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Insécurité accrue par les conflits fonciers en Afghanistan

Semi-nomadic Kuchis say they are getting pushed off their rangeland with land rights still not clearly established in Afghanistan Bethany Matta/IRIN
Il y a cinquante ans, le grand-père de Dost Mohammad possédait 1 000 moutons, qui paissaient sur le terrain de sa famille à la périphérie de la ville de Kunduz, en Afghanistan. Le nombre de têtes de bétail appartenant à sa famille s’est fortement réduit depuis, tout comme la taille du terrain.

« Nous sommes repoussés de plus en plus loin », a dit M. Mohammad. « Nous avons aussi des problèmes pour conduire nos moutons dans le Badakhchan. On nous tuera aujourd’hui si nous amenons nos moutons là-bas. »

Au cours des dix dernières années, les conflits fonciers sont devenus de plus en plus courants dans l’ensemble du pays. Ils sont le résultat de plusieurs facteurs qui changent la situation sur le long terme : dégradation de l’environnement, concurrence sur les terres en milieu rural et urbain, taux d’accroissement démographique élevé et retour de 4,6 millions d’Afghans qui s’étaient réfugiés dans les pays voisins depuis une dizaine d’années. Les élections présidentielles, prévues pour 2014, avivent également les tensions.

Les tentatives de résolution de ces problèmes ou d’amélioration du système foncier se sont généralement soldées par un échec. Selon les analystes, le nombre de conflits risque d’ailleurs d’augmenter.

« Ce sera le prochain grand conflit en Afghanistan », a averti Barmak Pazhwak, responsable de programme de l’Institut des États-Unis pour la paix (USIP), dans un récent rapport. « C’est très dangereux, car le conflit touchera l’ensemble du pays et sera impossible à maîtriser. »

Dans une enquête menée par Oxfam en 2008, les personnes interrogées considéraient les problèmes fonciers comme la principale cause d’insécurité. « En raison de la profusion d’armes, ces désagréments peuvent facilement dégénérer et déclencher des violences », a dit Oxfam. Les combats qui ont opposé les forces gouvernementales et internationales aux rebelles, dont le retentissement a été bien plus grand, étaient considérés comme beaucoup moins importants.

Il y a deux mois, à Deh Sabz, au nord de Kaboul, des échanges de tirs entre la police et des habitants ont fait neuf morts et un nombre bien plus élevé de blessés, selon un rapport de l’Afghanistan Analysts Network. Le conflit concernait la construction de la « Nouvelle Kaboul », sur un territoire utilisé comme pâturage par la population locale et les Kuchis [groupe pachtoune semi-nomade]. La communauté disait avoir acheté ces terres à des personnes influentes du coin.

Accaparement des terres

La cause la plus connue de conflit foncier est l’accaparement des terres. « Une gestion foncière faible et incohérente, la corruption endémique et l’insécurité ont permis un accaparement opportuniste des terres par de puissantes élites, appelées “mafia foncière” par la population locale », est-il écrit dans un rapport récent du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE).

« Jusqu’à présent, le gouvernement a fait preuve d’un manque de capacité ou de volonté pour résoudre le problème de l’accaparement des terres de manière systématique », est-il écrit dans le rapport.

« À l’approche des élections présidentielles, les chefs de guerre et les membres influents du gouvernement sentent que c’est maintenant qu’ils ont le pouvoir et qu’ils doivent donc rassembler le plus de terres et d’argent possible », a dit à IRIN Barakzai Mukhtasar, directeur des Affaires kuchis à Kunduz.

« En raison de la profusion d’armes, ces désagréments peuvent facilement dégénérer et déclencher des violences »
« La “mafia foncière” n’existait même pas à Kunduz il y a deux ans, mais [sa] présence augmente maintenant de jour en jour. C’est très grave, car les victimes sont des civils et notamment des Kuchis, qui ont peu de pouvoir [politique]. Ils ne peuvent rien faire, car les personnes qui prennent les terres occupent des postes haut placés au sein du gouvernement. »

Systèmes traditionnels et officiels

La propriété foncière est régie par un patchwork de systèmes officiels ou non : le Code civil, la charia, le droit coutumier et le droit législatif.

Selon un rapport de l’Afghanistan Research and Evaluation Unit (AREU), l’Autorité foncière afghane a récemment été chargée de modifier la loi de 2008 relative à la gestion des terres, ce qui ressemble le plus à une loi foncière nationale dans ce pays.
Les chercheurs et les analystes disent cependant que de nombreux amendements ont été apportés aux lois foncières du pays au cours des dix dernières années, avec peu de résultats, et que les lois n’abordent pas de la bonne manière la principale question, à savoir comment créer un système de droits de propriété clair et juridiquement obligatoire.

« Si la loi foncière peut être appliquée dans l’ensemble du pays, ce serait une bonne solution », a dit M.Mukhtasar. « Même dans notre constitution, les terres agricoles et les pâturages sont régis par des lois et des procédures, mais la loi est souvent enfreinte et rarement appliquée. »

En 2009, l’USIP a financé une série de projets pilotes sur la résolution traditionnelle des conflits dans plusieurs districts à travers tout le pays. Les projets étaient basés sur l’idée que l’introduction de procédures officielles dans la gestion des conflits fonciers — telles que des références écrites, des enregistrements et des archivages — finirait par instaurer un système plus fort avec ses règles et ses règlementations. Ainsi, la population pourrait commencer à avoir davantage recours aux procédures juridiques officielles qu’aux « jirgas » — des organes non officiels de prise de décision — pour les affaires les plus graves comme les crimes.

L’étude de l’USIP a cependant révélé que la plupart des communautés montraient une certaine résistance aux procédures officielles d’enregistrement. Le sentiment général était que les procédures formelles ne donnaient pas de résultats concrets et entraînaient en revanche des coûts sociaux, économiques et sécuritaires élevés. De nombreuses personnes craignaient que les propriétés foncières enregistrées en Afghanistan — le troisième pays le plus corrompu du monde, selon Transparency International — deviennent une cible pour l’accaparement des terres, une surimposition par l’État et des demandes de pots-de-vin.


En revanche, les autorités locales renvoient généralement les petits différends fonciers aux systèmes de justice non officiels, comme les « shuras » — des assemblées locales. Le recours aux organes de justice officiels et à l’enregistrement des décisions pour les conflits fonciers de plus grande importance dépend de la valeur de la propriété et de la réputation des autorités locales. Plus les autorités sont corrompues, moins la population signale les conflits.

Des variations ont été observées selon les zones. Dans des provinces comme celle de Kunduz, où les conflits fonciers sont moins nombreux et les titres de propriété plus courants, les parties en conflits étaient plus enclines à enregistrer leur différend ou chercher à obtenir un agrément officiel. Mais à Nangarhar, où l’accaparement des terres et la corruption sont plus habituels et où les titres de propriété officiels sont rares, la majorité des habitants disaient ne pas vouloir signaler leurs différends au gouvernement.

Trouver des solutions

Selon un rapport d’Afghanistan Watch, sur la demi-douzaine de programmes de renforcement de la paix visant à résoudre les conflits fonciers entre les Kuchis semi-nomades et les Hazaras sédentaires, aucun n’a encore « pénétré la conscience de la population, ni conduit à une solution durable et le conflit semble donc encore difficile à résoudre. »

Certains programmes ont cependant donné quelques résultats.

Selon le rapport d’Afghanistan Watch et les analystes qui ont parlé à IRIN, le projet PEACE est celui qui a été le plus efficace à ce jour. Lancé en 2006, le projet met l’accent sur la gestion des ressources naturelles, l’une des causes sous-jacentes de conflit dans les communautés pastorales. Il fournit des informations sur les conditions de pâture, les prix et les élevages et facilite la résolution des conflits en conduisant souvent à des accords à l’amiable et une amélioration des compétences en matière de gestion des conflits dans la communauté.

Le Rural Land Administration Project (RLAP), financé par la Banque asiatique de développement, connaît également un certain succès. Selon Tim Luccarro, responsable de programme de l’USIP, le RLAP enregistre les droits de propriété sur lesquels la communauté s’est mise d’accord. Une fois que les accords fonciers rédigés devant notaire sont archivés, ils sont transférés à des niveaux plus élevés d’autorité. Détail non négligeable, les shuras et les institutions coutumières locales — qui ont tendance à avoir le plus d’influence sur les communautés locales — sont incités à participer à l’administration locale des terres. Le RLAP dispose également d’un programme de formation des employés gouvernementaux.

L’équipe du RLAP a découvert qu’il était non seulement possible de formaliser les droits des communautés locales aux pâturages, mais que c’était relativement simple. Les chefs de village sont en effet plutôt enclins à tenir les registres et les mettre à jour le cas échéant.

Besoin de volonté politique

Selon M. Luccarro et Renard Sexton, auteur de l’ouvrage Natural Resources and Conflict in Afghanistan (Ressources naturelles et conflit en Afghanistan), publié par l’AREU, le plus important dans la gestion des conflits en Afghanistan est de reconnaître que des conflits fondamentalement politiques nécessitent des solutions politiques. Selon M. Sexton, des réponses techniques ou juridiques n’auront qu’un impact superficiel.

« L’idée n’est pas nouvelle (les gens savent cela depuis des années) », a-t-il écrit à IRIN. « Ce qui est frustrant, c’est que même en sachant cela, la plupart des projets intervenant dans le secteur des ressources (surtout ceux qui sont financés par l’étranger) continuent de se concentrer sur des solutions techniques, juridiques ou normatives qui ont un impact minime à long terme. »

M. Luccarro est du même avis : « Qu’ils soient dus à une utilisation de la terre comme une ressource distribuée par les fonctionnaires d’État pour renforcer leur réseau de soutien, qu’ils soient la preuve de la nature extractive du gouvernement central, ou qu’ils soient une source concrète de mobilisation des identités politiques, les plus grands conflits fonciers du pays ont tendance à avoir une forte dimension politique que les programmes techniques ne pourront généralement pas résoudre. »

bm/jj/rz-ld/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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