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Quel avenir pour la participation du secteur privé dans l’aide humanitaire ?

A Coca-Cola kiosk in Tanzania. In partnership with the Global Fund to Fight AIDS, Tuberculosis and Malaria, Coca-Cola has helped Tanzania's Ministry of Health improve its supply chain so that medicines can reach remote parts of the country, the way soft d Charlotte Nordahl/Flickr

La participation du secteur privé à l’action humanitaire a augmenté de manière régulière ces dix dernières années et jouera probablement un rôle encore plus grand dans l’Agenda pour le développement post-2015.

« Face à la diminution des ressources et à la multiplication des catastrophes et des crises [...], il est impératif de mobiliser des ressources innovantes », a dit Mamissa Mboob, de la nouvelle section du secteur privé du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA). « Nous n’avons presque pas le choix [...] Le système humanitaire a atteint les limites de ses capacités [...] Il devient évident qu’aucune entité ne peut à elle seule résoudre beaucoup de ces problèmes mondiaux. »

Cependant, selon les chercheurs et les professionnels, les organisations d’aide humanitaire et les entreprises nouent trop souvent des partenariats sans avoir une idée claire de leurs objectifs, des valeurs qu’elles partagent ou non et des avantages comparatifs pour chacune. Ces projets de partenariat ne sont donc souvent pas renouvelés et n’ont que peu d’impact. Selon les experts, pour que le battage autour du secteur privé ait des conséquences positives et durables, les organisations d’aide humanitaire comme les entreprises doivent prendre du recul, évaluer les impacts de tels partenariats et déterminer les meilleures pratiques.

Croissance

Si les partenariats public-privé sont courants dans les projets de développement depuis plusieurs dizaines d’années, le phénomène est bien plus récent dans le domaine de l’aide humanitaire. La participation du secteur privé dans ce domaine a commencé dans les années 1990, mais elle ne prend réellement de l’ampleur que depuis une quinzaine d’années et s’est véritablement intensifiée après le tsunami de 2004 dans l’Océan indien.

Selon une étude publiée par Development Initiatives en 2012, la part des financements privés dans l’ensemble des interventions humanitaires est passée de 17 pour cent en 2006 à 32 pour cent en 2010 (totalisant 5,8 milliards de dollars cette année-là).

Ces dernières années, de grandes agences des Nations Unies comme le Programme alimentaire mondial (PAM), le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) ont mis sur pied des unités bien dotées en personnel chargées d’attirer la participation du secteur privé. Le Fonds central d’intervention d’urgence (CERF), dirigé par OCHA, a vu le nombre de ses bailleurs de fonds privés passer de deux à vingt-deux entre 2006 et 2010.

Depuis que le PAM a mis au point une stratégie en la matière en 2008, le secteur privé est devenu son septième plus grand donateur. Cela reste « une goutte d’eau dans l’océan » comparé aux fonds investis par les gouvernements, mais le PAM s’est fixé comme objectif de récolter un milliard de dollars par an en promesses de dons de la part du secteur privé d’ici cinq à dix ans, d’après Ashraf Hamouda, responsable de la section partenariats et développement commercial du PAM au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, en Europe de l’Est et en Asie Centrale.

Dans l’ensemble, les organisations humanitaires n’ont pas réussi à tirer parti du secteur privé. Dans un rapport de 2011, le Humanitarian Futures Programme (HFP) du King’s College de Londres a décrit les contributions commerciales comme un « phénomène de niche » largement ponctuel et opportuniste.

Development Initiatives a découvert en 2010 que 56 pour cent du revenu des organisations non gouvernementales (ONG) provenait de bailleurs de fonds privés. Pourtant, seulement huit pour cent des budgets des agences humanitaires des Nations Unies sont issus de financements privés. En outre, plus des trois quarts des fonds privés provenaient de particuliers, ce qui signifie que les entreprises et les fondations privées étaient largement sous-exploitées.

« Selon les principes fondamentaux de l’économie, chaque groupe a un avantage comparatif et celui du secteur privé n’a pas été exploité au maximum de son potentiel », a dit Lucy Pearson, administratrice de programme pour le Humanitarian Futures Programme.

Blocages

Un manque de compréhension demeure, ainsi qu’une forte dose de méfiance et ce que certains experts ont appelé un « choc des cultures » entre le milieu de l’humanitaire et le secteur privé.

« Les humanitaires sont “très mal à l’aise” avec le secteur privé », a dit John Holmes, ancien coordinateur des secours d’urgence et actuel coprésident de l’International Rescue Committee britannique, lors d’un évènement il y a quelques mois. « L’appareil humanitaire et le secteur privé ne savent pas comment communiquer entre eux. »
 


Les ONG considèrent souvent les entreprises comme les « méchants » qui participent au problème et non à la solution. Les bénéficiaires sont par ailleurs parfois sceptiques concernant l’aide fournie par des entités commerciales.

Mais on constate un intérêt croissant des deux côtés : les humanitaires souhaitent diversifier leurs sources de financement et adopter des approches, des compétences et des technologies innovantes ; tandis que les entreprises cherchent à améliorer leur image de marque, à motiver et garder leurs employés et à pénétrer de nouveaux marchés. De plus en plus, plutôt que de simplement aspirer à une meilleure image, les entreprises privées considèrent l’investissement dans la réduction des risques de catastrophes comme essentiel pour la continuité de leurs activités. Dans de nombreux cas, c’est d’ailleurs le secteur privé — et non les organisations humanitaires — qui intervient en premier.

Si ces partenariats constituent l’avenir de l’humanitaire, quelles sont donc les leçons à tirer des expériences passées ?

Plus qu’une simple source d’argent

L’un des principaux points à retenir est de ne pas traiter le secteur privé comme une simple source d’argent.

« Il s’agit moins d’argent que de compétence et de capacité », a dit à IRIN Valerie Amos, secrétaire générale adjointe des Nations Unies aux affaires humanitaires.

Un changement a déjà été opéré et le secteur privé n’apporte plus seulement de l’aide en espèces et des dons en nature, mais partage également son expertise technique et d’autres compétences essentielles.

Sur 33 partenariats entre OCHA et des entreprises privées ou des particuliers, les plus réussis ont été l’établissement de systèmes de télécommunication en situation d’urgence par Ericcson ; l’organisation par DHL des cargaisons arrivant dans les aéroports lors de catastrophes ; et la sensibilisation du public aux besoins humanitaires par la chanteuse Beyoncé.

Un autre exemple de réussite souvent vanté vient de Tanzanie, où dans certaines régions reculées il était impossible de trouver du paracétamol, mais où l’on trouvait du Coca-Cola. En partenariat avec le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, le producteur de boissons gazeuses a alors aidé le ministère de la Santé à améliorer sa chaîne d’approvisionnement.

Les organisations font par ailleurs de plus en plus appel au secteur privé pour jouer un rôle direct dans la prestation de services. Si des organisations ont déjà noué des partenariats avec des entreprises comme Orange ou Mastercard pour permettre d’envoyer de l’argent aux personnes touchées par des catastrophes naturelles ou des conflits, les acteurs humanitaires réalisent maintenant que le secteur privé pourrait également participer à la conception de cartes de débit, par exemple, ou aux enquêtes auprès des bénéficiaires.

Partenariats stratégiques

« Nous devons non seulement évaluer l’intérêt du partenariat d’un point de vue financier, mais déterminer également dans quelle mesure cette stratégie est efficace pour atteindre nos objectifs », a dit M. Hamouda, du PAM.

Il a vu de nombreuses organisations d’aide humanitaire échouer en s’adressant au secteur privé avec une liste de souhaits à remplir.

« C’est une très mauvaise approche », a-t-il dit. Il recommande plutôt d’adapter chaque partenariat aux compétences et aux programmes de responsabilité sociale de l’entreprise visée.

« L’argent est là. La volonté est là. L’intention du secteur privé est là. Nous devons seulement faire une proposition adaptée à chaque entreprise. Il faut faire du sur-mesure. »

En outre, plutôt que de demander de l’aide au secteur privé après une catastrophe, les partenariats doivent être conclus en avance, a dit Mme Pearson, du HFP, et viser des investissements à long terme dans des domaines comme la préparation aux catastrophes.

Offrir une porte d’accès

Le secteur privé a donc davantage besoin d’un cadre dans lequel s’investir. Selon Mme Mboob, d’OCHA, l’une des principales contraintes pour le secteur privé est de ne pas savoir comme participer à l’aide humanitaire.

Un partenariat entre OCHA et le Forum économique mondial fournit aux principales organisations humanitaires une tribune pour s’adresser aux chefs de file des entreprises mondiales. Plusieurs instances — dont le Pacte Mondial créé par Kofi Annan, le Forum humanitaire des entreprises (BHF), basé à Genève, le portail de partenariat avec les Nations Unies, Global Impact, l’initiative d’aide humanitaire du Forum économique mondial et The Partnering Initiative — ont également tenté de faciliter la participation du secteur privé à l’aide humanitaire. Il n’existe cependant « pas de cadre général impliquant le [secteur privé] de manière méthodique », a précisé Mme Pearson.

En 2008, OCHA et le Forum économique mondial ont publié des principes directeurs pour le partenariat public-privé en faveur de l’action humanitaire et plusieurs organisations d’aide humanitaire ont adopté leurs propres principes internes. Selon le rapport du HFP cependant, « ces différentes lignes de conduite et méthodes de sélection génèrent souvent plus de questions que de réponses sur les normes et les principes à appliquer et où et comment les appliquer. »

Selon Mme Pearson, les gouvernements n’ont dans leur ensemble pas réussi à prendre en compte le secteur privé dans l’élaboration de plans de gestion des catastrophes. Ils font souvent appel à eux après coup plutôt que de les considérer dès le départ comme des partenaires à part entière. Les capacités du secteur privé local et notamment des petites entreprises ont été particulièrement ignorées, a-t-elle ajouté.

Flexibilité

Plusieurs organisations du secteur privé ont également dit à IRIN qu’elles trouvaient le système humanitaire trop rigide pour pouvoir collaborer avec lui.

Lorsque l’Egyptian Food Bank (EFB) a proposé d’aider le PAM dans son programme de cantines scolaires, les deux organisations ne sont pas parvenues à un accord, a dit Moez Elshohdi, directeur de l’EFB. La première offrait en effet gratuitement des repas chauds tout préparés, tandis que le système du PAM était conçu pour offrir des produits à haute teneur énergétique comme des barres aux dattes.

« Si vous travaillez avec [des entreprises du] secteur privé en tant que système humanitaire, il faut être moins réticent à prendre des risques et aussi innovant qu’[elles] », a dit Mme Mboob. « Il faut être moins rigide ».


Fathi Buhazza, fondateur et PDG d’une nouvelle organisation appelée Care By Air, un ensemble de compagnies aériennes offrant des espaces vides aux organisations d’aide humanitaire pour un certain prix, a dit à IRIN l’année dernière qu’il était surpris du peu d’intérêt porté par les organisations humanitaires à son projet. Ces dernières dépensent pourtant beaucoup d’argent pour affréter des vols lors de catastrophes.

« [Les agences des Nations Unies] suivent la même routine depuis longtemps », a-t-il dit. « “Qu’est-ce que vous y gagnerez ?” finissent-ils par demander ».

Quelle est la valeur ajoutée ?

Ce manque de compréhension mutuel fait partie du problème et est lié à un manque de recherche général dans le domaine, non seulement sur l’ampleur des dons privés, mais également sur les motifs qui les sous-tendent.

Les rares études qui existent sur le sujet ont révélé que pour être efficaces, les partenaires doivent prendre du temps pour se comprendre mutuellement, identifier un besoin spécifique, discuter des objectifs communs et des limites de chacun, souligner la valeur ajoutée apportée par chaque partie et réévaluer sans cesse l’impact du partenariat.

Selon Gilles Carbonnier, professeur à l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève et ancien chef des relations avec le secteur privé de la direction générale du Comité international de la Croix-Rouge, ces conditions sont rarement respectées.

« Il n’existe pas de rapport sur [...] l’impact spécifique des partenariats entreprise-organisation humanitaire en terme de vies sauvées, d’allègement des souffrances et de protection de la dignité humaine », a-t-il dit lors d’une conférence sur l’aide humanitaire à Dubaï cette année. « C’est certainement une lacune. »

Pas de remède miracle

L’examen permanent des pratiques devient d’autant plus important que les organisations humanitaires étendent le spectre de leurs partenariats.

Il y a quelques années, les « intouchables », à savoir les entreprises tirant des profits de la vente d’armes, d’alcool, de tabac ou des jeux d’argent, comprenaient le secteur bancaire et l’industrie extractive. Or l’amélioration des structures de gouvernance adoptée après la crise financière de 2008 et la pression exercée sur les entreprises pour qu’elles respectent l’environnement pourraient ouvrir la voie à des partenariats « responsables » dans ces secteurs, a dit M. Hamouda.

Le secteur privé a également des chances d’être impliqué dans d’autres domaines que les secours après les catastrophes, comme le relèvement et la réduction des risques de catastrophes.

Mais, finalement, les partenariats ont leurs limites.

« Le partenariat n’est pas nécessairement la réponse à tous les maux de ce monde », a conclu en 2008 une étude de World Vision sur les partenariats entre les ONG et les entreprises. « Les coûts des transactions qu’implique le partenariat peuvent être élevés et bien supérieurs aux bénéfices des parties prenantes. Parfois, un partenariat est tout simplement trop lourd pour une situation qui nécessite seulement une action directe dans un secteur. »

« Le secteur privé constitue bien plus une opportunité qu’une menace »

Les partenariats avec des entités commerciales se sont heurtés à la résistance de différents acteurs. Après le lancement du Pacte Mondial, qui invite les entreprises à collaborer avec les Nations Unies et à adopter ses principes, des ONG ont accusé M. Annan de menacer la réputation des Nations Unies en « bleuissant » les entreprises avec la couleur du drapeau de l’organisation et son approbation. Certains craignent qu’une trop grande implication du secteur privé renforce le contrôle des bailleurs de fonds sur les opérations et affecte l’impartialité de l’aide.

Cependant, tant que chaque partie reconnait et respecte l’avantage comparatif de l’autre, « le secteur privé constitue bien plus une opportunité qu’une menace », a insisté Mme Pearson.

ha/cb-ld/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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