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Changement de pouvoir sur fond d’exécutions publiques en RCA

French troops patrol a street in Bangui as the body of a man lynched by a mob burns in the distance. Nicholas Long/IRIN
French troops patrol a street in Bangui as the body of a man lynched by a mob burns in the distance.
Deux meurtres commis ce week-end sous les yeux des médias et des Casques bleus français en République centrafricaine (RCA) soulèvent des questions quant à l’insécurité et aux rapports de force dans la capitale, Bangui.

Des reporters d’IRIN et d’autres médias étaient présents lorsque deux hommes ont été tués et leurs corps brûlés à un rond-point de l’Avenue Boganda, dans le sud de la ville, le 19 janvier.

Une patrouille de l’armée française faisant partie de la mission de maintien de la paix Sangaris était également sur les lieux dans un véhicule blindé. On ignore cependant si les exécutions dont ont été témoins les journalistes étaient clairement visibles pour ces soldats ou s’ils étaient dissimulés par la fumée et la foule.

Ces deux assassinats ont été commis vers dix heures du matin, après le blocage d’une rue menant au rond-point par un groupe de jeunes hommes à l’aide de pierres et de pneus enflammés.

Selon un témoin, qui a préféré ne pas révéler son nom, les jeunes hommes protestaient car, la veille, « des musulmans [avaient] enlevé un chauffeur de taxi et [l’avaient] exécuté à Kilomètre Cinq », un quartier à majorité musulmane.

« Les musulmans accusent certains chauffeurs de taxi de livrer des musulmans aux Centrafricains pour qu’ils soient exécutés », a-t-il ajouté.

La Seleka, une coalition à majorité musulmane, a pris le pouvoir à Bangui en mars de l’année passée. Depuis, les violences se sont multipliées entre les ex-Seleka (la coalition a depuis été démantelée officiellement, mais pas en pratique) et des groupes non-musulmans.

Les attaques aveugles de la part de la milice non-musulmane connue sous le nom d’anti-balaka (terme qui pourrait se traduire par « invincible ») et les représailles des ex-Seleka ont fait au moins 750 morts à Bangui début décembre. Selon un rapport de Médecin Sans Frontières de la semaine dernière, le principal hôpital de la ville continue de recevoir 20 blessés par jour en moyenne.

Le 20 janvier, Amnesty International a exhorté la nouvelle présidente intérimaire, Catherine Samba-Panza, qui entrait en fonction le jour même, de maîtriser les milices anti-Balaka « hors de contrôle » qui poussent actuellement les musulmans à fuir massivement.

Selon l’organisation non gouvernementale (ONG), les quartiers musulmans de Boali, une ville située à environ 80 km au nord-ouest de la capitale, se sont vidés de leurs habitants. Les musulmans auraient également fui massivement les villes de Bossembélé, Yakolé, et Boyali, ainsi que des villages plus petits et de nombreux quartiers de Bangui.

Le 19 janvier, vers 9 h 30, une foule a remonté l’Avenue Boganda vers la patrouille de l’armée française, stationnée à environ 100 mètres du rond-point.

Un groupe d’hommes s’est arrêté à environ 50 mètres de la patrouille. Ils semblaient frapper quelqu’un à terre. Peu après, des tirs de semonce ont été lancés et la patrouille s’est avancée, dispersant la foule qui a battu en retraite dans une rue adjacente.

Une quinzaine de minutes plus tard, la foule s’est redirigée vers le rond-point, où des jeunes ont placé un nouveau pneu à 30 mètres environ du véhicule blindé de l’armée française. Ils ont alors jeté un corps sur le pneu, l’ont imbibé d’essence et y ont mis le feu. Un peu plus tard, une autre victime a été traînée vers le pneu, abattue à coups de hache, puis brûlée. Les Casques bleus, qui avaient reçu des renforts, ne sont pas intervenus à ce moment-là.

Témoin de la scène, Robert Demobenga, a dit à IRIN que la première victime était à moto lorsqu’elle a été arrêtée au niveau du rond-point. La foule aurait demandé au motocycliste s’il était au courant du meurtre du chauffeur de taxi et s’il était impliqué.

« Il a dit qu’il n’était pas au courant et ils l’ont exécuté – ils l’ont passé à tabac », a dit M. Demobenga.

« Ils l’ont tué parce qu’ils ont trouvé une liste de noms de jeunes Centrafricains dans sa poche », a dit le témoin qui a préféré garder l’anonymat.

Selon lui, les assaillants auraient brûlé la liste, « car ils étaient en colère ».

Le lieutenant-colonel Thomas Mollard, porte-parole de l’opération Sangaris, a dit à IRIN que la patrouille avait réussi à sauver deux personnes de la foule ce jour-là, mais n’était pas parvenue à secourir un troisième homme.

Les soldats de l’opération Sangaris ont réagi à un autre incident grave ce même jour, lorsqu’une patrouille a été appelée pour protéger environ 1 000 musulmans qui avaient cherché refuge dans une église de Boali, à quelque 90 km de Bangui. Quatre personnes y auraient été tuées et l’intervention de la mission a probablement évité des pertes de vies humaines plus grandes encore.

Le prêtre catholique de Boali avait bravé les menaces de la milice anti-balaka en ouvrant l’église aux musulmans.

Des Casques bleus mal équipés

Thierry Vircoulon, analyste pour International Crisis Group à Bangui, a dit à propos des incidents de l’Avenue Boganda que les Casques bleus n’étaient « pas équipés pour maîtriser des foules », qu’ils n’avaient pas de balles en caoutchouc ni de gaz lacrymogènes et qu’ils n’étaient pas entraînés pour tenir ce rôle.

Selon lui, la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA) dispose d’un service d’ordre, mais celui-ci manque d’effectifs et d’équipements pour mener à bien son mandat.

En décembre, les troupes tchadiennes participant à la MISCA ont été sévèrement critiquées pour avoir ouvert le feu sur des foules violentes à Bangui. Depuis, a dit M. Vircoulon, les Tchadiens se font discrets.

« Aucun d’entre nous ne veut rester ici. Nous ne pouvons aller nulle part à Bangui. Nous sommes coincés »
En attendant, a-t-il dit, la situation sécuritaire à Bangui a changé, car les ex-Seleka n’ont plus le pouvoir.

Jusqu’à mi-décembre, « les ex-Seleka avaient le contrôle », a dit M. Vircoulon, mais ils sont depuis confinés dans leurs baraquements et leurs armes sont inventoriées dans un système contrôlé par les Casques bleus.

Certains civils continuent de signaler la présence d’ex-Seleka dans leur quartier, mais ces derniers ne semblent plus contrôler aucune route principale pendant la journée. Plusieurs ex-Seleka présumés ont été lynchés ces dernières semaines.

Un porte-parole de l’opération Sangaris, le lieutenant-colonel Sébastien Pelissier, a dit récemment que les ex-Seleka ne provoquaient pas plus de troubles que les autres milices et qu’ils étaient effectivement confinés dans leurs baraquements.

Il reste certainement quelques musulmans armés dans certains quartiers, mais de nombreux combattants musulmans auraient quitté Bangui.

Environ 18 000 musulmans, principalement tchadiens, ont été évacués au Tchad et d’autres ont quitté Bangui pour se rendre au Soudan, au Cameroun et dans les provinces centrafricaines voisines.

Cela se traduit par une puissance de feu nettement réduite pour les ex-Seleka, mais également par une vulnérabilité accrue des civils musulmans à la violence populaire.

La sécurité s’est améliorée à Bangui, mais les anti-balaka et d’autres groupes anti-musulmans ont continué à attaquer des civils musulmans. Le 19 janvier et une semaine avant, les médias ont été invités à assister à un film montrant un homme en train de manger de la chair humaine appartenant, selon ses dires, à un musulman assassiné.

« Le principal problème, qui n’est pas encore résolu, c’est de savoir quoi faire des ex-Seleka », a commenté M. Vircoulon. « Le deuxième problème, c’est de savoir comme prévenir de nouvelles violences interethniques et cela signifie qu’il faut pouvoir maintenir l’ordre dans Bangui. »

Reconstituer un réseau sécuritaire

Au cours de la semaine passée, depuis la démission du président intérimaire, Michel Djotodia, des éléments de la police, de la gendarmerie et de l’armée centrafricaines ont regagné leurs rangs. Ils étaient auparavant trop intimidés par les ex-Seleka pour se présenter à l’appel.

Des bailleurs de fonds ont pour projet de rouvrir les postes de police. Selon M. Vircoulon, cela ne peut se faire qu’en étroite collaboration avec le nouveau gouvernement, qui est en cours de formation après l’élection de Mme Samba-Panza.

Cette dernière a dit à la BBC, à propos des troupes africaines et françaises déployées en RCA, que « les effectifs actuels ne sont pas suffisants pour rétablir l’ordre et la sécurité ».

La France dispose actuellement de 1 600 soldats en RCA et 4 400 autres y ont été déployés par divers pays africains. Plusieurs centaines de soldats devraient bientôt être envoyés dans le pays par l’Union européenne.

Des plans ont été mis en place pour permettre aux services de sécurité de la RCA de constituer des patrouilles mixtes avec les Casques bleus.

En attendant, la sécurité pourrait être en train de se détériorer en province. Le Programme alimentaire mondial (PAM) a signalé le 19 janvier que, dans la ville de Bouar, des employés des Nations Unies et des familles avaient cherché refuge dans son enceinte et que les combats entre les ex-Seleka et les anti-balaka avaient repris à Sibut, quelques jours seulement après une réconciliation entre les deux groupes négociée par le maire.

Le 17 janvier, un attentat à la grenade contre un convoi de musulmans à Bouar aurait fait 10 morts et 50 blessés.

Musulmans pris pour cible


Des dizaines de milliers de musulmans, étrangers pour la plupart, ont quitté la RCA au cours des deux derniers mois. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM), qui a aidé aux évacuations, estime que les musulmans représentent environ 15 pour cent des près de cinq millions d’habitants du pays.

Dans le pire des cas, une grande partie des musulmans de RCA pourraient être la cible de violences interethniques.

Jacques Seurt, coordinateur de l’OIM en RCA, a loué l’opération Sangaris et la MISCA pour leur soutien aux convois d’évacuation à Bangui. Il a cependant commenté qu’il ne pensait pas que les deux missions aient des effectifs suffisants pour protéger les évacuations de musulmans de l’intérieur.

M. Seurt a cependant remarqué que les troupes tchadiennes avaient protégé des convois terrestres transportant jusqu’à 2 000 personnes à la fois.

Des Tchadiens et des citoyens centrafricains d’origine tchadienne qui s’étaient rassemblés à l’aéroport de Bangui pour prendre un avion pour le Tchad le 19 janvier ont appelé à une plus grande protection de la part des troupes de l’opération Sangaris et de la MISCA. Plusieurs d’entre eux ont loué le contingent burundais de la MISCA, disant qu’il faisait du bon travail.

« Les Burundais protègent les nôtres et ne les désarment pas lorsqu’ils battent en retraite, a dit un homme, tandis que les autres les désarment et les poussent parfois vers leurs ennemis. »

Le groupe évacué le 19 janvier était presque uniquement composé de réfugiés tchadiens et de leur famille. Après consultation du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), ils avaient décidé qu’il serait moins dangereux pour eux de rentrer au Tchad que de rester en RCA. Le HCR a dit qu’il surveillerait leur situation pour s’assurer qu’ils ne soient pas persécutés au Tchad.

L’une des personnes à charge de l’un des réfugiés, un jeune homme du nom de Mahmat Addam, a dit que son oncle Bashir était l’un des deux hommes brûlés sur l’Avenue Boganda le matin même.

Il a dit à IRIN qu’il était avec son oncle ce matin-là, avant que ce dernier n’aille recouvrer une dette au marché.

« Il a été tué sur le chemin du retour et je suis sûr que c’est par des gens qui le connaissaient », a dit M. Addam.

« Aucun d’entre nous ne veut rester ici. Nous ne pouvons aller nulle part à Bangui. Nous sommes coincés. »

nl/rz-ld/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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