1. Accueil
  2. West Africa
  3. Senegal

De meilleurs arguments en faveur de la paix en Casamance

Si les populations civiles sont de plus en plus prêtes à tout pour retourner dans leurs villages, en Casamance, les hostilités se poursuivent et le processus de paix est « encore dans l’impasse », selon les pacificateurs, et certains estiment qu’il n’y a guère lieu d’espérer une évolution positive de la situation.

« Le processus de paix n'avance pas depuis longtemps. On recule même énormément », selon Landing Diédhiou, président d’APRAN-SDP, une organisation non-gouvernementale (ONG) locale, qui joue depuis longtemps le rôle d'intermédiaire entre le gouvernement sénégalais et les rebelles du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC).

La Casamance, située dans le sud du Sénégal, est depuis 25 ans le théâtre d’un conflit localisé ; cette guerre civile, qui a fait plus de 60 000 déplacés, dont pas moins de 10 000 se sont réfugiés en Gambie et en Guinée-Bissau, est aussi la plus longue qu’ait jamais connue l’Afrique.

Les rebelles du MFDC avaient initialement pris les armes pour obtenir l’indépendance de la Casamance, mais leurs revendications ont évolué depuis lors. L’accord de paix conclu entre le gouvernement et le MFDC n’a pas duré, et si les violences se sont apaisées vers la fin 2007, l’année 2008 a en revanche été marquée par une recrudescence des attaques violentes et des pillages, ainsi que des décès et des mutilations causés par l’explosion de mines terrestres.

Pas plus tard que la semaine dernière, un jeune homme a été tué par des rebelles présumés du MFDC près de Tendième, à 33 kilomètres au nord de Ziguinchor.

Des populations excédées

Le 10 juin, des familles déplacées sont descendues dans les rues de Ziguinchor, capitale casamançaise, aux côtés de la communauté, des dignitaires religieux et des autorités locales, pour exiger que le gouvernement déploie davantage d’efforts pour relancer le processus de paix, afin qu’elles puissent retourner chez elles.

« Ils [les bailleurs et le gouvernement] ont promis de mettre en place des programmes d’aide, pour nous permettre de retrouver une vie normale, mais jusqu’ici, rien n’a été fait », s’est plaint Abdoulaye Sane, un ancien réfugié aujourd’hui déplacé à Fanda, à 12 kilomètres de Ziguinchor.

Aminata Badji Syafd, représentante d’une ONG locale, a prononcé une déclaration écrite devant les locaux des autorités locales. « Nos familles survivaient auparavant grâce à l’agriculture, mais aujourd’hui, nous dépendons d’autrui […] et notre tissu social et nos familles s’effondrent ».

Un constat corroboré par les recherches menées dernièrement par Martin Evans, géographe à l’université de Leicester, et selon lesquelles, après tant d’années, les familles d’accueil commencent à ne plus avoir les moyens d’héberger leurs proches déplacés par le conflit, une situation source de tensions. Ces tensions sont en outre attisées par la dépression économique et la forte hausse du prix des denrées alimentaires dans l’ensemble de la région.

Selon M. Evans, les populations civiles souhaitent plus que jamais le retour de la paix, et il est de plus en plus manifeste que les rebelles du MFDC eux-mêmes sont fatigués de se battre. Pourtant, les pourparlers de paix traînent et les chances de rétablir la paix dans un avenir proche semblent minces.

Des négociations à plus haut niveau

Si la situation n’évolue pas, c’est en partie en raison de la profonde factionnalisation observée dans les différentes branches du MFDC et entre ses ailes militaire et politique, obstacle aux négociations entre le gouvernement et les rebelles, selon M. Diédhiou.

« Le problème, c’était avant tout que le gouvernement négociait avec certains chefs rebelles et pas d’autres, alors le processus était considéré comme partial ; aujourd’hui, il doit en faire plus pour rassembler ces factions », a-t-il recommandé.

Un irréductible en particulier, Salif Sadio, qui dirige une faction du MFDC en Casamance du sud, s’est tenu à l’écart des négociations avec le gouvernement car il pense que celui-ci tente de monter les deux ailes l’une contre l’autre, selon Famara Goudiaby, un membre de la faction de M. Sadio.

Le gouvernement doit être plus inclusif et engager des négociations à plus haut niveau, selon M. Diédhiou. « S’il est vrai que le président Wade a fait de gros efforts pour résoudre ce conflit, le gouvernement et le MFDC doivent entamer des négociations à plus haut niveau, et pour ce faire, il faut des négociateurs plus crédibles des deux côtés ».

À problème régional, solution régionale

Autre point de désaccord : le gouvernement ne souhaite pas ébruiter le conflit qui sévit en Casamance ; il le traite donc comme un problème interne, et non régional, selon Demba Keita, conseiller à l’APRAN-SDP.

Or, « la Guinée-Bissau et la Gambie ne peuvent être contournées dans le processus de paix […] la solution tri-gouvernementale est la seule issue », explique-t-il.

Pour Famara Goudiaby, le porte-parole du MFDC, le seul moyen de faire avancer le processus serait de trouver une solution régionale, avec l’aide de médiateurs internationaux. « Le conflit casamançais a débordé au-delà des frontières sénégalaises, et il est impératif de faire intervenir les pays étrangers pour le résoudre […] tenter de résoudre le problème en interne n’est pas la solution », a-t-il affirmé.

Les chefs du MFDC contrôlent en effet bon nombre de leurs combattants depuis l’autre côté de la frontière, et les soldats aussi bien que les rebelles du MFDC mènent de nombreuses activités commerciales transfrontalières dans le cadre de ce que M. Evans qualifie « d’économies de la guerre ».

À qui profite la guerre ?

Ces économies de la guerre profitent aux combattants des deux camps, selon M. Evans : en effet, les soldats et les rebelles sénégalais échangent du bois, du cannabis et des noix de cajou d’un côté à l’autre de la frontière. Un grand nombre des plantations de noix de cajou situées le long de la frontière bissau-guinéenne, notamment, se trouvent sur le territoire des rebelles, et les soldats sénégalais sont stationnés à proximité. Si les gains sont modestes, dans un pays pauvre, ils valent toujours mieux que rien.

Bon nombre d’analystes attribuent la recrudescence des violences, observée en 2008, au fait que les rebelles ont l’impression que les soldats de l’armée sénégalaise empiètent sur ce précieux territoire.

La lutte pour l’exploitation de ces terres fertiles est au cœur du conflit, c’est pourquoi « la réforme foncière est un des principaux piliers de la paix en Casamance », a déclaré à IRIN le représentant d’un bailleur de fonds international. Mais à ce jour, « aucune réforme foncière viable n’a été proposée pour résoudre le problème ». Au contraire, les questions de propriété foncière deviennent de plus en plus politisées, à mesure que les limites des villages sont redéfinies en fonction des zones minées, et depuis que pas moins de 242 zones, que l’on supposait minées, ont été abandonnées.

Les acteurs locaux, notamment la société civile et les responsables du gouvernement central sénégalais, pourraient également profiter d’une prolongation du processus de paix, en continuant à recevoir l’aide accordée pour financer ce processus. « Depuis 2000, beaucoup de fonds multilatéraux et bilatéraux ont été injectés pour soutenir le processus de paix, le retour des déplacés et la reconstruction […] c’est un peu un bon filon pour tout le monde », a estimé M. Evans.

Les avantages économiques de la paix

Pour redynamiser un processus de paix qui traîne, le gouvernement et les bailleurs doivent avancer de meilleurs arguments concernant les avantages économiques de la paix, selon un bailleur de fonds international.

Tout d’abord, la Casamance, la région la plus fertile du Sénégal, pourrait contribuer de manière significative à la production agricole du pays. Un point d’autant plus pertinent que l’objectif du président Wade est de faire en sorte que le Sénégal passe du stade d’importateur de céréales à celui de producteur net en dix ans, selon M. Evans.

La production rizicole de la région a augmenté malgré la poursuite du conflit, selon Marie Augustine Badiane de Kabon Kator, une ONG locale de consolidation de la paix, et de plus en plus de terres sont consacrées à la riziculture. « Avec une paix globale, des investissements dans les infrastructures appropriées et des changements en matière de pratiques agricoles, cette production pourrait augmenter bien davantage », a estimé M. Evans.

Mais il faudrait pour cela résoudre le problème des régimes fonciers en trouvant des solutions acceptables à la fois par les civils et par les rebelles, selon Mme Badiane.

En attendant, tout accord de paix viable devrait prévoir d’aider les rebelles à trouver des moyens de subsistance alternatifs, selon M. Evans, bien qu’on en soit loin, admet-il.

Des progrès

Certains progrès ont toutefois été réalisés ces dernières années à l’échelle régionale, d’après M. Evans : depuis 2000, explique-t-il, le gouvernement bissau-guinéen s’est aligné davantage avec le Sénégal sur la question de la Casamance. En Guinée-Bissau, le « flux d’armes reçues par les rebelles en provenance du pays a considérablement réduit, ils ont éliminé les rebelles les plus irréductibles de leur territoire, et la coopération est désormais bonne en matière de sécurité, de part et d’autre de la frontière », a-t-il indiqué à IRIN.

Les négociateurs ont également l’occasion de profiter de la soif de paix des Casamançais pour redonner du souffle aux pourparlers, en faisant directement intervenir les populations dans les négociations, selon M. Diatta. « Le gouvernement négocie avec les seigneurs de la guerre dans la brousse, mais il oublie que les Casamançais doivent eux aussi se faire entendre à la table des négociations », a déclaré M. Diatta à IRIN.

En attendant, les arguments en faveur de la paix devraient être présentés plus clairement aux négociateurs de paix eux-mêmes, selon le représentant d’un bailleur de fonds international. « Le président Wade se considère comme un homme d’Etat international et un pacificateur international : nous devons donc lui demander quel héritage il entend laisser derrière lui en ce qui concerne la Casamance ».

aj/mad/nr/nh/vj


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

Partager cet article

Get the day’s top headlines in your inbox every morning

Starting at just $5 a month, you can become a member of The New Humanitarian and receive our premium newsletter, DAWNS Digest.

DAWNS Digest has been the trusted essential morning read for global aid and foreign policy professionals for more than 10 years.

Government, media, global governance organisations, NGOs, academics, and more subscribe to DAWNS to receive the day’s top global headlines of news and analysis in their inboxes every weekday morning.

It’s the perfect way to start your day.

Become a member of The New Humanitarian today and you’ll automatically be subscribed to DAWNS Digest – free of charge.

Become a member of The New Humanitarian

Support our journalism and become more involved in our community. Help us deliver informative, accessible, independent journalism that you can trust and provides accountability to the millions of people affected by crises worldwide.

Join