L’économie avait montré de légers signes d’amélioration sous le gouvernement d’unité nationale (Government of National Unity, GNU) entre 2009 et 2013, lorsque le ZANU-PF – le parti du président Robert Mugabe, au pouvoir de longue date – avait cohabité avec le parti d’opposition Mouvement pour le changement démocratique (Movement for Democratic Change, MDC). Mais l’industrie s’est montrée peu performante et les fermetures d’entreprise ont repris depuis que le ZANU-PF a remporté les élections générales en juillet 2013.
« Il n’y a rien de surprenant à ce que le droit des personnes à la santé ait été compromis par la situation économique », a dit à IRIN John Robertson, un économiste indépendant basé à Harare. « Les services de santé accusent un déficit de financement du fait de la crise économique actuelle, qui s’est aggravée pendant la période post-GNU. »
De plus en plus de personnes ont perdu leur emploi ou travaillent dans l’économie informelle, si bien que l’assiette de l’impôt a diminué et que le gouvernement peine à encaisser les recettes suffisantes pour financer les programmes publics et les salaires des fonctionnaires, a dit M. Robertson.
Ruth Labode – le médecin à la tête de la commission parlementaire sur la santé, également membre du parlement pour le MDC – reproche au gouvernement de n’avoir pas alloué assez de fonds à la santé dans son budget national 2014, et de ne pas même réussir à financer ce budget.
Le Cabinet a alloué 330 millions de dollars US au secteur de la santé (contre 407 millions de dollars en 2013), soit l’équivalent de 8 pour cent du budget 2014, et 25 millions de dollars ont été attribués aux hôpitaux publics alors que ces derniers devaient déjà 33 millions de dollars à leurs fournisseurs en janvier de cette année.
Forte dépendance vis-à-vis des bailleurs de fonds
Mme Labode a dit à IRIN qu’à la fin du mois de juillet, le gouvernement avait dépensé moins de 20 pour cent des fonds budgétaires alloués à la santé publique. Elle a expliqué que le secteur de la santé publique tenait l’essentiel de ses ressources de la communauté des bailleurs de fonds au titre du Fonds de transition pour la santé (Health Transition Fund, HTF), un fonds multi-donateurs de 435 millions de dollars créé en 2011 et devant prendre fin en 2015.
L’initiative, qui est gérée par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) Zimbabwe et financée par les dons de différents pays de l’Union européenne et agences des Nations Unies, a pour objectif d’améliorer la santé et la nutrition infantiles et maternelles, ainsi que de garantir l’approvisionnement en médicaments essentiels, vaccins et matériel médical de base.
De 2003 à nos jours, le Zimbabwe a également reçu plus de 707 millions de dollars du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. L’an dernier, le Fonds a approuvé une subvention de 555 millions de dollars pour lutter contre ces trois maladies entre 2014 et 2016.
« Sans la communauté de bailleurs de fonds, notre système de santé publique se serait pour ainsi dire effondré étant donné que c’est par elle qu’est financée la majorité de nos programmes de santé », a dit Mme Labode.
Le HTF subventionne l’achat de 98 pour cent des médicaments disponibles à l’heure actuelle, tandis que les 2 pour cent restants sont financés par un impôt perçu auprès des contribuables par le Conseil national de lutte contre le sida (National AIDS Council, NAC), a-t-elle fait observer.
Elle a ajouté : « Ce que nous recevons de la part des bailleurs de fonds a permis d’éviter la catastrophe en matière de santé publique, mais il est important de souligner que ça reste insuffisant. Jamais des dons ne suffiront à couvrir les besoins d’un pays entier ».
Dans un communiqué de presse du mois de mai, Mme Labode a dit que l’incapacité du gouvernement à financer adéquatement le secteur de la santé publique avait contraint les hôpitaux à refuser aux pauvres l’accès aux soins de santé : « On laisse mourir des patients parce qu’ils n’ont pas les moyens de se payer des services de soins tertiaires. Les prestataires de service ont interrompu leurs services ou demandent à être payés à l’avance ».
Elle a dit que la prestation des services de santé avait également été entravée par la corruption, telle que le vol de médicaments et de matériel dans les hôpitaux ou le mépris des procédures d’appel d’offres de la part des responsables d’hôpitaux à des fins d’enrichissement personnel. En outre, a-t-elle ajouté, « l’émigration de la main-d’œuvre qualifiée a frappé ce secteur plus que tout autre ».
Pénurie d’infirmiers
Regina Smith, la présidente de l’Association des infirmiers du Zimbabwe, a dit à IRIN que les hôpitaux publics manquaient cruellement de main-d’œuvre. « Des centaines d’infirmiers formés localement ont eu des difficultés à trouver un emploi, car le gouvernement avait gelé les postes à pourvoir dans le secteur public », a-t-elle dit.
Le ministre adjoint de la Santé, Paul Chimedza, a dit à IRIN : « Nous devons simplement trouver d’une manière ou d’une autre les fonds nécessaires pour rémunérer les infirmiers. Nous avons cruellement besoin de leurs services et nous avons beaucoup investi dans leur formation. »
M. Chimedza a reconnu que les médicaments essentiels venaient encore à manquer dans les hôpitaux et les dispensaires publics, tant dans les zones urbaines que rurales.
Il a récemment dit au Parlement que les centres de santé publique urbains tournaient à moins de 40 pour cent de leur capacité, car le gouvernement n’avait pas les moyens de financer l’achat de médicaments ou d’autres activités essentielles. Il a ajouté que les infrastructures rurales s’en tiraient légèrement mieux, en dépit d’une pénurie de médicaments de l’ordre de 50 pour cent.
Bien qu’il n’ait pas donné de chiffres, le ministre adjoint a dit que la main-d’œuvre qualifiée qui avait fui la crise économique avant 2009 rentrait pour travailler dans les secteurs de la santé publique et privée. « Ce que nous devons faire, c’est œuvrer à l’amélioration de leurs salaires, de leurs outils de travail et de leur moral pour les retenir et en attirer davantage », a-t-il dit.
Après avoir visité les différents hôpitaux de Bulawayo – la deuxième ville du Zimbabwe – avec sa commission parlementaire début juin, Mme Labode a dit que les structures de santé conservaient des médicaments et des seringues périmés, mettant la santé des patients en danger.
Le chef de la direction de l’un des hôpitaux de Bulawayo, qui a demandé à rester anonyme, a dit à IRIN que la pénurie de main-d’œuvre qualifiée et le manque de financements avaient favorisé certains problèmes tels que le manque de suivi des stocks de médicaments.
« Les hôpitaux publics ne se sont pas relevés de la crise que nous avons vécue avant 2009. Il y a toujours une grave pénurie de pharmaciens, d’infirmiers et de médecins. Nous recevons peu de soutien financier de la part du gouvernement, c’est pourquoi nos hôpitaux tournent bien en deçà de leur capacité », a-t-il dit.
Il a ajouté que son hôpital exigeait que les patients paient avant d’être admis, et dépendait de campagnes de collecte de fonds pour tourner au jour le jour.
Le gouvernement, qui régule les frais d’admission et de consultation de base pour les secteurs public et privé, a augmenté les tarifs de consultation des institutions privées en mai. Les frais de consultation atteignent désormais 30 dollars pour les médecins généralistes, contre 15 dollars auparavant, et 70 dollars pour les spécialistes et les pédiatres.
Dans les hôpitaux publics, les patients ne paient que 10 dollars la consultation, mais la location d’un lit d’hôpital revient à 110 dollars la journée, une somme que peu de patients peuvent se permettre.
Pas d’argent pour un lit d’hôpital
Thomas*, 32 ans, est employé auprès de la municipalité de Chitungwiza, à environ 30 km au sud de la capitale, Harare. Craignant d’être victime d’une intoxication alimentaire, il s’est récemment rendu à l’hôpital central de sa région. L’assurance-maladie offerte par son employeur avait été annulée, car la municipalité accusait des arriérés de paiement, et Thomas a dû régler ses frais médicaux lui-même. La municipalité peine également à lever des fonds pour assurer son fonctionnement et verser leur salaire à ses employés si bien que Thomas, à l’instar de nombre de ses collègues, n’a pas été payé depuis plus de 10 mois. Il a pu réunir de quoi payer la consultation, mais n’avait pas assez d’argent pour se payer un lit et a dû passer la nuit sur un banc.
« Les infirmiers ne m’ont pas accordé la moindre attention parce que je n’avais pas de quoi m’offrir un lit », a-t-il dit.
Il n’a été admis que le lendemain après-midi après que son frère lui eut envoyé de l’argent depuis Gweru, une ville distante d’environ 270 km.
« Outre les employeurs qui échouent à reverser l’argent aux caisses d’assurance-maladie, car leurs entreprises luttent pour survivre, le fort taux de chômage signifie qu’une part importante de la population n’a pas de quoi couvrir ses frais médicaux », a dit M. Robertson.
M. Chimedza, le ministre adjoint, a dit qu’en dépit des difficultés actuelles, le Zimbabwe avait remporté d’importants succès en matière de prestation de soins. « Les choses n’en sont pas là où nous le souhaiterions, mais il y a des signes d’amélioration », a-t-il dit en ajoutant que les bailleurs de fonds avaient récemment versé 90 millions de dollars destinés à l’achat de matériel indispensable pour les hôpitaux provinciaux et de district.
Un rapport mondial récent de l’ONUSIDA a souligné que le Zimbabwe avait réussi à réduire le nombre de nouveaux cas d’infection par le VIH de 34 pour cent entre 2005 et 2013, bien que le pays représente encore 3 pour cent des nouveaux cas d’infection à l’échelle mondiale.
D’après le rapport d’avancement sur la lutte contre le sida au Zimbabwe pour 2014, 77 pour cent des adultes éligibles à un traitement antirétroviral y avaient accès fin 2013, contre 46 pour cent chez les enfants.
Le taux de mortalité maternelle reste toutefois obstinément élevé au Zimbabwe, et il aurait même enregistré une hausse de 28 pour cent entre 1990 et 2010 d’après un rapport des Nations Unies datant de 2013. La mortalité des enfants de moins de cinq ans a également augmenté, de 77 pour 1 000 naissances vivantes en 1994 à 96 pour 1 000 naissances vivantes en 2009 d’après le Groupe interorganisations pour l’estimation de la mortalité juvénile.
*Nom fictif
fm/ks-xq/ld
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