes de traitement, de prévention et d’éducation honnêtes et efficaces. Il n’y a pas d’autres moyens de bâtir une société saine. La pauvreté, le désespoir et l’aliénation poussent les gens à s’automédicamenter. » M. Tree croit que le faible taux de consommation de drogue aux Pays-Bas – en dépit de la législation permissive en matière de drogue – peut être attribué aux « importants filets de sécurité sociale en place dans le pays ».

pg/cb-gd/amz

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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