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Risques et avantages de l’assouplissement de l’embargo sur les armes en Somalie

A Ugandan soldier serving with the African Union Mission in Somalia (AMISOM) holds a rocket-propelled grenade at sunrise, on the frontline in Maslah Town, on the northern city limit of Mogadishu UN Photo/Stuart Price
Plus tôt ce mois-ci, le Conseil de sécurité des Nations Unies a assoupli un embargo sur les armes imposé il y a un certain temps déjà à la Somalie, permettant du même coup au gouvernement d’acheter des armes de petit calibre pendant les 12 prochains mois.

« Le Conseil de sécurité a décidé que l’embargo sur les armes décrété en 1992 ne s’appliquerait pas aux ventes ou aux livraisons d’armes ou de matériel militaire aux fins de développement des forces de sécurité du gouvernement, mais que les restrictions concernant les armes lourdes, comme les missiles sol-air, demeureraient en place », indique la Résolution 2093 du Conseil de sécurité, adoptée le 6 mars dernier.

Le gouvernement – ou les États membres qui livrent des armes – doit avertir le Comité des sanctions du Conseil de sécurité de toute livraison.

IRIN présente, ci-dessous, un résumé des implications de l’assouplissement de l’embargo.

Pourquoi alléger l’embargo ?

Après la chute de Siyad Barre en 1991, la Somalie a été, pendant plus de 20 ans, le théâtre d’une violence armée généralisée qui a pris la forme d’une guerre clanique et, plus récemment, d’un conflit impliquant la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM), appuyée par le gouvernement, et le groupe d’insurgés islamistes Al-Shabab.

Selon le Groupe de contrôle des Nations Unies sur la Somalie et l’Érythrée, quelque 445 cas de transferts ou de saisies d’armes, impliquant près de 50 000 armes légères et de petit calibre, ont été enregistrés en Somalie entre mai 2004 et juillet 2011. Les armes ont par ailleurs continué d’affluer par terre, air et mer en violation de l’embargo depuis des pays comme l’Érythrée, l’Éthiopie et le Yémen.

Or, après plus d’un an de stabilité relative à Mogadiscio et dans de nombreuses autres régions du sud et du centre de la Somalie, certains analystes ont exprimé le souhait de voir les Nations Unies alléger leur embargo. En février, le Heritage Institute for Policy Studies (HIPS), un groupe de réflexion basé à Mogadiscio, a exhorté les États-Unis à « faire pression pour un assouplissement progressif de l’embargo sur les armes en Somalie… afin d’assurer au gouvernement fédéral un monopole qualitatif sur les instruments de violence légitime ».

Selon le directeur du HIPS Abdi Aynte, l’assouplissement de l’embargo sur les armes pourrait « graduellement donner à l’armée nationale somalienne un avantage qualitatif sur ses principaux adversaires, y compris Al-Shabab ».

« À l’heure actuelle, les soldats de l’armée nationale somalienne se battent contre Al-Shabab avec les mêmes [vieux] AK47. Ils doivent en changer, surtout s’ils veulent, ultimement, vaincre Al-Shabab », a-t-il dit à IRIN. « Le gouvernement somalien pourrait ainsi acquérir progressivement le monopole de l’utilisation de la force légitime. En ce moment, tous les acteurs sont armés jusqu’aux dents. Ça ne changera pas du jour au lendemain, mais la situation pourrait s’inverser avec le temps. »

Dans une déclaration, le président Hassan Sheikh Mohamud a accueilli la décision de lever l’embargo comme le reflet d’une « nouvelle situation politique qui s’améliore constamment en Somalie ».

« Des milliers de recrues de l’armée nationale somalienne sont revenues en Somalie après avoir été formées par nos partenaires internationaux, mais elles n’ont pas pu s’acquitter efficacement de leurs fonctions sécuritaires aux côtés des troupes de l’AMISOM parce que le gouvernement n’avait pas accès aux équipements dont il avait besoin », a-t-il ajouté. « La levée de l’embargo sur les armes était l’élément manquant, et cette lacune est maintenant comblée. »

Abdullahi Boru Halakhe, un analyste de la Corne de l’Afrique, a dit que la résolution faisait les compromis nécessaires entre le besoin d’armes légales et la crainte d’armes illégales. « La résolution assure un juste équilibre entre les préoccupations de ceux qui croient qu’il y a encore trop d’armes dans le pays et qu’il est trop tôt pour lever l’embargo et ceux qui considèrent que le gouvernement doit pouvoir acheter des armes pour assurer la sécurité des citoyens », a-t-il dit.

Quels sont les risques ?

M. Halakhe a cependant ajouté que « même les plans les mieux conçus peuvent aller de travers ».

« Le danger immédiat, c’est que les armes finissent entre les mains de groupes comme Al-Shabab à cause de responsables du gouvernement/de la sécurité corrompus », ce qui entraînerait « une situation incroyablement difficile, dans laquelle les armes pourraient contribuer à attiser de nouveaux conflits ».

Deux jours avant la levée de l’embargo, le groupe de défense des droits Amnesty International a appelé le Conseil de sécurité des Nations Unies à maintenir l’embargo, et même à le renforcer, évoquant le risque que des groupes comme Al-Shabab fassent main basse sur encore plus d’armes.

« L’embargo sur les armes décrété contre la Somalie a été continuellement violé pendant des années, et des armes ont été livrées à des groupes armés de tous bords. Les flux d’armes à destination de ce pays ont alimenté de graves violations des droits de l’homme », a dit Gemma Davies, spécialiste de la Somalie à Amnesty International, dans une déclaration soulignant les risques de « supprimer les mécanismes favorisant la transparence et l’obligation de rendre des comptes ».

« Sans garanties adéquates, les transferts d’armes pourraient faire courir des risques encore plus élevés à des civils somaliens et aggraver la situation humanitaire », a-t-elle ajouté.

« À l’heure actuelle, les soldats de l’armée nationale somalienne se battent contre Al-Shabab avec les mêmes [vieux] AK47. Ils doivent en changer, surtout s’ils veulent, ultimement, vaincre Al-Shabab »
Les pays de la région craignent qu’une mauvaise gestion de l’assouplissement de l’embargo n’entraîne un flux d’armes illégales vers l’extérieur de la Somalie et les États voisins, où elles pourraient être utilisées pour fomenter l’instabilité.

« En tant qu’État souverain, la Somalie a le droit de renforcer sa sécurité et sa défense. La situation y est cependant encore fragile… Les institutions qui contrôlent et gèrent les armes de petit calibre ne sont pas encore stables et l’Union africaine (UA) continue à jouer un rôle déterminant dans le maintien de la paix et le retour à la stabilité. Il y a déjà de nombreuses armes à feu illégales qui ne sont pas encore adéquatement comptabilisées, gérées et efficacement contrôlées », a dit Joe Burua, du Point focal sur les armes légères et de petit calibre du ministère de l’Intérieur ougandais.

« En laissant entrer davantage d’armes en Somalie, on risque seulement de faire en sorte que les armes illégales deviennent des marchandises commerciales [au même titre que les armes légales], appuyant du même coup le trafic d’armes à feu tout en tentant de renforcer la sécurité. »

Les experts estiment que peu d’armes ont quitté la Somalie pour d’autres pays de la région pour l’instant, mais que « des individus peu scrupuleux pourraient saisir l’occasion de s’engager dans le trafic d’armes à feu une fois la guerre terminée, comme cela s’est produit à l’époque de la guerre froide entre les blocs de l’Est et de l’Ouest », a ajouté M. Burua.

Quelles sont les garanties nécessaires ?

D’après M. Burua, pour que la levée de l’embargo fonctionne, le gouvernement somalien doit, entre autres, renforcer les mesures internes pour le stockage sécurisé des armes à feu ; sensibiliser les communautés armées aux dangers que représente la possession d’armes à feu illégales ; mettre en oeuvre un solide programme de démobilisation et de désarmement ; décréter une amnistie pour les communautés armées qui rendent volontairement leurs armes ; améliorer la capacité des organismes chargés de l’application de la loi à gérer les armes à feu ; durcir les lois et les règlements sur les armes à feu ; et s’associer avec les pays voisins pour renforcer les postes-frontière et faire cesser les transferts transfrontaliers illégaux.

« À ce stade-ci, alors que le gouvernement fédéral somalien en est encore à ses premiers balbutiements, la priorité devrait être le désarmement à l’échelle nationale plutôt que l’armement », a écrit Kainan Abdullahi Mohamed dans un article d’opinion publié récemment sur le site de l’agence de presse somalienne Garowe Online. « D’abord et avant tout dans la capitale, où l’on peut trouver des armes aussi facilement que d’autres produits comme du savon et des provisions. »

Il a ajouté qu’il faudrait aussi harmoniser et réformer l’armée pour que l’assouplissement de l’embargo ait les effets escomptés.

Dans un billet [ http://blogs.aljazeera.com/blog/africa/somalia-where-un-arms-embargo-failed  ] publié le 21 mars, le correspondant d’Al Jazeera Peter Greste écrit qu’il faut poursuivre les négociations en vue de l’adoption d’un Traité sur le commerce des armes imposant un contrôle strict sur les armes, mais aussi sur les munitions.

« Dans son état actuel, le traité prévoit des mesures de contrôle très strictes pour le commerce d’armes, ce qui est encourageant », a-t-il dit. « Mais il relègue les munitions et les pièces de rechange en annexe et soumet leur commerce à des restrictions beaucoup moins strictes. Si ces restrictions permettent au marché noir de continuer de prospérer, le traité est voué à l’échec, en particulier dans des pays comme la Somalie. »

Amnesty International milite également en faveur d’un contrôle accru des munitions.

La Somalie a fait plusieurs tentatives de désarmement par le passé. En 2006, les efforts de désarmement de l’Union des tribunaux islamiques (UTI) se sont heurtés à une forte opposition de la part des seigneurs de guerre. En 2007, le premier ministre du gouvernement fédéral transitoire (Transitional Federal Government, TFG) avait offert l’amnistie aux islamistes et établi des points de collecte des armes autour de Mogadiscio, mais cette mesure avait elle aussi rencontré de la résistance.

Il y a aussi la question du rôle que devrait jouer l’AMISOM dans l’achat et le contrôle des armes. Selon M. Aynte, du HIPS, l’AMISOM ne devrait pas servir d’intermédiaire à long terme pour l’acquisition d’armes. Il croit aussi que le gouvernement somalien devrait mettre en place « des mécanismes vérifiables pour l’achat, l’enregistrement et l’obligation de rendre des comptes avant de se lancer dans une frénésie d’achat d’armes ».

« En Somalie et à l’étranger, des groupes et des communautés s’inquiètent, à juste titre, de l’incapacité de l’armée nationale à acheter des armes… Le gouvernement doit apaiser ces craintes en réformant l’armée pour la rendre plus compétente, plus crédible, plus inclusive et, par-dessus tout, pour l’obliger à rendre des comptes face à un système judiciaire fort et transparent », a-t-il ajouté.

La déclaration du président Mohamud indique clairement que l’armée somalienne continuera de collaborer avec l’AMISOM dans l’exécution de ses fonctions. Le pays s’est par ailleurs engagé dans un processus de réforme de l’armée nationale et des forces de police avec le soutien de l’AMISOM, des Nations Unies et de pays voisins comme l’Ouganda.

M. Halakhe, l’analyste, a dit : « J’espère que les forces de l’UA pourront, en plus d’assurer la sécurité, s’assurer que ces armes ne se retrouvent pas entre les mains d’Al-Shabab et d’autres forces déstabilisatrices semblables… Nous devons avancer lentement et avec précaution. »

kr/rz-gd/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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