Puis vient l’explosion – parfois un fracas lointain, d’autres une déflagration assourdissante. Je pousse un soupir de soulagement, tout en sachant que c’est la vie d’une autre famille qui vient d’être détruite. Mais ce sursis n’est toujours que temporaire. Ces instants se répètent des dizaines de fois par nuit depuis un mois, depuis qu’Israël a commencé ses frappes contre Gaza, la petite enclave palestinienne dans laquelle je vis.
Pendant les attaques, vous abandonnez l’idée de dormir normalement. Les frappes aériennes et les pilonnages rendent cela impossible. Se coucher dans son propre lit près d’une fenêtre augmente le risque de blessures si les carreaux volent en éclat. J’ai donc temporairement installé un matelas sous les escaliers. C’est là que je dors, réduisant ainsi, ne serait-ce qu’un peu, le risque que la prochaine bombe soit la dernière pour moi. Parfois, je suis tellement épuisé que je sombre dans un sommeil si profond que je n’entends même pas les explosions à quelques mètres de chez moi.
C’est après une de ces nuits la semaine dernière que j’ai appris au réveil que la mosquée où j’allais prier et l’université dans laquelle j’étudiais avaient été touchées. Elles avaient toutes deux été en partie détruites par les attaques de la nuit. J’avais passé plus de cinq ans dans la prestigieuse université islamique de Gaza, d’abord en tant que simple étudiant, puis comme assistant à l’enseignement. Lorsque j’ai appris la nouvelle, j’ai été submergé par le chagrin. Je sentais que ma vie était en train d’être anéantie, que mes souvenirs les plus précieux étaient systématiquement détruits.
Dans un endroit aussi petit que la bande de Gaza – qui ne fait même pas la moitié de la taille de New York – on n’est en sécurité nulle part. Mon quartier, qui borde la plage à l’ouest de la ville de Gaza, n’était pas au centre de l’offensive terrestre, mais il n’a pas eu beaucoup plus de chance que les autres. Un immeuble résidentiel à quelques mètres de chez moi a été détruit et le secteur a subi d’importants dégâts.
Depuis que la seule centrale électrique de Gaza a été détruite, nous sommes plongés dans l’obscurité. Les plus chanceux avaient de l’électricité pendant une heure ou deux par jour, mais ces derniers jours, même eux n’ont plus rien. Ma famille possède un groupe électrogène que nous allumons de temps en temps pour voir les informations, mais ça coûte cher et le diesel est difficile à trouver. Le reste du temps, nous restons assis et nous écoutons souvent les nouvelles à la radio locale. Chaque bulletin rapporte son lot de nouvelles tragédies, de civils tués par des attaquants qu’ils n’ont même jamais vus. Plus j’écoute, plus j’enrage à l’idée que le monde nous regarde mourir. Je finis toujours par éteindre la radio.
À la maison, les produits de première nécessité commencent à manquer. Le cessez-le-feu de 72 heures a un peu amélioré la situation, mais chaque jour demeure une bataille pour obtenir ce dont nous avons besoin pour survivre, ne serait-ce que de l’eau potable et de la nourriture.
Des égouts qui débordent
Chez moi, nous n’avons plus l’eau courante depuis plusieurs jours et les égouts débordent. Pour avoir de l’eau non potable pour la lessive, la vaisselle et le ménage, nous devons appeler une entreprise privée pour remplir notre réservoir. Ces derniers jours, même cette ressource s’est épuisée. La destruction des infrastructures d’eau est telle que même les entreprises privées n’ont plus rien à vendre. Nous économisons donc l’eau en utilisant les eaux grises pour les toilettes.
Les rares fois où je me suis risqué à sortir pendant les attaques, les scènes auxquelles j’ai assisté sont restées gravées dans ma mémoire. Des enfants qui courent dans tous les sens, risquant leur vie pour remplir d’eau des bouteilles vides, d’autres faisant la queue pour acheter du pain. C’est trop douloureux d’y penser.
La fin du cessez-le-feu approche, mais nous ne savons pas vraiment ce qui va se passer ensuite. Nous avons fait des réserves pour la prochaine série d’attaques. J’ai assez d’eau potable pour tenir dix jours et j’ai fait le plein de boîtes de conserve. Nous avons aussi acheté de la viande et des légumes, mais ils ne vont pas durer longtemps – pas plus d’un jour ou deux – sans électricité. Si le pain rassit, nous pouvons l’humidifier et le passer au four pour qu’il soit à nouveau mangeable.
De nombreux Palestiniens sont fatigués et tristes. Dans le reste du monde, j’ai 26 ans, mais ici à Gaza, notre mesure du temps est différente : je suis âgé de trois guerres. Ces longues années d’attaques israéliennes nous ont usés. Lorsque j’ai obtenu mon diplôme, j’ai eu la possibilité de travailler dans de nombreux pays. Mais je suis rentré à Gaza pour reconstruire la ville que je connais et que j’aime. Maintenant, nous devons tout recommencer.
Mais nous partageons tous le même esprit de résilience. Nous avons perdu de nombreuses vies dans ce conflit. Mais si c’est le prix de changements à long terme, si cela permet de mettre fin au siège et d’obtenir notre liberté, nous n’avons pas d’autre choix que d’encaisser. Sinon, nous ne ferions que remplacer la mort rapide causée par une frappe aérienne par la mort lente causée par le blocus.
Haytham Besaiso est un ingénieur du génie civil titulaire d’une maîtrise ès sciences de l’université de Manchester au Royaume-Uni.
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