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Le « nouveau Biafra » séparatiste

Biafra protest IPOB

Un procès pour trahison qui pourrait avoir des implications importantes pour la stabilité du pays s’ouvrira le mois prochain devant une haute cour nigériane.

Nnamdi Kanu, leader du mouvement séparatiste Peuple indigène du Biafra (Indigenous People of Biafra, IPOB), se trouvera sur le banc des accusés. Avec trois autres prévenus, il devra faire face à une accusation de trahison.

Le Biafra est l’enclave sécessionniste igbo qui a existé entre 1967 et 1970 dans le sud-est du Nigeria. La guerre civile qui s’est terminée par la défaite des séparatistes aurait fait pas moins d’un million de victimes. Les Igbo forment le troisième plus important groupe ethnique au Nigeria et M. Kanu est la figure de proue d’un mouvement en pleine expansion cherchant à relancer l’idée de sécession.

M. Kanu est aussi le directeur de Radio Biafra, une station basée à Londres qui diffuse par Internet et par ondes courtes dans le sud-est du Nigeria. Le message de cet habile propagandiste est simple : pour assurer leur survie future, les Igbo doivent quitter le « zoo » qu’est le Nigeria, dominé, selon lui, par une élite musulmane appartenant au groupe ethnique majoritaire des Hausa-Fulani.

Le leader indépendantiste biafrais est un habitué des déclarations incendiaires. Il a notamment qualifié le président Muhammadu Buhari de « terroriste en chef » ; il a formulé des menaces : « S’ils ne nous donnent pas le Biafra, la Somalie aura l’air d’un paradis » ; et, lors du Congrès mondial igbo, en 2015, il a dit à l’audience : « Nous avons besoin d’armes et nous avons besoin de munitions ».

M. Kanu a été arrêté à Lagos en 2015. Il est resté en détention depuis malgré un jugement de la cour demandant sa libération. Le gouvernement demeure en effet préoccupé par l’influence qu’il exerce sur la jeunesse igbo mécontente.

Le Mouvement pour la réalisation de l’État souverain du Biafra (Movement for the Actualization of the Sovereign State of Biafra, MASSOB), dirigé par Ralph Uwazuruike, était le prédécesseur de l’IPOB. Les drapeaux biafrais – accrochés aux lampadaires ou imprimés sur les t-shirts – étaient présents depuis de nombreuses années dans tout le sud-est du pays à cause de la campagne menée par le MASSOB. Le mouvement a cependant fini par s’effondrer en raison de luttes intestines et d’allégations de corruption.

Ligne dure

Le gouvernement a adopté une ligne beaucoup plus dure envers l’IPOB, qui a vu le jour en 2012. Selon Amnesty International, l’armée aurait abattu plus de 150 civils igbo non armés – des partisans de l’IPOB, pour la plupart – entre août 2015 et août 2016. Un grand nombre de ces vies ont été perdues cette année, le 30 mai, lors des manifestations organisées pour souligner la Journée de la commémoration du Biafra.

« Il n’y a pas eu d’enquête indépendante et le président n’a pas ordonné aux forces armées de respecter la législation internationale en matière de droits de l’homme au moment de réagir aux protestations de l’IBOP », indique le rapport d’Amnesty.

Le gouvernement a plutôt décidé d’intensifier ses efforts de répression. À la fin novembre, il a lancé Python Dance, une opération sécuritaire menée par l’armée dans le sud-est du pays. L’objectif est d’éliminer une série de menaces sécuritaires, y compris « les attaques sécessionnistes violentes », selon le colonel Sagir Musa, un porte-parole du gouvernement.

Willie Obiano, le gouverneur de l’État d’Anambra, l’un des moteurs économiques du sud-est igbo, a récemment défendu l’opération en disant : « Des exercices semblables ont été organisés dans d’autres zones géographiques du pays sans qu’il y ait d’incidents ou de controverse. Les plus récents ont eu lieu il y a quelques semaines dans le delta du Niger et [dans le] nord-ouest. »

IPOB protest
IPOB

Tirer pour tuer

Dans le contexte actuel, toutefois, l’opération Python Dance est considérée comme une provocation par de nombreux Igbo.

« Le gouvernement a un but caché : ce n’est pas par hasard qu’il envoie des soldats à l’est pendant la période de Noël », a dit Ebuka Anyansi, un avocat basé dans l’État d’Enugu, dans l’est du pays. « Il y a des crises partout à Kaduna et à Kano [dans le nord], mais aucun soldat n’a été déployé là-bas. Qu’est-ce que le gouvernement reproche aux Igbo exactement ? »

L’approche de l’armée nigériane, qui « tire pour tuer », est totalement inappropriée pour une institution ayant un rôle de maintien de l’ordre public. Elle a d’ailleurs été vivement critiquée par Amnesty.

Ifeanyichukwu Nwankwo (nom fictif), un vendeur ambulant, a reçu une balle dans la cuisse lors d’une manifestation organisée à Onitsha, la capitale de l’État d’Anambra, pour demander la libération de M. Kanu.

« J’ai dû quitter précipitamment mon lieu de travail pour aller le retrouver et m’assurer qu’il obtiendrait des soins », a dit son frère à IRIN. « Des soldats ayant pour mission de protéger le peuple n’hésitent plus à lui tirer dessus. Voilà pourquoi nous voulons le Biafra : nous y serons libres. »

On constate encore aujourd’hui à quel point la guerre du Biafra a marqué le peuple nigérian. Pour l’establishment nigérian de l’époque, la division du pays et la perte de la région pétrolifère menaçaient directement la survie du Nigeria, qui venait tout juste de faire son indépendance. Pour une génération d’officiers militaires, y compris le président Buhari lui-même, [la guerre du Biafra] a été une expérience formatrice.

Dans le sud-est, on considère toujours cette guerre comme la lutte héroïque d’un peuple ayant résisté à un « génocide ». Le Biafra, seul, a réussi à résister pendant 30 mois à l’État nigérian, soutenu par les puissances internationales. Il s’agit d’une période qui vient renforcer la croyance en l’exceptionnalisme igbo.

Mais c’était une guerre qui ne pouvait pas être gagnée, même si la famine s’est révélée l’arme ultime qui a scellé la défaite du Biafra. Pour cimenter la paix, le gouvernement fédéral a adopté la politique du « pas de vainqueur, pas de vaincu ». Tous les hommes igbo ont ainsi reçu l’équivalent de 20 dollars pour refaire leur vie.

Des approches différentes

Chukwuemeka Odumegwu Ojukwu
Biafran leader Chukwuemeka Ojukwu

Cette mesure, bien que généreuse, n’a pas suffi. Alors que les Igbo formaient autrefois le coeur technocratique du Nigeria, leur influence s’est tout simplement évaporée après la guerre. Aujourd’hui, le sud-est du pays ne dispose pas des infrastructures dont il a besoin et ses habitants ne sont pas bien représentés au sein du système politique. Nombre d’entre eux se sont par ailleurs tournés vers l’étranger pour assurer leur avenir. Ce sont les jeunes prodiges dont les médias aiment vanter les louanges, mais aussi les escrocs qui peuplent les bas-fonds des grandes villes du monde et les aspirants migrants qui sont prêts à tout pour atteindre l’Europe.

L’IPOB a une approche très différente de celle de l’establishment igbo traditionnel, dirigé par Ohanaeze Ndi Igbo, un groupe politique/culturel qui représente l’élite politique et commerciale du pays igbo – une élite dont la corruption a également joué un rôle dans le piètre état des infrastructures du sud-est du pays.

Le nationalisme igbo tel qu’exprimé par Ohanaeze cherche à promouvoir une « politique du centre » et à réintégrer les Igbo dans le paysage politique traditionnel. Le but ultime est de faire élire un président issu de l’ethnie igbo.

A contrario, l’IPOB, dirigé par les jeunes, et le MASSOB, son prédécesseur, rejettent ostensiblement l’idée d’un État nigérian et rêvent à la place d’un « nouveau Biafra », soutient l’analyste Godwin Onuoha.

« Les politiciens de l’est se préoccupent seulement de leurs affaires et bradent les intérêts régionaux pour une bouchée de pain », a déploré M. Anyansi, l’avocat. « Depuis que [le leader de la guerre du Biafra Emeka] Ojukwu et [l’ancien président du Sénat] Chuba Okadigbo sont décédés, nous n’avons plus personne qui se bat pour nos droits. Ohanaeze est désormais la risée de tous. »

Autres solutions

Si M. Kanu a gagné en popularité depuis son arrestation, on constate cependant un fossé générationnel : parmi ceux qui ont vécu la guerre, rares sont ceux qui approuvent une reprise du conflit, et ce, qu’ils reconnaissent ou non l’authenticité des arguments de l’IPOB en faveur du Biafra.

« Leurs demandes séparatistes attirent [toutefois] l’attention sur certaines lacunes fondamentales du système fédéral nigérian, et en particulier sur les droits des citoyens [une référence aux quotas fédéraux dans les emplois publics, quotas que certains considèrent comme discriminatoires pour les Igbo] », a dit Nnamdi Obasi, un analyste de l’International Crisis Group (ICG).

« À cet égard, ils sont définitivement considérés par de nombreux habitants du sud-est comme capables de donner une voix aux millions de jeunes qui ne se sentent pas chez eux et de dénoncer les privations imposées à la région. »

Selon M. Obasi, des mesures simples pourraient être mises en oeuvre par le gouvernement pour affaiblir ce sentiment.

« Le président Buhari devrait mener une campagne de communication et prévoir une visite officielle dans le sud-est du pays pour reconnaître spécifiquement les doléances des Igbo et s’engager publiquement à y répondre », a-t-il dit à IRIN.

Cela représenterait déjà un changement notable par rapport à l’approche actuelle de confrontation et de conflit privilégiée par le gouvernement.

ee-oa/ag-gd/amz 

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