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Troisième plan DDR en RDC : cette fois-ci sera-t-elle la bonne ?

SRSG Martin Kobler addresses a ceremony in Goma, North Kivu province, to mark the destruction of weapons and ammunitions on 20 November 2013. A total of 926 weapons and 38 801 ammunitions were collected from various armed groups in eastern D.R. Congo from MONUSCO/Sylvain Liechti
Désarmer est chose facile – le véritable défi d’un programme DDR réussi est la réinsertion
Il y aurait 54 groupes armés en fuite dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), selon les estimations du gouvernement, qui prévoit de consacrer les cinq prochaines années à les éradiquer.

Mais le troisième programme de désarmement, démobilisation et réinsertion(DDR3), d’un montant de 100 millions de dollars US, réussira-t-il là où les deux premières tentatives ont échoué ?

« L’avenir de la paix et de la stabilité dans la région » dépend en grande partie de la réussite de ce plan, selon un rapport récent du projet Enough.

Avant même le coup d’envoi du programme, des milliers de combattants issus de différents groupes se sont présentés à des bases militaires de l’est de la RDC pour y prendre part. Ils y ont été poussés par la mise en échec inattendue de la rébellion M23 dans le cadre d’une opération conjointe des forces armées nationales et de la mission militaire des Nations Unies en RDC (MONUSCO) en décembre 2013. Les autorités avaient alors averti que de nouvelles opérations ciblant d’autres groupes étaient prévues sous peu.

Le présent article a pour ambition de clarifier les enjeux.

En quoi ce plan diffère-t-il des précédents ?

Le contexte sécuritaire a changé, de même que certains aspects du plan en lui-même.

Depuis 1998, les groupes armés causent des dommages considérables dans l’est de la RDC, et ce pratiquement en toute impunité. Près de deux millions de personnes ont été contraintes de fuir leur foyer dans cette partie du pays accablée par une crise humanitaire chronique. Le système de santé, en particulier, est dans un « état catastrophique » du fait des conflits armés à répétition qui ont entraîné le délabrement à grande échelle des infrastructures et des interruptions de service fréquentes, selon un rapport publié par Médecins sans frontières le 4 mars.

La création en 2013 d’une brigade d’intervention composée de 3 000 éléments dans le cadre de la MONUSCO a changé la donne grâce à l’apport du soutien expert de l’armée nationale, les FARDC, pour anéantir les rebelles du M23. Pour beaucoup, son recours intensif aux hélicoptères d’appui au combat a été décisif. Depuis, en se dotant de drones, la MONUSCO a décuplé ses capacités de surveillance et, partant, ses chances de mettre en échec d’autres groupes rebelles.

Les combattants ont commencé à quitter ces groupes en masse après la reddition officielle du M23. À peu près à la même époque, le gouvernement a commencé à dévoiler ses projets de DDR3, alors même que les financements requis n’avaient pas encore été obtenus auprès des bailleurs de fonds (c’est d’ailleurs toujours le cas).

Une innovation notable de cette opération DDR est l’instauration d’une phase préliminaire de sensibilisation, durant laquelle les combattants eux-mêmes, les communautés d’accueil, les autorités civiles et militaires et la société civile seront informés des détails du processus.

Cela s’avère d’une importance particulière dans le cadre du DDR3, car il est prévu que les participants au programme suivent l’essentiel du processus de démobilisation loin de chez eux (en particulier dans des camps à Kamina, Nord-Katanga ; Kitona, Bas-Congo et Kota Koli, Équateur).

« Compte tenu du manque de confiance au sein de certaines communautés et à l’égard du gouvernement, la sensibilisation sera essentielle pour convaincre les milices ayant déposé les armes de quitter leurs fiefs pour suivre le plan DDR dans l’ouest et le sud-est du pays », a écrit Christoph Vogel, analyste à l’Institut d’études africaines de l’université de Cologne, sur son blog.

Autre nouveauté de ce troisième plan DDR, seul un nombre très restreint de participants aura la possibilité d’intégrer l’armée nationale ; la plupart d’entre eux seront accompagnés vers une réinsertion dans la vie civile. (voir plus bas)

« Il est fondamental de tirer des leçons de nos expériences passées », a dit à IRIN Chantal Daniels, conseillère en matière de politique et de conflit pour Christian Aid. « La DDR n’a rien de nouveau en RDC, et les projets antérieurs ont lamentablement échoué. »

Pourquoi les projets antérieurs ont-ils échoué ?

« Les programmes nationaux de DDR ont échoué par le passé en raison du manque de ressources et de volonté politique, du délai de mise en œuvre, de l’inefficacité des efforts de sensibilisation menés auprès des groupes armés et des communautés, et de l’incapacité à réintégrer convenablement les anciens combattants dans l’armée ou à leur fournir une source de subsistance alternative », révèle le rapport du projet Enough.

Entre 2004 et 2008, plus de 132 000 combattants – dont 30 219 enfants – ont été démobilisés.

« La piètre qualité de la démobilisation […] a facilité le recrutement », indique un rapport récent sur les groupes armés du Congo publié par l’Institut de la Vallée du Rift et le projet Usalama.

Dans certaines régions, « de nombreux combattants rebelles actuels sont passés par des programmes de démobilisation, pour ensuite être de nouveau recrutés par des groupes rebelles. Nombre d’entre eux n’ont trouvé aucune source de subsistance alternative. Leurs anciens leaders les ont soumis à des pressions pour les convaincre de les rejoindre, ou bien c’est la perpétuation de l’insécurité dans leurs régions d’origine qui les a incités à se remobiliser », rapporte le rapport sous-titré Trancher le nœud gordien de l’insécurité.

« L’étape de réintégration fut particulièrement délicate : elle cibla les combattants individuels, et les communautés qu’ils regagnèrent eurent l’impression que l’on récompensait ceux qui avaient pris les armes en leur donnant de l’argent et une formation professionnelle. Cela compliqua les efforts de réconciliation », poursuit le rapport.

Quelle est l’urgence ?

Dans une résolution du 30 janvier qui constatait « avec une vive inquiétude la persistance des violations graves des droits de l’homme et du droit humanitaire sur la personne de civils dans l’est de la République démocratique du Congo, y compris les exécutions sommaires, les violences sexuelles et sexistes et le recrutement et l’emploi généralisés d’enfants auxquels se livrent des groupes armés », le Conseil de sécurité a demandé au gouvernement de la RDC d’accélérer le plan DDR3.

« Si ce n’est pas fait rapidement, ceux qui se sont rendus à cause de la pression militaire retourneront dans la brousse et reprendront les armes », a prévenu Martin Kobler, le chef de la MONUSCO. Il semblerait que ça soit déjà le cas.

« Incertains quant à l’avenir et fatigués d’attendre, un petit nombre de combattants a déjà quitté les centres de regroupement pour réintégrer leurs groupes armés », a dit à IRIN Ida Sawyer, chercheuse principale auprès de Human Rights Watch (HRW).

L’une des observations de Mme Sawyer a également souligné l’importance d’une sensibilisation digne de ce nom.

« De nombreux anciens combattants avec lesquels nous nous sommes entretenus au centre de regroupement de Bweremana [près de Goma] nous on dit qu’ils attendaient d’être réintégrés dans l’armée congolaise et qu’ils espéraient que leurs personnes à charge pourraient les suivre. Le gouvernement semble davantage résolu à déplacer ces anciens combattants vers des centres reculés au Katanga, au Bas-Congo et en Équateur, sans leurs personnes à charge. Et il ne semble pas désireux d’intégrer d’anciens combattants dans l’armée congolaise », a-t-elle ajouté.

Pourquoi est-ce important ?

« Les plans DDR 1 et 2 ont échoué parce que nous avons accepté d’intégrer de mauvais éléments dans notre armée sur conseil de nos amis, voisins et bailleurs de fonds. Pour le DDR3, nous n’accepterons jamais de criminels dans notre armée, plus jamais », a dit le porte-parole du gouvernement congolais, Lambert Mende Omalanga.

« Nous comprenons le besoin de réconciliation, mais aucune armée au monde ne peut recevoir de soldats indisciplinés. Nous ne pouvons pas réintégrer des éléments s’étant mutinés par deux fois », a dit M. Mende à IRIN.

Pour des analystes comme M. Vogel, il s’agit d’une politique sensible.

« L’intégration dans l’armée ne semble pas être à l’ordre du jour, c’est certainement que l’on a tiré la leçon des efforts d’intégration précipités ayant échoué par le passé à contrôler l’insécurité et l’impunité chez l’ensemble des acteurs du conflit dans l’est du Congo », a écrit M. Vogel.

« Par le passé, la RDC a autorisé la réintégration dans les FARDC d’individus dont l’implication présumée dans la perpétration d'atrocités avait été largement documentée », a dit à IRIN Sofia Candeias, associée principale et coordinatrice du programme « Justice pénale » du Centre international pour la justice transitionnelle (CIJT).

« Aujourd’hui, nous savons qu’après leur intégration dans les rangs des FARDC, ces individus ont prétendument continué d’être impliqués dans des crimes graves. Le climat d’impunité régnant en RDC a permis des cycles renouvelés de violence », a-t-elle ajouté.

« Bien que la réintégration militaire ait souvent été suivie de nouvelles violences, c’est une option qui ne peut être écartée totalement, mais qui doit être supprimée progressivement avec l’émergence de nouvelles alternatives économiques », a observé Timo Mueller, un chercheur auprès du projet Enough basé à Goma.

Les bailleurs de fonds soutiennent-ils le plan DDR3 ?

Pas tout à fait. Bien que le concept général du DDR3 ait reçu l’appui de la communauté internationale et des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, pour l’heure les bailleurs de fonds n’ont que peu contribué aux 100 millions de dollars US que devrait coûter l’opération selon les estimations du gouvernement.

Leur hésitation semble être liée à des préoccupations relatives au coût du déplacement massif de combattants à une telle distance de leur région d’origine, et au manque de détails quant à la phase de réinsertion – qui se trouve trop souvent être le point faible des programmes DDR à travers le monde.

« Nous n’avons pas le sentiment qu’il soit tout à fait prêt », a dit Russ Feingold, l’émissaire des États-Unis pour la région des Grands Lacs et la RDC. « Il faut que le programme soit crédible pour qu’ils [les anciens combattants] s’y rallient. »

« Nous avons visité l’une des infrastructures du projet DDR », a dit M. Feingold. « Les choses étaient organisées de telle sorte qu’il semblait plausible que des gens y soient conduits en sécurité et y restent pour ce volet – la démobilisation. La suite semblait franchement plus incertaine. Où iront-ils ? Comment seront-ils réinsérés dans la communauté ? Et leurs familles ? »

M. Feingold a dit que la question de savoir si le plan DDR3 serait un succès « restait entière ».

D’après M. Kobler, les bailleurs de fonds souhaitent une « simplification » du programme.

« La MONUSCO s’occupe de la coordination, en cherchant à déterminer quels bailleurs de fonds souhaitent apporter leur soutien, et les autres », a-t-il dit.

En visite à la base militaire de Bweremana, non loin de Goma, où plus de 2 500 combattants se sont rassemblés pour participer au plan DDR, l’ambassadeur de l’Union européenne (UE) en RDC, Jean-Michel Dumont, a dit que l’UE attendait de voir comment le gouvernement prévoyait d’organiser la réinsertion avant de décider du montant de son soutien.

« C’est un processus qui doit être volontaire, accompagné et préparé. Et donc, en fait, je suis un peu venu voir ici comme les choses se passent et pour un peu nous faire une idée sur l’apport, l’appui que nous pourrons apporter au gouvernement congolais », a-t-il dit.

M. Mende a dit que le gouvernement était « prêt à travailler avec les organisations et les partenaires de développement », tout en soulignant que le dernier mot incombait à la RDC.

« Personne ne peut nous dicter quoi faire. Ils doivent apporter leur soutien au programme, car nous savons ce qui est nécessaire », a-t-il dit à IRIN. « Nous mettrons le programme à exécution avec le peu de ressources dont nous disposons si les agences refusent de le financer. »

Pourquoi le « R » de DDR est-il si important ?

Il est relativement aisé de désarmer un combattant et de le faire sortir des rangs d’un groupe rebelle. La pérennisation de ce retrait est souvent la composante la plus complexe et la moins réussie des plans DDR.

« Une procédure DDR réussie ne doit pas se contenter de désarmer physiquement les anciens combattants, elle doit s’appliquer à les désarmer mentalement, ce qui implique de les doter de nouvelles capacités allant au-delà de la combativité et de leur garantir des moyens de subsistance alternatifs », a dit à IRIN Stephen Oola, analyste en justice transitionnelle et gouvernance pour le projet de loi sur les réfugiés de l’université de Makerere en Ouganda.

« Les programmes de réintégration réussirent rarement à doter les soldats démobilisés de moyens de subsistance à long terme » en RDC, fait valoir le rapport conjoint Vallée du Rift/projet Usalama.

« Si les anciens combattants ont des perspectives d’emploi à long terme dans des projets de développement communautaires, comme la construction de routes, et perçoivent un salaire régulier, ils seront bien moins tentés de retourner dans la brousse et de réintégrer un groupe armé », a dit M. Sawyer de HRW.

« Pour que ça marche, une surveillance rigoureuse des financements et des dépenses du programme est nécessaire, ainsi qu’un suivi communautaire à long terme. »

Dans les précédents programmes DDR de RDC, le volet réinsertion n’avait pas réuni les fonds nécessaires et a parfois fait l’objet de détournements de fonds.

Les plans DDR sont-ils une panacée pour la stabilité de l’est de la RDC ?

Non. Bien qu’il s’agisse très certainement d’une condition préalable à la stabilisation de la région, la DDR est généralement considérée comme n’étant qu’une composante d’initiatives plus vastes, telles que l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération (PSCF) pour la République démocratique du Congo et la région ou encore la Stratégie internationale de soutien à la sécurité et la stabilité (ISSSS) de l’est de RDC.

Le PSCF a été ratifié par 11 pays africains à Addis Abeba en février 2013, et expose l’obligation pour le gouvernement de la RDC, les gouvernements régionaux et la communauté internationale d’agir avec fermeté « pour mettre un terme aux cycles de violence récurrents ». La ISSSS a pour objectif d’améliorer la sécurité, le dialogue politique et l’autorité de l’État, ainsi que de réduire la violence sexuelle ; elle est assurée par la MONUSCO, des agences des Nations Unies, des ONG internationales et des entrepreneurs privés.

« En cas de mauvaise gestion et d’échec, le plan DDR n’aura servi à rien, si ce n’est à permettre la reprise ou l’éclatement de nouvelles formes de conflit comme nous l’observons actuellement au Soudan du Sud », a prévenu M. Oola.

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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