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Scepticisme face aux plans de réinstallation des survivants de l’explosion du lac Nyos

Lake Nyos, Cameroon Wikimedia Commons
Le lac Nyos, Cameroun
Les autorités camerounaises ont annoncé leur intention de réinstaller les milliers de survivants de l’explosion du lac Nyos, survenue en 1986, dans leur région d’origine. L’annonce a suscité des réactions d’opposition en raison notamment des préoccupations en matière de sécurité environnementale et des inquiétudes liées aux litiges fonciers potentiels.

Quelque 12 000 personnes vivent dans des camps du département de Menchum, dans la province du Nord-Ouest, depuis août 1986, lorsque le lac volcanique près duquel ils habitaient a libéré un nuage de dioxyde de carbone qui a englouti les villages environnants et tué des centaines de personnes.

Adolphe Lele Lafrique, directeur du comité de gestion de la catastrophe du lac Nyos et gouverneur de la province du Nord-Ouest, a annoncé en juin que les survivants seraient réinstallés dans la région de Nyos, mais il n’a pas précisé quand ni comment.

Selon Jeanvier Mvogo, qui travaille au département de la protection civile du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, des travaux sont en cours pour assurer la sûreté de la réinstallation des survivants à Nyos.

« Le comité de gestion de la catastrophe a simplement averti les victimes de se préparer mentalement à retourner sur leur terre natale. On ne peut cependant fournir aucune date précise, car des travaux sont toujours en cours », a dit M. Mvogo à IRIN.

En dépit des garanties de sécurité, plusieurs survivants et groupes environnementaux manifestent une certaine réticence. « Le bien-fondé de la réinstallation des victimes à Nyos est discutable », a dit David Neng, de l’ONG locale Environment Watch.

« Il y a encore beaucoup à faire sur le site, notamment la construction d’infrastructures et la mise en place des services publics nécessaires aux populations qui seront réinstallées. Certains problèmes liés aux droits fonciers et à l’utilisation des ressources naturelles par les victimes et les personnes qui se sont précipitées pour s’installer à Nyos quelques années après la tragédie doivent encore être résolus », a-t-il dit à IRIN.

Selon Njilah Isaac Konfor, qui milite pour les droits des survivants de la catastrophe du lac Nyos, le gouvernement camerounais a « fait des efforts importants pour dégazer le lac […] Mais ces efforts ont été plutôt lents si l’on considère que la catastrophe s’est produite il y a 27 ans et que les survivants vivent dans des camps improvisés depuis tout ce temps. »

Méfiance

Après la catastrophe, les survivants ont été accueillis dans sept camps de réinstallation. L’accès aux soins de santé de base, à l’éducation et à d’autres services et produits de première nécessité est cependant limité. Les communautés d’éleveurs ont été contraintes de se mettre à l’agriculture et d’exploiter de petites parcelles, tandis que les communautés d’agriculteurs se plaignent du manque de terres.

« Je me méfie de ces promesses [d’être réinstallés à Nyos]. Cela fait 27 ans que nous vivons dans ce camp et nous n’avons toujours pas accès à des services essentiels comme des hôpitaux, de l’eau et du soutien pour développer des moyens de subsistance durables. Je ne crois pas que la vie sera meilleure là-bas », a dit Ismaela Muhamadu, qui vit dans une maison de terre dans le village d’Upkwa, dans le département de Menchum, avec ses deux femmes et ses huit enfants.

M. Muhamadu avait six ans quand la catastrophe est arrivée. Ses parents et ses frères et sœurs font partie des 1 800 personnes tuées par le nuage de dioxyde de carbone qui a balayé le village de Nyos et jusqu’à 15 kilomètres dans les terres, entraînant la disparition presque totale de la vie humaine et animale de ce territoire.

Au début, quelque 4 500 personnes qui n’avaient nulle part où aller ont été accueillies dans les camps. Elles sont maintenant environ 12 000 à y vivre.

« Je préfère souffrir ici que mourir à Nyos. Ce dont nous avons besoin, c’est d’être soutenus, pas d’être réinstallés ailleurs », a dit Salifu Buba, qui vit dans le camp de Kumfutu, dans le département de Menchum. « Nous n’avons pas accès à des pâturages. Les parcelles de 30 à 50 mètres carrés qui sont allouées à chaque ménage ne sont pas suffisamment grandes pour pratiquer l’agriculture, et encore moins pour faire paître des animaux. »

« Ce que nous savons et aimons pratiquer en tant que Bororo [groupe ethnique], c’est l’élevage du bétail. Lorsque nous sommes arrivés dans les camps, nous n’avons eu d’autre choix que de devenir des agriculteurs. Or, les Bororo n’aiment pas l’agriculture, et, pour cette raison, nombreux sont ceux qui ne peuvent en vivre », a dit M. Buba, 57 ans. Il estime par ailleurs que le gouvernement aurait dû leur offrir des solutions plus durables, comme de donner une ou deux vaches à chacune des familles, au lieu de leur fournir des outils agricoles et des bœufs pour labourer.

Les résidents du camp voisin d’Ipalim, qui accueille surtout des Bantou, un groupe ethnique qui pratique traditionnellement l’agriculture de subsistance, semblent toutefois avoir un autre avis.

« J’aimerais retourner à la terre d’abondance. Il est difficile de pratiquer l’agriculture avec les quelques mètres carrés de terre que chaque famille se voit attribuer ici », a dit Stephen Nju. « Nous supplions la communauté qui a accepté de nous accueillir de nous donner davantage de terres, mais nous sommes toujours considérés comme des étrangers et les conflits entre agriculteurs et éleveurs ne sont pas rares. »

« Nous avons entendu dire que des opérations de grande envergure étaient menées en ce moment à Nyos pour dégazer le lac et renforcer les digues [naturelles], mais nous attendons toujours que les promesses de retour se réalisent. Ce camp est vraiment isolé : nous n’avons pas de routes d’accès ni d’établissements de santé », a dit Lydia Nzeh, une autre résidente du camp d’Ipalim.

Dégazage

Le Partenariat pour la recherche scientifique et technologique pour le développement durable (SATREPS, selon le sigle anglais), un programme du gouvernement japonais qui a pour objectif d’établir des partenariats avec divers pays pour des projets de recherche, s’est intéressé à la sécurité aux abords du lac Nyos. Les chercheurs ont découvert que le dioxyde de carbone présent dans le lac était passé de 710 000 à 425 000 tonnes entre 2001 et 2012, ce qui représente une diminution de 40 pour cent. La concentration de gaz aux alentours du lac est désormais considérée comme négligeable, indique un rapport du projet SATREPS.

« Le niveau de gaz dans le lac ne pose plus aucun danger pour les personnes qui vivent près du lac, mais les opérations de dégazage se poursuivent », a dit M. Mvogo, du département de protection civile.

Une communauté composée de quelque 200 personnes vit actuellement près du lac Nyos. Un périmètre de sécurité a été établi autour du lac et des militaires assurent la surveillance des installations et des infrastructures de dégazage.

On s’inquiète cependant aussi de la rupture potentielle du barrage qui retient le lac. « Des travaux destinés à renforcer la digue naturelle, plutôt faible, ont commencé. Ils permettront de réduire le risque de rupture et d’inondation », a dit Laban Tansi, un responsable du ministère de l’Environnement.

mn/ob/cb-gd/ld


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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