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La culture du doute nuit aux demandeurs d’asile

Francis William, a Tanzanian migrant living in Athens, shows his temporary asylum seeker document after his office was smashed up by a racist mob Kristy Siegfried/IRIN
Francis William, a Tanzanian migrant living in Athens, shows his temporary asylum seeker document after his office was smashed up by a racist mob
À leur arrivée dans les pays hôtes, la majorité des demandeurs d’asile se trouvent incapables d’apporter la preuve des persécutions qu’ils ont subies. Ainsi, les chances de voir aboutir leur demande de statut de réfugié dépendent en grande partie de la vraisemblance de leur récit. Cependant, la crédibilité des demandeurs d’asile est de plus en plus souvent remise en cause, particulièrement dans les pays qui reçoivent de nombreuses demandes d’asile.

Certains migrants qui n’ont aucun espoir d’obtenir un visa de manière légitime inventent des histoires de persécutions pour acquérir le statut de réfugié ; cela a contribué au fait que tous les demandeurs d’asile sont perçus comme des personnes malhonnêtes, dont il faut se méfier. Cette opinion semble s’être ancrée dans l’esprit de nombreux agents chargés de déterminer le statut de réfugié.

Un rapport établi en 2012 par le Conseil irlandais pour les réfugiés a montré que les autorités chargées de déterminer le statut de réfugié des demandeurs d’asile en Irlande sont imprégnées de la « culture du doute ». Seulement cinq pour cent des demandes de statut de réfugié ont été approuvées en 2011, soit moins de la moitié du taux moyen d’acceptation des demandes de statut de réfugié en Europe.

Le Royaume-Uni a accepté 23 pour cent des demandes d’asile déposées en 2011. Selon un rapport récent d’Amnesty International, 25 pour cent des décisions de rejets de demandes d’asile ont été annulées en appel au cours des trois dernières années. Dans 84 pour cent de ces dossiers analysés dans le cadre de ce rapport, la première raison invoquée par les juges de l’immigration était que l’agent chargé du dossier avait commis des erreurs dans l’évaluation de la crédibilité du demandeur.

Le guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, élaboré par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), ne présente pas de principes applicables à l’évaluation de la crédibilité. Il indique toutefois que, si un demandeur n’est pas en mesure d’étayer ses déclarations par des preuves, mais que son récit paraît crédible, il faut lui accorder « le bénéfice du doute ». Il souligne également que l’examinateur ne doit pas se laisser influencer par des considérations personnelles, par exemple que le demandeur n’est pas « méritant ».

Dans les faits, les évaluations de la crédibilité reposent en grande partie sur des jugements subjectifs relatifs à l’honnêteté du demandeur. Michael Kagan, enseignant à la faculté de droit William S. Boyd (William S. Boyd School of Law) de l’université du Nevada, à Las Vegas, a étudié l’évaluation de la crédibilité dans des dossiers de demande d’asile. Il a dit à IRIN que « dans tous les pays, toutes sortes de juges font preuve d’un excès de confiance dans leur capacité à faire la différence entre les personnes qui disent la vérité et celles qui mentent.

« Depuis plusieurs siècles, nous entretenons l’idée romantique d’un juge ou d’un juré capable de lire la vérité dans les yeux d’un témoin … Ce serait fantastique si c’était vrai, mais cela ne marche pas comme ça ».

Il a ajouté que le problème était plus complexe dans le traitement des dossiers de demande d’asile que dans tout autre domaine du droit. « Ces évaluations sont réalisées avec des personnes originaires d’autres pays - avec l’aide d’interprètes – qui souffrent de traumatismes, ressentent de la honte et de la nervosité, et bon nombre de personnes honnêtes peuvent avoir des difficultés à s’exprimer avec cohérence ».

Le traumatisme sape la crédibilité

De nombreux dossiers de demande d’asile sont rejetés en raison de l’incohérence des récits. Mais Marivic Garcia, spécialiste des troubles post-traumatiques à la clinique spécialisée du Centre pour l’étude de la violence et de réconciliation à Johannesburg, a dit que les survivants de traumatismes et de la torture éprouvent souvent des difficultés à se souvenir des détails des évènements qu’ils essayent d’oublier.

Elle a dit à IRIN qu’il n’était pas rare que des victimes de traumatismes présentent un état dissociatif, qui les mène à revivre un épisode traumatique, lors des entretiens de détermination du statut de réfugié. « Lorsque les personnes entrent dans un état dissociatif, nous les aidons à gérer cette situation afin qu’elles identifient le moment où elles entrent dans cet état et qu’elles reviennent [à la réalité]. Mais la majorité de ces personnes n’ont pas bénéficié d’un soutien psychologique et c’est très problématique pour elles, car les agents chargés de déterminer le statut de réfugié n’ont pas été formés pour y faire face ».

Confrontés à de nombreux récits douloureux, les agents qui manquent de formation et de soutien peuvent connaître un épuisement émotionnel. En Afrique du Sud, où les fonctionnaires du ministère des Affaires intérieures doivent statuer sur dix demandes d’asile chaque jour, les agents en arrivent parfois à « interrompre les demandeurs d’asile qui les entraînent dans des récits douloureux, car ils sont incapables d’y faire face », a dit Mme Garcia.

« L’agent a mis fin à l’entretien. Je n’ai pas pu finir mon histoire. Il m’a dit en criant, "Pourquoi pleurez-vous ?" »
Gertrude Nkey est une des patientes de Mme Garcia. Cette femme de 51 ans a déposé une demande d’asile après avoir subi des viols dans son pays d’origine, la République démocratique du Congo. Elle a indiqué que son entretien de détermination de statut de réfugié, mené en 2011 au bureau des Affaires intérieures de Durban, avait pris fin lorsqu’elle s’était mise à pleurer. « L’agent a mis fin à l’entretien », a-t-elle dit à IRIN. « Je n’ai pas pu finir mon histoire. Il m’a dit en criant, "Pourquoi pleurez-vous ?" ».

La demande d’asile de Mme Nkey a été rejetée comme étant sans fondement, ce qu’elle a du mal à comprendre. « Comment ont-il pu dire ça après avoir entendu mon histoire ? », a-t-elle demandé, en précisant qu’elle allait faire appel de la décision.

La vérité sous les mensonges ?

Selon des spécialistes du droit des réfugiés, il importe de ne pas concentrer l’attention sur la crédibilité des demandeurs d’asile ; la crainte fondée de persécution devrait être un facteur décisif dans la détermination de l’éligibilité au statut de réfugié. Cette idée est développée dans le manuel du HCR, qui indique que « en elles-mêmes, les déclarations inexactes ne constituent pas une raison pour refuser le statut de réfugié ».

S’exprimant lors de la Conférence sur le rôle de la crédibilité dans le processus de protection internationale organisée l’année dernière à Dublin, Guy Goodwin-Gill, professeur de droit international des réfugiés à l’université d’Oxford, a dit, « Nous ne croyons peut-être pas le demandeur d’asile … mais, objectivement, nous savons bien qu’il ou elle est exposé(e) à un risque de persécution du fait de sa race, de sa religion, de son origine ethnique ou d’autres facteurs ».

Dans un article publié en 2011 sur le site openDemocracy.net, James Souter, spécialiste du droit d’asile, a souligné que des demandeurs d’asile pouvaient mentir alors qu’ils sont éligibles au statut de demandeur d’asile. « Ils peuvent mentir, parce qu’ils sont terrifiés à l’idée que leur histoire ne soit pas assez forte pour leur permettre d’obtenir la protection dont ils ont peut-être besoin », a-t-il écrit, ou ils mentent « pour répondre aux critères restrictifs définis dans le droit des réfugiés ».

Il y a quelques années, le New York Times et le New Yorker ont publié des articles sur des conseillers juridiques américains sans scrupules qui encourageaient les demandeurs d’asile à faire de fausses déclarations. Les articles soulignent que les personnes qui déposent une demande d’asile authentique font parfois de fausses déclarations, car on leur a fait comprendre qu’elles auraient davantage de chances de se voir accorder le statut de réfugié si leur récit était plus dramatique.

Besoin de formation

M. Kagan, le professeur de droit, note que, s’il n’y a pas de moyen de dissiper tout doute sur une détermination de statut de réfugié, « il y a différentes manières d’interroger une personne et de déterminer les probabilités qu’elle dise la vérité. Mais rares sont les juges de l’asile qui ont été correctement formés dans ce domaine ».

Le HCR procède à la détermination du statut de réfugié dans de nombreux pays et, selon M. Kagan, les membres de son personnel sont parmi les mieux formés. L’agence assure également des formations à l’évaluation de la crédibilité, mais son action est limitée en raison du manque de volonté des gouvernements à accepter ce genre de soutien.

M. Kagan a indiqué qu’il souhaiterait que le HCR publie un ensemble de lignes directrices sur l’évaluation de la crédibilité qui inclurait la meilleure formation et la meilleure recherche possibles. « Je pense qu’il serait particulièrement intéressant de réévaluer la manière dont nous abordons la question de la crédibilité ».

ks/rz-mg/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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