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Guerre radiophonique : L’État islamique envahit les ondes afghanes

Samar Khel camp for Afghans displaced by war, near Jalalabad Bilal Sarwary/IRIN
Samar Khel camp, near Jalalabad, where Afghans displaced by war have taken shelter

En cette froide soirée d’hiver, dans la province afghane de Nangarhar, plusieurs hommes jouent aux cartes, une couverture sur les épaules, sous la lumière d’un lampadaire solaire. L’un d’entre eux allume la radio. C’est l’heure de Voix du Califat, une émission diffusée par l’autoproclamé État islamique (EI) sur une station pirate.

« Dieu aime ces moudjahidines qui combattent dans le sentier d’Allah, » dit l’animateur pour inciter les jeunes à rejoindre les rangs de l’EI. « Il y aura un État islamique, un pur régime de charia dans le monde entier. »

Les hommes se taisent, tandis que l’émission emplit l’air froid et venteux pendant l’heure qui suit. 

Deux ans plus tôt, la fréquence 90.7 était encore occupée par Qalam FM, qui diffusait des chansons, des débats sur la religion et des programmes de société axés sur l’agriculture, la santé, les élections ou encore la bonne gestion des affaires publiques. C’était avant que l’EI fasse sauter la radio et s’empare de la fréquence.

L’émission fait partie de la campagne de propagande qui accompagne les efforts menés depuis deux ans par l’EI pour s’étendre du Moyen-Orient à l’Asie centrale et méridionale. Jusqu’à présent, l’EI n’a réussi à occuper qu’une partie relativement mince de la province de Nangarhar. Le mouvement se dispute le territoire avec les Taliban et s’efforce de résister aux assauts des forces afghanes et américaines. 

Mais l’influence de l’EI s’étend bien au-delà des terres conquises, et ce, notamment grâce au recours intensif à différents médias. La radio est particulièrement importante, car c’est de loin l’outil d’information le plus utilisé en Afghanistan, où le taux d’analphabétisme est élevé.

L’EI « s’est bien plus investi dans ses activités médiatiques que ce que l’on attendrait normalement d’un jeune mouvement de cette taille », a écrit l’Afghanistan Analysts Network (AAN) dans un article publié en décembre analysant l’audience du mouvement sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels ainsi que les contenus diffusés. L’EI a « déjà dépassé » les Taliban dans le domaine, a remarqué l’AAN.

Des recrutements surprenants

Des habitants de Nangarhar ont dit à IRIN qu’ils écoutaient souvent l’émission de radio du soir, non pas pour afficher leur soutien à l’EI, mais dans l’espoir de s’informer sur les nouvelles du front et sur la proximité des combats. Certaines personnes se sont tout de même ralliées au mouvement, dont des recrues inattendues.

La première moitié de l’émission nocturne informe principalement des victoires de l’EI en Syrie, en Afghanistan et en Irak. La deuxième est animée par Firdoas Bahar, ancien professeur de littérature pachto, qui passe tout son temps d’antenne à attaquer les Taliban et le gouvernement. L’émission est ponctuée de musique djihadiste, de messages de membres de l’EI en Syrie et en Irak et d’interviews de prisonniers en Afghanistan qui déclarent regretter d’avoir combattu l’EI.

M. Bahar, qui a récemment rejoint l’EI avec neuf autres membres de sa famille, dit aux auditeurs que le mouvement représente le véritable islam et cite des extraits du Coran. Sa décision de rallier l’EI a beaucoup surpris ses amis et professeurs à l’université de Kaboul, où il faisait ses études. 

« Il était très intelligent et il n’y avait guère de raisons de le suspecter », a dit à IRIN l’un de ses professeurs, sous couvert d’anonymat. « Je le soupçonne d’avoir été recruté par une cellule secrète au sein de l’université de Kaboul. »

De nombreuses personnes ont également été étonnées par le recrutement de Sultan Aziz Azam, journaliste et poète bien connu à Jalalabad, la capitale de la province de Nangarhar. « Maintenant, il appelle ses anciens amis et les menace à propos des décapitations de reporters par l’EI », a dit un journaliste local qui a lui aussi demandé que son nom ne soit pas divulgué.

Ahmad Ali Hazrat, président du conseil provincial de Nangarhar, a indiqué plusieurs motivations poussant les gens à rallier l’EI, comme la haine des Taliban, qui peuvent avoir tué des proches, la pauvreté et le chômage. 

Réseaux sociaux

Outre sa présence sur les ondes, l’EI utilise abondamment les réseaux sociaux, a confié anonymement un haut responsable de la sécurité. « La plupart des recrutements se font par WhatsApp, Facebook et en ligne, » a-t-il dit. « Ils ciblent principalement les jeunes Afghans sur les campus universitaires et dans les villes. »

Abdul Rahman, 23 ans, était commerçant à Jalalabad avant de rejoindre les rangs de l’EI pendant un an. Il a dit qu’il avait commencé par regarder des vidéos du chef de l’EI Abu Bakr al-Baghdadi, qu’un ami lui envoyait sur Facebook. Un jour, l’ami entra dans sa boutique avec un jeune mollah. Ils sortirent se promener et le mollah lui parla des souffrances des musulmans dans les territoires palestiniens occupés et ailleurs dans le monde et du rêve d’un empire islamique.

Début 2015, M. Rahman rallia le siège afghan de l’EI, dans le district d’Achin (province de Nangarhar). Il y rencontra des combattants étrangers et locaux. Il a dit à IRIN qu’il adorait l’idée de vie commune et que le commandant s’assurait toujours que chacun avait suffisamment à manger.

« C’était une joyeuse famille », a-t-il dit.

Au cours des mois qui suivirent, M. Rahman apprit à utiliser des armes et commença à travailler avec une équipe qui recrutait de nouveaux membres par Facebook, Viber et WhatsApp. Cela lui plaisait, mais sa femme et ses enfants lui manquaient. Ce sentiment s’intensifia quand sa famille réussit à lui envoyer un message. 

Un jour, M. Rahman vit des combattants de l’EI abattre brutalement l’un des leurs après l’avoir accusé d’être un espion à la botte du gouvernement. Cet évènement le bouleversa et il déserta en disant à son commandant qu’il allait rencontrer quelqu’un qu’il avait recruté à l’université de Nangarhar. 

« Je suis rentré directement chez moi et j’ai tout raconté à mon père, » a dit M. Rahman. Il quitta Jalalabad à la hâte avec sa famille pour que l’EI ne puisse pas le retrouver. 

M. Rahman reste cependant une exception. La plupart des personnes qui rejoignent les rangs de l’EI y restent et n’oseraient jamais s’enfuir, même s’ils le voulaient.

Des responsables de la sécurité ont dit à IRIN qu’il leur était difficile de contrer la propagande de l’EI sur les réseaux sociaux et qu’ils avaient déjà détruit deux fois sa station de radio pirate.

« Mais c’est une station de radio mobile, qui se déplace et qui émet depuis une maison ou une pièce », a dit un autre haut responsable de la sécurité, également sous couvert d’anonymat.

bs/jf/ag-xq/amz

(PHOTO DE COUVERTURE : le camp de Samar Khel, près de Jalalabad, où se sont réfugiés des Afghans déplacés par la guerre. CRÉDIT PHOTO : Bilal Sarwary/IRIN)

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